La crise du capitalisme financier ou la finance contre l’humanité (ATTAC)

vendredi 29 février 2008.
 

6) Une crise de plus ATTAC France

La crise financière qui couvait depuis le mois d’août 2007 a éclaté et elle ressemble comme une sœur aux nombreuses crises qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans. En même temps, elle présente des traits nouveaux qui ne doivent pas être dissimulés derrière l’écran de fumée d’une « fraude ».

Partie du secteur immobilier et des quartiers pauvres des banlieues étasuniennes, cette crise a gangrené peu à peu le secteur bancaire et financier. Il est possible que ses péripéties ne soient plus dans quelques semaines directement sous le feu de l’actualité, mais elle est profonde et elle aura des conséquences sur chacun d’entre nous. C’est pourquoi nous devons nous en saisir, pour anticiper ses conséquences et agir pour désarmer la finance.

L’engrenage

Dans une période où la croissance économique américaine est tirée par l’endettement, les banques américaines ont octroyé des prêts à des ménages de plus en plus modestes pour qu’ils accèdent à la propriété de leur logement et à la consommation : c’était le marché à haut risque, dit du subprime. Prêteurs comme emprunteurs pariaient sur la hausse des prix de l’immobilier qui semblait n’avoir pas de fin. Ainsi, les hypothèques prises par les banques leur garantissaient de pouvoir récupérer leur mise avec bonus et les ménages escomptaient un accroissement de leur richesse. Entre temps, les banques avaient « titrisé » les hypothèques, c’est-à-dire les avaient vendues sur les marchés financiers. Ces nouveaux titres financiers se trouvaient donc introduits et mélangés avec d’autres dans les portefeuilles gérés par tous les fonds de placement à caractère spéculatif ou les banques elles-mêmes. Le problème est né lorsque, après le retournement du marché de l’immobilier, les détenteurs de ces titres ont souhaité les liquider alors que plus personne n’en voulait. On est entré dans une crise dite de liquidité, aucun acteur du système financier ne trouvant les sommes dont il avait besoin, chacun redoutant que les fameux titres de plus en plus pourris, disséminés on ne sait où, occupent une place trop grande dans le total de ses actifs.

Un système incapable de s’auto-réguler

Pour faire face à cette crise de liquidité, les principales banques centrales ont, depuis l’été dernier, prêté des centaines de milliards de dollars et d’euros aux banques ordinaires ; et la Banque centrale des États-Unis a baissé à plusieurs reprises son taux d’intérêt directeur, alors que la Banque centrale européenne s’y refusait. Cela n’a pas suffi à calmer l’angoisse grandissante des acteurs financiers, et notamment des banques, qui, à l’approche de la fin de l’année 2007, voyaient avec terreur l’heure de vérité arriver : à combien s’élèveraient les pertes dues aux placements gangrenés par les subprimes ? On parle de plusieurs centaines de milliards de dollars. C’est la raison de la chute des bourses en janvier 2008.

Un système qui cannibalise les salaires et la protection sociale

Avec la liberté de circuler accordée aux capitaux et la déréglementation des marchés financiers ont proliféré des nouveaux produits financiers et des fonds spéculatifs de toute espèce : leur seul objectif est de produire de la plus-value boursière, dont la croissance à long terme est assurée par celle de la plus-value réelle, dans les entreprises, permise par une pression croissante sur les salaires. Ces fonds voraces ont besoin de drainer des sommes toujours plus importantes, d’où la volonté de détruire les systèmes de retraites et d’assurance maladie pour capter l’épargne des salariés.

Dans une crise boursière, aucune richesse réelle ne « part en fumée » puisque seule la bulle fictive s’effondre et que la perte d’un spéculateur est le gain potentiel d’un autre. En revanche, la récession économique qui s’ensuivra peut-être sera payée par les travailleurs, les ménages endettés et les populations du monde les plus fragiles. La vérité sur le capitalisme financier est là, toute nue. Un système qui veut assurer 15 ou 20 % par an de rentabilité aux actionnaires et qui prétend se passer de toute régulation publique, en confiant la planète à la loi du marché, est mortifère.

5) Une grille de lecture de la crise financière

Isaac Joshua ATTAC

http://www.france.attac.org/spip.ph...

Dire le capital, c’est dire sa crise. Telle est, telle fût toujours l’instabilité foncière du système : ses phases d’essor ne sont que le prélude aux phases d’effondrement. Le libéralisme postule que la défense des intérêts privés converge en un équilibre collectif. La thèse de Marx est l’exact opposé, car elle voit au cœur du dispositif capitaliste la contradiction entre le caractère de plus en plus social de la production et la forme étriquée d’une propriété privée maintenue. Cette contradiction, latente en période normale, se dévoile lors des crises. Les décisions que chaque propriétaire privé prend pour sa sauvegarde particulière menacent alors la stabilité générale du système, précisément parce qu’elles ont une portée sociale.

Pendant longtemps, cependant, le système capitaliste a baigné dans un environnement de petite production (paysannerie, etc.) qui a atténué la portée de ses crises. Un milieu hétérogène introduit des discontinuités qui freinent la diffusion de l’épidémie. L’homogénéité d’une économie réduite à ses deux seuls pôles extrêmes des sociétés par actions et du salariat est au contraire un élément aggravant. J’ai ainsi pu interpréter la grande crise américaine de 1929 comme résultant d’un recul rapide de la petite production à la jonction des 19e et 20e siècles. Le bond en avant de l’espace couvert par les sociétés et le salariat a brutalement réduit la diversité de l’espace économique américain, libérant la déferlante des années trente. La crise américaine de 1929 ouvre donc l’ère des crises majeures car elle ouvre l’ère des crises à dominante salariale.

