L’éclatement de la bulle du crédit sous-tend des turbulences sur les marchés financiers, par Barry Grey

dimanche 5 août 2007.
 

Les marchés financiers mondiaux sont sous l’emprise d’une extrême volatilité qui se traduit par une forte instabilité des cours des actions en bourse. A la bourse de New York, l’indice boursier Dow Jones Industrial Average des valeurs industrielles a perdu mardi près de 300 points à 40 minutes de la fin de séance en chutant de 146,3 points, provoquant mercredi de fortes baisses sur les marchés asiatiques et européens.

Durant la plus grande partie de la journée de mercredi, la très nerveuse bourse aux actions de New York a oscillé entre le territoire positif et négatif pour ensuite gagner 200 points dans les 40 dernières minutes de la séance et finir la journée en progression de 150,38. L’indice Standard & Poor’s 500 des valeurs américaines a enregistré 1,9 pour cent entre le cours le plus haut et le plus bas de la journée, un écart de cotation exceptionnel pour une seule séance de négoce.

Le tumulte des marchés boursiers de cette semaine a été suscité par la dégringolade à Wall Street la semaine dernière lorsque l’indice Dow Jones a perdu un total de 585 points jeudi et vendredi. Depuis que le Dow Jones a franchi le 19 juillet la barre des 14 000, il a perdu quelque 638 points soit 4,6 pour cent, effaçant des centaines de milliards en valeur boursière.

La volatilité soudaine sur les marchés boursiers ressemble à la courbe de température d’un patient souffrant de délires. Elle reflète la crainte que le quasi effondrement des marchés du crédit liés au « subprime » (crédit immobilier à risque) aux Etats-Unis est en train de s’étendre plus largement et de mener à une contraction des crédits concernant l’économie.

Dans les conditions où un crédit bon marché et abondant, la plus grande partie étant basée sur des investissements à haut risque et des rachats d’entreprises spéculatifs, a été une composante indispensable du boom boursier de ces dernières années, le resserrement du crédit menace de déclencher une vague de faillites parmi les entreprises, les fonds spéculatifs, les fonds d’investissement, et les principales banques commerciales et d’investissement à la fois aux Etats-Unis et de par le monde.

D’ores et déjà, les grandes banques réclament des marges bancaires pour les fonds spéculatifs instables qui sont fortement investis dans les prêts immobiliers et exigent que les prêts existant soient restructurés et les taux d’intérêt augmentés. Des rapports existent faisant état de ce que les banques restreignent l’attribution de prêts en général, en partie aussi pour renforcer leur propre défense contre l’éventualité de milliards de prêts consentis mais non honorés.

La chute brutale de mardi a été accélérée par des signes selon lesquels la crise du marché des prêts hypothécaires s’intensifie. L’organisme de crédit immobilier, American Home Mortgage Investment Corp., dixième plus important prêteur hypothécaire des Etats-Unis a annoncé qu’il pourrait être forcé de liquider ses actifs, entraînant ainsi l’effondrement du cours de son action de plus de 90 pour cent. L’entreprise a déclaré que les appels de la part de ses prêteurs, pour l’attribution de marges bancaires plus grandes, des revendications pour des cautions pour prêt ou pour de l’argent liquide, l’avaient mis dans l’impossibilité de financer les prêts.

De plus, deux assureurs de crédit immobilier ont révélé que leur participation financière combinée de plus d’un milliard de dollars dans le capital d’une compagnie de prêt appelée Credit-Based Asset Servicing and Securization, ou C-Bass, pourrait ne plus rien valoir. Tout comme American Home Mortgage, elle a été affectée par les appels à des marges bancaires émanant de Wall Street et des courtiers en crédit immobilier.

Finalement, la banque d’affaires américaine Bear Stearns qui avait été obligée en début d’année de fermer deux de ses fonds spéculatifs qui avaient lourdement investi dans des titres liés à des crédits hypothécaires à risque, a annoncé qu’un troisième fonds spéculatif avait subi des pertes en juillet et que des demandes de rachat de leur capital investi dans ces fonds n’avaient pas été honorées. La nouvelle que Bear Stearns Asset-Backed Securities Fund était en difficulté était d’autant plus inquiétante que le fonds d’un volume de 850 millions de dollars ne comprenait qu’une petite fraction, moins d’un pour cent, de ses investissements en prêts à risque. Ses difficultés confirment que les défauts de paiement et les saisies ne se limitent pas au secteur à haut risque des prêts immobiliers à risque, « subprime », mais se répandent au marché des emprunteurs de la catégorie « prime » et « near-prime », une clientèle au profil financier plus solide, voire moins à risque.

La portée internationale de la crise a été révélée par l’annonce faite mercredi par la banque d’investissement australienne Macquarie Bank à savoir que des investisseurs de détail de deux de ses fonds risquaient de subir des pertes de l’ordre de 25 pour cent. Et Deutsche Bank a dit qu’elle subirait des pertes en raison de la crise des prêts immobiliers à risque et de la crise du crédit en général.

Aux préoccupations sur un resserrement du crédit s’ajoutent des rapports négatifs sur l’économie en général. La croissance des entreprises américaines a ralenti de façon imprévue, selon l’indicateur de la production de juillet de l’Institute for Supply Management (ISM). L’indicateur de l’ISM manufacturier américain qui a reculé fortement à 53,8 sur le mois de juillet contre 56 en juin, a affiché la plus faible progression en quatre mois.