Comment alors expliquer qu’après la fin de la deuxième guerre mondiale on n’ait pas constaté une succession de crises de plus en plus violentes, mais, au contraire, trente années d’une expansion forte et régulière ? La première explication est qu’un nouveau mode de régulation de l’économie (dit fordiste) a été instauré, tirant les conséquences de la salarisation massive des économies développées, en prévoyant des moyens de stabiliser la demande en cas de récession débutante. Ce qui passait par un rôle accru de l’État, l’affirmation d’un nouveau rapport salarial, une place grandissante des transferts sociaux dans le revenu disponible des ménages ou encore un poids croissant des dépenses publiques dans le Produit intérieur brut (PIB).

Il est cependant impossible de penser la conjoncture d’après-guerre sans prendre également en compte la période 1914-45, exceptionnelle entre toutes, englobant sur une seule trentaine d’années, coup sur coup, les deux guerres mondiales et la plus grave crise économique que le monde ait connue. J’avance pour ma part l’hypothèse que les taux de profit élevés constatés à partir de 1946 en Europe et aux États-Unis s’expliquent comme étant, au premier chef, ceux d’une phase de rattrapage. En Europe, les deux guerres mondiales et la grande crise ont entraîné énormément de destructions, d’usure et de non-renouvellement du capital fixe. Dès que les conditions du redémarrage de l’activité ont été réunies, une vague d’accumulation s’est gonflée, alimentée par la possibilité d’importer l’avance technique déjà acquise par les États-Unis. Aux Etats-Unis, sous l’impact de la grande crise, le volume du stock de capital fixe productif recule ou stagne à partir de 1931. Ici aussi il y a un effet de rattrapage, au sens de « rattraper son retard » par rapport à ce qui aurait pu avoir lieu si le trend du passé s’était prolongé sur sa lancée. Dans un cas et dans l’autre, en Europe ou aux Etats-Unis, le renouvellement d’ampleur du stock de capital fixe, son rajeunissement massif ou la diffusion accélérée des innovations ont poussé vers le haut productivités du capital et du travail, soutenant le taux de profit.

Mais toute parenthèse doit se refermer : l’effet de rattrapage doit, par définition, s’épuiser. En Europe et aux Etats-Unis, les taux de profit entament leur chute à partir de la seconde moitié des années 1960 et le mouvement se poursuit jusqu’au début des années 1980. Un plus bas est alors atteint, l’existence même du système est menacée. Il lui faut absolument redresser le taux de profit et, pour cela, avoir à nouveau les mains libres. La régulation fordiste est brisée, les gardefous jetés par-dessus bord, les divers marchés libéralisés, l’Etat confiné.

La trajectoire séculaire du capital que nous venons de dessiner à grands traits montre que le capitalisme chemine sur un étroit sentier entre deux gouffres : celui de l’effondrement, si l’encadrement de l’activité est insuffisant, et celui de l’étouffement, s’il est excessif. La recherche acharnée du profit pousse à étendre la surface couverte par le système capitaliste aux dépens de la petite production, à augmenter ainsi son homogénéité, donc son instabilité, comme l’a montré la crise de 1929 aux États-Unis. Les méfaits de l’instabilité mènent ensuite à la réglementation, comme cela a été le cas après la grande crise, ce qui, en corsetant les entreprises, pousse à la chute du taux de profit. Au-delà d’un certain seuil de dégradation de ce taux, la réglementation mise en place est démantelée. Ce qui accroît à nouveau l’instabilité, comme on a pu l’observer dans les années 1990 après l’instauration de la mondialisation libérale : la crise mexicaine de 1994-95 n’a concerné qu’un seul pays ; celle de 1997 toute une région continentale, l’Asie du sud-est ; celle de la « nouvelle économie », en 2001, s’est attaquée au centre, aux États-Unis. Quant à la crise financière actuelle, elle menace le monde entier.

Dans les pays développés, le salariat constitue désormais l’essentiel de la population active. La petite production réduite à la portion congrue, il n’y a plus d’obstacle à ce que l’instabilité foncière du système puisse se manifester dans toute son ampleur. Dès lors, le fordisme détruit, quelque chose doit le remplacer, car le problème auquel il s’attaquait demeure : dans les moments difficiles, il faut soutenir la demande globale, pour éviter qu’une récession ne se transforme en dépression. La révolution conservatrice s’opposant énergiquement au partage négocié de la valeur ajoutée, il ne reste plus qu’une porte de sortie : pousser à toutes forces les dépenses des ménages vers le haut avec de moins en moins d’épargne, de plus en plus de dettes. En effet, à revenu constant, la baisse du taux d’épargne des ménages accroît la consommation sans bourse délier ; quant à la montée du taux d’endettement, elle augmente les dépenses de ces derniers sans passer par le « cauchemar » de la hausse des salaires réels. Aux États-Unis, le surendettement de ménages mis en régime de surconsommation a remplacé le pacte social keynésien. Ce pacte, négocié, pouvait par tâtonnements trouver un point d’équilibre. Le nouveau modèle, par contre, est explosif, car il repose sur une aggravation constante des déséquilibres. En principe pourtant, la hausse des taux d’intérêt devrait, si nécessaire, pousser les ménages à accroître leur épargne et à réduire leur endettement. Mais ce n’est guère le cas, le système emprunte la plus forte pente, celle de la facilité : c’est-à-dire consommer en confiant la fonction d’épargne aux gains virtuels de la Bourse ou de l’immobilier et s’endetter en comptant sur la montée du prix des actifs détenus ou sur de futures possibilités de refinancement. On s’habitue à l’argent facile qui, dans un univers de finances libéralisées et dénué de contrôles, ira alimenter les bulles spéculatives.

L’enchaînement qui, aux États-Unis, mène de la crise de la « nouvelle économie » (en 2001) à la crise financière actuelle est une parfaite illustration des impasses de ce modèle. La crise de la nouvelle économie a été précédée d’une bulle boursière d’une extraordinaire ampleur, le seul précédent comparable étant celui des années vingt. La spéculation aidant, une crise de suraccumulation et de surendettement est venue se greffer sur une montée rapide des profits. Comme on pouvait s’y attendre, la réaction ultérieure a été en proportion : l’éclatement de la bulle boursière a débouché sur une violente chute de l’investissement des entreprises (- 4,2% en 2001 et - 9,2% en 2002), entraînant un affaissement des niveaux de l’activité et de l’emploi.

Pourtant, la récession ne s’est pas transformée en dépression. L’explication se trouve du côté des dépenses des ménages, qui ont résisté. Les ménages ont poussé leur taux d’épargne à un plus bas historique (1,8% en 2001), favorisant la consommation. Surtout, une véritable thérapie de choc a été mise en œuvre, combinant politiques budgétaire et monétaire. Tournée vers le soutien au revenu des ménages, la politique budgétaire a opéré une stupéfiante volte-face, passant d’un confortable excédent de 239,4 milliards de dollars en 2000 à un imposant déficit de 282,1 milliards en 2002. Cependant, c’est la politique monétaire qui a joué le rôle essentiel : le principal taux de la Fed a été ramené en un temps très court de 6% à 1%. Du coup, entre 2001 et 2006, le taux d’endettement des ménages américains a réalisé un bond sans précédent de 30 points, ouvrant la voie à la crise de surendettement que nous observons aujourd’hui. On n’a pu surmonter les effets de la première bulle, boursière, qu’en se lançant tête baissée dans une deuxième bulle, immobilière. La crise actuelle, c’est en somme la crise de la nouvelle économie qui continue : celle-ci n’a pas été surmontée, mais seulement stockée dans les déséquilibres accumulés. Par une fuite en avant depuis longtemps engagée, les échéances ont été reportées, à l’aide du modèle que nous venons de décrire : de moins en moins d’épargne (privée et publique), de plus en plus de dettes (celles des ménages). Encore faut-il financer la surconsommation ainsi portée à bouts de bras. Compenser le déficit d’épargne intérieur et alimenter la boulimie consommatrice exige du reste du monde un apport constamment renouvelé de sommes énormes, atteignant en 2006 plus de 6% du PIB américain. Aux déséquilibres internes de l’économie américaine, le modèle rajoute les incertitudes constamment renouvelées du financement d’un déficit externe devenu abyssal.

L’éclatement d’une bulle immobilière a des effets bien connus. Le risque le plus grand vient de la restriction de crédits que peuvent pratiquer des banques qui se sentent menacées, qu’il s’agisse des crédits hypothécaires (pour les achats de logement), des crédits à la consommation ou de ceux destinés aux entreprises. Une telle politique pourrait paralyser l’économie américaine et la précipiter dans la récession. Elle peut peser particulièrement lourd sur des ménages habitués à consommer à crédit. N’oublions pas l’effet richesse, qui postule un impact négatif sur la consommation de la baisse de la valeur du logement, surtout pour des ménages habitués à « adosser » leurs divers crédits sur la valeur de leur maison. Or, la consommation des ménages occupe une place exceptionnelle aux États-Unis (70% du PIB).

Les crédits à risque (subprime), dont on a beaucoup parlé, ne sont qu’un accompagnement logique de la bulle. La véritable innovation réside dans la titrisation des créances bancaires. Nombre de banques américaines ont pris leurs précautions, en transformant les crédits hypothécaires qu’elles ont accordé en titres de créances, qu’elles ont vendu. L’avantage est d’éviter la concentration dans les bilans des banques de créances douteuses. L’inconvénient est de disséminer le risque dans toute l’économie nationale, voire internationale : les milliards et milliards de créances douteuses n’ont pas disparu, ils sont logés quelque part, mais où ? La méfiance devient universelle. Deux types de crise menacent alors les banques. Une crise de liquidité, car il devient de plus en plus difficile pour les banques d’emprunter de l’argent auprès d’autres banques, ce qui contraint les banques centrales à des interventions massives. Une crise de rentabilité, car les pertes liées à la crise immobilière viennent en déduction des profits, ou sont couvertes par de nouveaux apports de capitaux (s’ils sont possibles) ou mènent à la faillite. Des institutions aussi prestigieuses que Citigroup, Merrill Lynch ou JP. Morgan ont annoncé des sommes colossales de dépréciations d’actifs pour les troisième et quatrième trimestres 2007. Une nouvelle phase de la crise est franchie : l’appareil bancaire de la première puissance mondiale est durement atteint, certaines parmi les plus grandes banques sont menacées.

Face aux périls, les marges de manœuvre de la politique américaine sont fortement réduites. En 2001, on est parvenu à éviter une vraie dépression en portant à bouts de bras la dépense des ménages. Ces moyens ne peuvent plus être utilisés, en tous les cas pas à la même échelle. Le taux de la Fed a été ramené en catastrophe (le 22/01) à 3,50%, mais, d’une part, il n’est pas sûr que cela incite les entreprises à investir et, d’autre part, jusqu’à quel point cela peut-il pousser les ménages à s’endetter, alors que nous sommes précisément face à une crise de surendettement ? De son côté, le taux d’épargne des ménages est nul, et, pour financer le plan de relance Bush (de 150 milliards de dollars), il n’y a plus d’excédent budgétaire, mais un déficit (qui s’élève déjà à 2,6% du PIB en 2006). Enfin, nous avons toujours l’épée de Damoclès du déficit de la balance américaine des transactions courantes, qui pousse à la chute du billet vert face à l’euro.

L’économie américaine est placée devant un dilemme redoutable : soit on réduit les déséquilibres, mais au risque de la dépression ; soit on relance l’activité, mais en aggravant les déséquilibres. Si le taux d’endettement des ménages baisse, le niveau d’activité est menacé ; s’il poursuit son ascension, il prépare la future crise. Si le taux d’épargne des ménages reste à son niveau d’insignifiance, il ne garantit pas le financement de l’économie américaine ; s’il se redresse, il porte atteinte à la consommation. Si la Fed continue à baisser ses taux, elle risque un krach du dollar ; si elle veut écarter ce risque, elle ne baisse pas ses taux, mais n’apporte pas d’aide à l’économie.

L’économie américaine joue le rôle de locomotive pour le monde entier, et il n’y en a pas d’autre. C’est dire ce que serait l’impact d’une récession américaine. La mondialisation libérale a renforcé cette fragilité, en généralisant le salariat, en instaurant une financiarisation grosse de périls nouveaux, en interconnectant la planète entière. La fabuleuse croissance chinoise n’est pas un recours : elle est en réalité largement dépendante du niveau d’activité américain et ainsi en est-il pour nombre de pays émergents.

Alors qu’on n’en avait plus connu depuis la grande dépression, la succession de crises financières depuis les années 1990 montre que le grand responsable de la situation actuelle est la mondialisation libérale. Il faut tout reprendre de A à Z, balayer le tout marché et l’inadmissible liberté laissée à la rapacité du profit. Il y a un devoir d’ingérence économique, en faveur de l’immense masse de la population, les travailleurs, de façon à ce qu’ils ne supportent pas les conséquences d’une crise qui n’est pas la leur, et que l’on ouvre enfin la voie à un système tourné vers la satisfaction des véritables besoins sociaux.

Isaac Johsua (31/01/2008)

Économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac.

4) Les racines de la crise (Michel Husson, économiste)

http://hussonet.free.fr/crisesal.pdf

La crise immobilière est en train de se transformer en crise bancaire et en crise tout court. Les banques ont fabriqué des pochettes surprises (la titrisation) en y plaçant des créances douteuses, et particulièrement les dettes des ménages pauvres américains (les subprimes) escroqués par des contrats trompeurs. Leur faillite a entraîné une perte de confiance généralisée sur la valeur de ces titres dont personne ne connaît vraiment la composition. Tout cela est évidemment le résultat de la soif inextinguible d’une finance déchaînée.

Mais qu’est-ce qui a permis, au fond, ce phénomène de la financiarisation ? Si on essaie de suivre le conseil de Marx de ne pas s’en tenir à l’apparence des choses, la réponse se trouve dans la baisse universelle de la part salariale. A peu près partout dans le monde, la part des richesses qui revient aux travailleurs (qui les ont produites) baisse depuis au moins 20 ans. C’est un fait établi et reconnu aussi bien par le FMI que par la Commission européenne (1). Quel rapport avec la finance ?

Il est le suivant : cette plus-value qui augmente plus vite que le revenu national n’est pas plus investie qu’avant, et la contrepartie de la baisse de la part salariale est donc une croissance rapide de la plus-value non accumulée. Que devient-elle ? Elle est distribuée à une mince couche de possédants et de pseudo-salariés à la recherche de placements qui pourront à nouveau la faire fructifier. D’où une énorme surabondance de liquidités et de capitaux financiers qui revendiquent des rendements toujours plus extravagants.

Au bout d’un certain temps, la finance s’autonomise, autrement dit se développe selon sa propre « logique » Elle oublie que le volume de valeur disponible dépend du degré d’exploitation et que celui-ci ne peut pas, malgré les efforts des possédants, croître de manière exponentielle. Les crises financières sont donc autant de rappels périodiques de cette loi de la valeur. Après les illusions de la « nouvelle économie », ce sont les illusions des nouveaux produits financiers qui viennent de s’envoler dans la fumée des pertes bancaires.

Les recommandations prônant une meilleure gouvernance, une plus grande transparence, etc. sont donc sans commune mesure avec les délires inventifs d’une finance délibérément placée hors de tout contrôle. Quant aux banques centrales, elles n’hésitent pas à freiner l’économie en augmentant les taux d’intérêt chaque fois que pointe la menace d’une augmentation « excessive » des salaires. Pas de pitié alors pour les prolétaires ! Mais quand survient un risque de crise financière, elles n’hésitent pas un instant à injecter des masses énormes de liquidités pour tirer d’affaire les banques en difficulté. Deux poids, deux mesures : les banques centrales sont bien des instruments de gestion des intérêts des possédants.

La nature de classe des phénomènes à l’oeuvre devrait sauter aux yeux : l’argent que les possédants jouent dans ce gigantesque casino, c’est celui qui a été extorqué, au-delà de toute mesure, aux salariés du monde entier. Mais ce sont eux aussi qui vont payer les pots cassés : pour éponger les pertes, il va falloir assainir l’économie sur leur dos en freinant la croissance, en augmentant les taux d’intérêt, et en prenant prétexte des perturbations actuelles de l’économie mondiale pour baisser encore les salaires du plus grand nombre. Le capitalisme est ainsi entré dans une nouvelle zone de tempêtes car le fragile équilibre de l’économie mondiale est aujourd’hui au bord de la rupture. Les Etats-Unis peuvent difficilement faire financer par le reste du monde un déficit commercial abyssal ou espérer le réduire grâce à la chute sans fin du dollar, sans que cela fasse éclater les tensions croissantes avec la Chine et l’Europe.

Nous sommes ici confrontés aux dérives d’un « pur capitalisme » délivré de ses chaînes, capable d’imposer une croissance ininterrompue du taux d’exploitation. Mais c’est en même temps son talon d’Achille. Pour sortir en douceur de la situation actuelle, il faudrait en effet que les principales économies se réorientent vers la demande salariale, ce qui supposerait une répartition des revenus plus favorable aux salariés. Mais les possédants disposent, grâce à la mondialisation, d’un rapport de force tellement favorable qu’ils n’ont aucune raison d’emprunter spontanément cette voie.

Michel Husson, Regards, Février 2008

(1) voir « La hausse tendancielle du taux d’exploitation », Inprecor, janvier 2008 http://hussonet.free.fr/parvainp.pdf

3) Le modèle post-keynésien et la crise financière Isaac Johsua

Novembre 2007

Membre du Conseil scientifique d’Attac

Rien ne s’est vraiment substitué au modèle keynésien, décédé dans l’allégresse pour certains, dans l’affliction pour d’autres. Ce qui le remplace a été inventé en marchant et ne se déduit strictement d’aucune théorie. La crise financière actuelle amène cependant à s’interroger sur l’édifice mis en place, branlant mais toujours debout, bien qu’il soit fait de bric et de broc.

Aux États-Unis, la régulation fordiste a été détruite, et pourtant l’exigence qui l’avait imposée est toujours présente : le salariat est prépondérant dans la population active. Il faut donc impérativement trouver un moyen de stabiliser la demande globale lorsque s’amorce une récession, pour éviter qu’elle ne se transforme en dépression. On ne peut compter sur l’investissement des entreprises, particulièrement volatil ; il faut donc s’assurer de la stabilité de la consommation. La révolution conservatrice ayant prohibé le partage négocié de la valeur ajoutée, la réponse tient nécessairement dans le doublon : de moins en moins d’épargne, de plus en plus de dettes. A revenu constant, la baisse du taux d’épargne des ménages accroît la consommation sans bourse délier ; quant à la montée du taux d’endettement, elle augmente les dépenses de ces derniers sans passer par le cauchemar de la hausse des salaires réels. Le surendettement de ménages mis en régime de surconsommation a remplacé le pacte social keynésien.

La simplicité du pilotage a de quoi émerveiller. La baisse des taux d’intérêt décourage l’épargne et favorise l’endettement, leur hausse a l’effet inverse. La symétrie, en fait, n’est qu’apparente, car le système s’habitue à l’argent facile. La crise actuelle en est une illustration frappante. Pour sortir de la crise de la nouvelle économie (en 2001), le robinet du crédit a été ouvert à fond, ce qui a grandement facilité le crédit hypothécaire et lancé la bulle immobilière. On n’est sorti d’une bulle que pour tomber dans l’autre, et parce qu’on est tombé dans l’autre. Ainsi alimenté, le taux d’endettement des ménages américains a bondi de trente points de 2001 à 2006, débouchant sur la crise de surendettement que nous observons aujourd’hui.

Nous sommes en présence d’une véritable machine à fabriquer des bulles. L’aggravation constante des déséquilibres n’est pas le résultat d’erreurs dans la conduite de la politique économique : elle fait partie constitutive du modèle. Car comment, en dehors d’un autre partage de la valeur ajoutée, s’assurer de l’indispensable croissance de la consommation sans encore moins d’épargne et encore plus de dettes ? La marge de manœuvre des autorités est de plus en plus restreinte entre : combattre les déséquilibres et ouvrir la voie à la dépression ; ou soutenir l’activité et aggraver les déséquilibres. Ce qu’illustrent parfaitement les hésitations de Bernanke, le nouveau dirigeant de la Fed, refusant l’enfilade des bulles, mais paniqué par l’enfilade des faillites que pourrait recéler une prochaine récession.

Si, par miracle, il parvient au bon équilibre, il n’est pas pour autant tiré d’affaire. En effet, remède illusoire, la surconsommation est, en plus, un remède coûteux. Elle ne sauve l’économie américaine d’une récession qu’en préparant la suivante, et, par-dessus le marché, il faut la financer. Compenser le déficit d’épargne intérieur et alimenter la boulimie consommatrice exige du reste du monde un apport constamment renouvelé de sommes énormes, atteignant en 2006 plus de 6% du PIB américain. Puissance sur le déclin, les Etats-Unis sont dans le rôle de l’homme du monde qui tente encore de faire illusion, mais vit aux crochets des fournisseurs que l’on fait passer par la porte de service.

Nombre de pays asiatiques mettent cependant la main à la poche, en achetant massivement des bons du trésor américains. Ce qui se comprend aisément : l’économie américaine est la locomotive mondiale. Par le biais de ses importations, elle tire les grands pays émergents (Chine, etc.) ; ceux-ci commandent des machines ou des équipements (à l’Allemagne, par exemple) et importent des matières premières, dont ils soutiennent ainsi les cours. Chaîne impressionnante, dont les maillons essentiels - mais fragiles - sont ceux qui relient Etats-Unis et pays émergents, sur le mode du « je te prête, tu me tires ». La Chine à elle seule détient pour plus de 400 milliards de dollars de bons du trésor américains (en deuxième position mondiale, derrière le Japon) et a emmagasiné, tout compté, plus de 1 000 milliards de dollars de réserves de change. Au total, le modèle keynésien reposait sur un pacte social conflictuel entre capitalistes et salariés du monde développé, et impliquait le partage négocié de la valeur ajoutée. Le modèle actuel implique aux États-Unis le surendettement, les bulles et repose sur un pacte social conflictuel entre capitalistes et zones émergentes de la sphère mondialisée. Aux déséquilibres de l’économie américaine, il rajoute les incertitudes constamment renouvelées du financement d’un déficit devenu abyssal. C’est dire s’il est chancelant. C’est dire s’il y a urgence à revoir l’architecture de la maison monde, de la base au sommet.

Notes [1] For more on the regulationists’ concept of a finance-led accumulation regime see Aglietta (1998), R. Boyer (2002), D. Plihon (2003), or B. Coriat, P. Petit & G. Schméder (2006),. The notion of systemic risk, associated with major financial crises, is discussed extensively in M. Aglietta & P. Moutot (1993).

[2] Offering comparatively attractive yields, mortgage-backed securities were snapped up by a rapidly growing number of investors. Soon banks decided to enter the loan-securitization business themselves.

[3] A. Greenspan and J. Kennedy (2007) have estimated that the cash drawn out of rising home equity added 3% to U.S. consumer spending per year between 2001 and 2005.

[4] See A. Lucchetti and S. Ng (2007) for more detail.

[5] As F. Norris and E. Dash (2007) report, banks have especially cut back on so-called “jumbo” mortgages in excess of $417,000 which cannot be sold to Fannie Mae and Freddie Mac.

[6] Elsewhere (R. Guttmann, 1994) I have discussed this advantage accruing to the country issuing world-money as global seigniorage.

[7] Examples of spectacular subprime-related losses in the billions include the collapse of two of Bear Stearn’s hedge funds, the rescue of German bank IKW, the suspension of two of BNP Paribas’ funds, and sharply higher loss provisions crimping profits of UBS, Deutsche Bank, HSBC, Barclays, Mackarie, et cetera.

[8] The leverage effect, using a lot of debt to keep one’s own capital expended to a minimum when acquiring a portfolio, has the considerable advantage of boosting the return on capital for any given price movement, provided its direction is correctly anticipated

[9] This is a key argument in the theory of H. Minsky (1964, 1982).

[10] Universal banking came about after regulators removed long-standing restrictions on banking activity in the European Commission’s Second Banking Directive of 1989 and the Financial Services Modernization Act of 1999 in the United States.

[11] Basel II seeks to encourage rapid progress by banks in terms of managing default risk, market risk (applying to price fluctuations in markets for securities, derivatives, and currencies), as well as operational risks

2) Le capitalisme, de bulle en bulle (septembre 2007)

Entretien paru dans Le Monde du 23 septembre 2007, avec Michel Aglietta, professeur d’économie à l’université de Nanterre et conseiller scientifique au Centre d’études prospectives et d’informations internationales.

La crise financière de cet été s’inscrit dans une longue liste de crises depuis la Thaïlande en 1997 jusqu’à la chute des valeurs Internet en Bourse en 2001. Le capitalisme est-il condamné à l’instabilité permanente ? Les marchés financiers se focalisent successivement sur certains actifs : Bourse, immobilier, matières premières, etc. Souvent les actifs élus par la spéculation sont ceux qui bénéficient d’innovations. Les opérateurs pensent qu’ils vont s’apprécier, lèvent avec facilité des fonds considérables pour les acheter et, en conséquence, les prix, en effet, montent. C’est un processus auto renforçant puisque les prix plus élevés permettent de réapprécier les risques à la baisse et donc d’emprunter encore plus pour acquérir encore plus. Ce processus qui lie l’expansion du crédit et la hausse du prix des actifs est caractéristique du capitalisme financier actuel, libéralisé et mondialisé. On passe de bulle en bulle puisque ce système n’est doté d’aucun frein interne. Il faudrait que des investisseurs, avec une vision de long terme, disent : « Stop, les prix ont perdu tout rapport avec les valeurs fondamentales », et revendent alors que les prix montent encore. Mais aucun des gestionnaires de fonds ne raisonne ainsi. Tous sont mobilisés sur des profits à trois mois et leurs rémunérations au bonus les poussent simultanément dans le même sens. Les banques se sont converties, elles aussi, à évaluer leurs risques en se référant soit aux agences de notations, soit à des modèles internes, mais de toute façon calés sur les valeurs de marché. Résultat : pas de mécanisme stabilisateur. C’est l’organisation même de la finance moderne qui cause les bulles successives.

Jusqu’au krach ?

Forcément. À un moment ou à un autre, quand les prix ont atteint des valeurs très éloignées des niveaux fondamentaux, les opérateurs prennent conscience qu’ils sont sortis de la réalité. Ils le font sous un prétexte quelconque, imprévisible mais soudain, et ils vendent tous ensemble. C’est la panique.

Que peuvent faire les banques centrales ?

Deux éventualités. Soit la crise fait seulement peser un risque de liquidités sur les banques, parce que les investisseurs se précipitent sur les bons du Trésor. Alors les banques centrales doivent consentir des concours exceptionnels pour éviter une paralysie des paiements. C’est ce qu’ont fait la Federal Reserve et la BCE, cet été. La banque centrale joue là son rôle de prêteur en dernier ressort. Soit la crise est plus grave parce qu’il y a une insolvabilité latente des crédits. Les banques centrales craignent une contraction du crédit dans l’économie réelle. Alors la solution est monétaire : abaissement des taux d’intérêt pour faciliter le crédit.

Ce fut la solution toujours privilégiée par Alan Greenspan à la Fed. Quitte à provoquer le gonflement de la bulle suivante ?

Oui. Ce qu’il faudrait, c’est que les banques centrales tirent les sonnettes d’alarme plus tôt, lorsque les prix de tel ou tel actif sont devenus manifestement "irrationnels". Le débat a eu lieu à ce sujet, mais les banques centrales ont répondu par la négative : elles se disent incapables d’évaluer le juste prix des actifs. Dès lors, elles ne prennent en compte dans leur mesure de l’inflation que les produits et services courants et elles se taisent sur les actifs qui flambent.

Elles ont tort ?

À mon avis, oui. Il est aujourd’hui possible, du moins pour les principaux marchés qui ont des données historiques longues, de calculer de façon assez fiable des valeurs fondamentales de long terme et de supputer quand les marchés sortent de l’épure.

Y a-t-il une autre solution ?

Il faudrait que des investisseurs de long terme prennent leurs responsabilités et établissent un rapport de force en leur faveur avec les sociétés de gestion et avec les hedge funds (fonds spéculatifs). En exerçant un monitoring ferme, ils réguleraient les marchés financiers et rendraient la finance moins instable. Je crois qu’une modification profonde des principes de gestion de la finance est l’étape aujourd’hui nécessaire dans la globalisation.

Cette nouvelle finance est le premier des grands changements du capitalisme que vous décrivez dans votre livre Désordres dans le capitalisme mondial. Un autre de ces changements est la suprématie de l’actionnaire. Les deux sont liés. C’est la valeur actionnariale, la victoire de l’actionnaire sur le manager, qui exige des rendements financiers très élevés. Auparavant, le pouvoir était inverse : les managers décidaient de la stratégie en fonction d’un objectif de croissance et négociaient le partage des progrès de productivité avec leurs partenaires dans des contrats pluriannuels. Le dividende ou la valeur en Bourse était la dernière roue du carrosse. Aujourd’hui, le ROE Return on Equity est la norme fondamentale généralisée. Mais cette inversion de pouvoir a des aspects positifs. Elle pousse les entreprises à innover, à baisser leurs prix et à s’améliorer sans cesse ?

Oter la protection des managers a réduit les coûts de gestion. Il y a vingt-cinq ans, lors de crises financières, les banques centrales hésitaient à intervenir pour distribuer des liquidités par crainte que cela ne débouche sur de l’inflation. Maintenant, la nouvelle gouvernance des entreprises, la pression concurrentielle et, concomitamment, l’émergence de l’Asie font s’éloigner le risque d’inflation. Nous sommes passés d’un régime des prix d’inclination inflationniste à un régime d’inclination déflationniste, où les acheteurs ont la haute main, tant pour la main-d’oeuvre que pour les produits.

C’est cela qui concourt à fabriquer des bulles : d’un côté, la disparition durable de l’inflation a réduit l’aversion pour le risque ; de l’autre, les nouveaux produits financiers et les nouvelles institutions financières, comme les hedge funds, permettent de disséminer les risques. Dans les systèmes financiers réglementés, les crédits bancaires étaient bornés et les banques centrales restrictives. Aujourd’hui, l’inflation est basse, le crédit coule à flots et les bulles de prix d’actifs se succèdent.

C’est l’Asie qui a changé le capitalisme ?

Il faut bien mesurer l’ampleur fantastique des changements de l’économie globalisée et l’étroite interdépendance de ses composantes. Le tournant a été pris après la crise asiatique de 1997. Après la chute du mur de Berlin en 1989, l’idée d’un capitalisme dominé par l’Occident prévalait. La mondialisation était vue comme une projection du capitalisme occidental. Les pays développés exportaient leurs capitaux dans les économies émergentes et les sommaient de s’ouvrir, de se libéraliser et de mener des politiques conformes aux intérêts des investisseurs : rigueur budgétaire et lutte contre l’inflation. Le libéralisme était le modèle unique, il s’imposait sous le nom du « consensus de Washington ». Endettés en dollars, les pays d’Asie ont pris conscience à ce moment-là que leur développement restait entièrement dépendant des pays développés. Ils ont réorienté leurs politiques du tout au tout. Pour ne plus être importateurs de capitaux, ils axent leurs économies sur l’exportation et, pour assurer leur compétitivité, déprécient leurs monnaies. Ces pays mettent un coup de frein à la demande interne et deviennent excédentaires. Ils remboursent leurs dettes et gagnent leur indépendance face au FMI et à ses exigences. Ils entraînent deux conséquences à l’échelle mondiale : une inversion des mouvements de capitaux et une pression immense sur les prix des produits et sur les salaires.

L’Asie s’est affirmée sur un modèle différent du modèle américain ?

Cette autonomie politique gagnée s’observe aussi sur le coeur même du capitalisme : l’entreprise. Le modèle anglo-saxon se diffuse en Europe continentale. La France abandonne les « noyaux durs » d’actionnaires stables et l’Allemagne rompt le lien entre la banque et l’industrie ; aujourd’hui, le CAC 40 est détenu à majorité par des capitaux étrangers. En Asie, à l’inverse, un capitalisme d’Etat, à l’asiatique, se renforce.

Le Japon avait montré la voie d’une économie tournée vers l’exportation ?

Oui et non. Le rattrapage japonais s’est fait sur le marché intérieur. Les exportations se sont diversifiées au terme de processus de remontée des filières de production. La Chine est le pivot d’une intégration asiatique. C’est l’atelier industriel du monde qui reçoit les matières premières d’Australie, les biens d’équipement de Corée, de Taïwan et du Japon et les services financiers de Hongkong et de Singapour. Dix ans après ses crises, l’Asie est devenue un pôle incontournable du capitalisme globalisé.

Et que devient l’Europe ?

Le monde est polarisé par la relation entre les États-Unis et le groupe des pays émergents, dont la Chine. Cette relation est faite de collusion tacite et de rivalité latente à cause de l’inversion des mouvements de capitaux et de la dette américaine. Le besoin d’un rééquilibrage ordonné se fera sentir tôt ou tard : aux États-Unis, un relèvement du taux d’épargne et, en Asie, un réajustement des taux de change et un accroissement des demandes internes. L’Europe, faute d’une politique monétaire extérieure, sera très handicapée si le rééquilibrage se traduit par la seule pression sur l’euro, déjà surévalué. C’est aux monnaies asiatiques de s’apprécier. Ensuite, en Europe, l’erreur est de séparer les politiques macro des politiques micro. Il est urgent de les connecter pour définir des dynamismes industriels et soutenir les innovations par des politiques de croissance.

1) LES PRÉMICES D’UNE CRISE FINANCIÈRE INTERNATIONALE : LE PRIX DE LA DÉRÉGLEMENTATION FINANCIÈRE ! (par ATTAC)

Les marchés financiers sont le théâtre de soubresauts dangereux depuis plusieurs mois. Les places financières perdent confiance, ce qui entraîne une grande instabilité des cours. Cette situation de crise était prévisible. Elle résulte des prises de risque excessives et des comportements spéculatifs des principaux acteurs financiers dans le contexte d’argent facile et à bon marché de ces dernières années.

Cette crise a débuté aux États-Unis et tend à se généraliser à l’ensemble des places financières de la planète. Les difficultés ont commencé au printemps 2007 avec la crise du marché du crédit immobilier américain (subprime) qui a entraîné des faillites en chaîne, dont celle de l’un des plus grands établissements américains, l’American Home Mortgage (AHM). La crise américaine reflète bien la situation très particulière des États-Unis, émetteurs du dollar, principale monnaie internationale. Ce pays enregistre des déficits extérieurs depuis deux décennies, accumulant une dette internationale énorme estimée à 3000 milliards de dollars. Cette dette est portée par des créanciers étrangers, qu’il s’agisse des bons du Trésor américains détenus par la Banque centrale chinoise, ou de la dette immobilière des ménages américains rachetée par les banques et les investisseurs étrangers, européens notamment.

Conséquence de la mondialisation financière, la crise américaine s’est propagée aux pays dont les banques ont participé au financement très rentable de l’immobilier aux États-Unis. Ainsi en Allemagne, la banque IKB, acteur majeur du financement des petites et moyennes entreprises (PME), s’est trouvée piégée par son exposition aux risques du marché immobilier américain. Elle a dû faire l’objet d’un sauvetage en urgence par les autorités allemandes, pour éviter une contagion aux systèmes bancaires allemand et européen, ce qui ne s’était pas vu depuis la grande crise des années 1930 !

La crise financière s’intensifie désormais avec la débâcle des Hedge Funds (fonds spéculatifs) et des Private Equity Funds. Bénéficiant de taux d’intérêt très bas, d’une fiscalité très favorable et d’un grand laxisme des autorités financières, ces acteurs ont pris une place centrale sur les marchés financiers. Empruntant massivement auprès des banques, les Private Equity Funds ont racheté de nombreuses entreprises en pratiquant des opérations de leverage buyout (LBO). En d’autres termes, avec un apport de fonds propres réduit à 10%, ces investisseurs ont acheté à crédit des entreprises dans le seul but de les revendre rapidement en réalisant d’appréciables plus-values.

Cette technique du LBO est doublement scandaleuse. D’une part, ces acquisitions à crédit, ou par effet de levier, permettent aux fonds et aux dirigeants de s’enrichir rapidement sur le dos des entreprises et de leurs salariés en faisant rembourser par la société rachetée, via le versement de généreux dividendes, l’essentiel du coût de son acquisition. D’autre part, les LBO ont contribué à gonfler d’une manière excessive les crédits bancaires, ce qui est un des facteurs actuels de déstabilisation des systèmes bancaires. Le resserrement du crédit consécutif à la crise financière actuelle, ainsi que la hausse des taux d’intérêt décidée par les banques centrales, mettent en difficulté ces prédateurs financiers dont certains ont déjà fait faillite. Ce qui risque d’entraîner la fermeture des entreprises contrôlées par ces investisseurs, avec d’importantes destructions d’emplois à la clé.

Les comportements de spéculation et de prédation des principaux acteurs de la finance internationale (Hedge Funds, Private Equity Funds et banques) sont largement responsables de la crise financière actuelle, encouragés par le laxisme des autorités financières et monétaires. Celles-ci n’ont pas voulu s’opposer aux pratiques irresponsables qui mettent aujourd’hui en danger la stabilité des systèmes financiers. Cette crise, qui risque de s’étendre, menace la pérennité des entreprises victimes des acteurs de la finance dont le seul objectif est de réaliser des gains à court terme.

Seul un contrôle étroit des marchés financiers et de leurs acteurs est de nature à prévenir des crises financières, dont l’expérience récente a montré qu’elles pouvaient avoir un coût économique et social élevé. Parmi les mesures qu’il est urgent de prendre pour mettre la finance au service de l’économie, Attac propose :

- d’instaurer un contrôle des mouvements de capitaux permettant de limiter les phénomènes de contagion entre les pays en proie à des crises financières ;

- d’imposer des règles strictes aux investisseurs tels que les Hedge Funds et les Private Equity Funds pour limiter les prises de risques excessives qui mettent en danger la stabilité financière ; par exemple, il devient nécessaire de mettre fin aux effets de levier (LBO) qui permettent aux Private Equity Funds d’acheter des entreprises en finançant à crédit 90% de la valeur de l’entreprise ;

- d’exiger des Banques centrales qu’elles incluent la stabilité des marchés financiers parmi leurs objectifs prioritaires. Il est anachronique que la BCE exerce une vigilance étroite sur l’évolution des prix des biens et services, alors que celle-ci est aujourd’hui largement maîtrisée, et que la même BCE ne cherche pas à intervenir pour lutter contre l’instabilité parfois dévastatrice des prix des actifs financiers et immobiliers.

- d’organiser la fermeture des paradis fiscaux par lesquels transitent près de 50% des mouvements internationaux de capitaux, et d’instaurer la levée du secret bancaire dans ces zones de non-droit de manière à permettre aux autorités d’y mener des contrôles fiscaux et judiciaires.

Dans cette situation, les gouvernements ne doivent pas fuir leurs responsabilités. En particulier, il est du rôle de l’Union européenne de prendre les initiatives appropriées pour que cette tourmente ne se transforme pas en crise financière majeure.

Attac France,

Montreuil, le 8 août 2007


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