Selon l’Association nationale d’agents immobiliers, National Association of Realtors (NAR) américaine, les ventes américaines de logements existants ont augmenté de 5 pour cent à 102,4 en juin contre 97,5 en mai d’après un taux annuel ajusté sur la saison. Mais l’indice était inférieur de 8,6 pour cent par rapport au niveau de juin 2006.

Les constructeurs automobiles publient des résultats de ventes sensiblement inférieurs en juillet, en attribuant la régression à la baisse sur le marché du logement et les prix élevés de l’essence. General Motors a déclaré que les ventes de juillet des voitures de tourisme avaient chuté de 22 pour cent par rapport à l’année dernière. Ford a annoncé une baisse de 19 pour cent des ventes de voitures neuves et de camionnettes. Le Groupe Chrysler a communiqué une baisse de 8,4 pour cent, atteignant son niveau le plus bas en quatre ans et demi et Toyota a annoncé une baisse de 7,3 pour cent pour le mois en cours.

Un éditorial de Steven Pearlstein publié mercredi dans le Washington Post fait état des implications profondes de la crise du crédit qui sous-tend la situation fiévreuse des marchés boursiers. Pearlstein écrit :

« Des coûts plus élevés et une disponibilité plus restreinte de crédit est ressentie de par le monde, et a un impact sur les fonds spéculatifs en Australie, les banques en Allemagne, les compagnies pétrolières en Russie, les prix des marchandises en Afrique et le budget gouvernemental en Argentine.

« Au moment où cette soi-disant révision du taux des risques se développe, ne prêtez pas trop d’attention au marché boursier... La véritable action se passe sur les marchés de crédit où les obligations, les prêts bancaires, les contrats à terme et toutes sortes d’instruments dérivés super modernes sont négociés... Ce qui préoccupe les gens comme Buffett c’est de savoir combien de financement par endettement il y a sur les marchés de crédit et quel volume de dettes sert à racheter d’autres dettes.

« Dans le modèle simple d’antan, une banque empruntait surtout de l’argent à ses dépositaires pour le prêter à des ménages ou à des entreprises qui avaient besoin d’un prêt. Pour chaque dollar prêté, la banque devait mettre de côté une partie de ses propres réserves d’argent pour couvrir les pertes qu’elle pourrait endurer au cas où les emprunts n’étaient pas repayés.

« Mais, tout ceci a disparu avec la dérégulation et la montée de la manipulation financière. Les grandes banques empruntent à présent la plupart de l’argent qu’elles prêtent en vendant des titres aux investisseurs. Et la plupart des prêts qu’elles accordent, ne figurent pas dans leurs comptes mais sont immédiatement groupés à d’autres prêts (package) qui sont vendus à des acheteurs, tels les fonds spéculatifs.

Contrairement aux banques, les fonds spéculatifs ne sont soumis à aucune obligation de disposer d’un montant minimum de fonds propres, et donc ils peuvent acheter ces instruments (à savoir, accorder des prêts) avec autant d’argent emprunté qu’on veut bien leur prêter. Et, parce qu’ils ne sont pas tenus de déclarer leurs investissements, aucun régulateur ne sait combien de dettes se trouvent dans le système et où elles sont concentrées.

« Dans le cas d’une évaluation, par exemple, plus de la moitié des prêts servant à financer des rachats d’entreprises sont à présent regroupés à d’autres prêts et vendus comme ‘obligations collatéralisées’ (CDO). Parmi les grands acheteurs de CDO figurent des banques d’investissement qui les regroupent avec d’autres CDO pour les revendre à nouveau. Ceux-ci sont appelés CDOs-squared [des CDO au carré]. »

L’article poursuit en expliquant que « cette manipulation financière a encouragé l’accumulation des dettes les unes aux autres, rendant le système plus susceptible de s’emballer au cas où le crédit deviendrait subitement plus cher ou serait introuvable. Et c’est justement ce qui s’est passé au cours de ces dernières semaines. »

L’auteur signale ensuite ce qui se trouve au cœur de la crise, la vulnérabilité des grandes institutions bancaires face à d’éventuels défauts de remboursement de prêts. « Alors que ce grand spectacle du marché de crédit se déroule, » écrit-il, « les grandes banques et les sociétés d’investissement de Wall Street prennent les devants de la scène. Selon les gérants d’actifs de la banque Barings, ces institutions se sont engagées dans des prêts relais d’un montant de 500 milliards de dollars pour financer des rachats d’entreprises avec l’idée de pouvoir rapidement revendre leurs prêts et réaliser un bénéfice. Mais, plusieurs offres récentes ont dû être retirées faute d’acheteurs et il y a de fortes chances que les banques soient obligées soit de vendre à rabais nombre de ces prêts soit de les inscrire à leurs propres comptes en les dépréciant.

« L’ampleur de telles dépréciations ne deviendra apparente qu’à la troisième semaine d’octobre lorsque les banques et les courtiers communiqueront leurs revenus du troisième trimestre. Mais, si le marché des dettes liées aux rachats ne rebondit pas d’ici-là, ces institutions de premier ordre expertes en placement pourraient avoir à faire face à des pertes de l’ordre de quelques dizaines de milliards de dollars. »

Un article affiché mercredi sur le site Internet du Wall Street Journal Online remarque que les grandes banques réagissent déjà par un resserrement ou un retrait de crédit à d’autres sociétés à leur incapacité de revendre des prêts accordés aux fonds spéculatifs et aux fonds d’investissement qui sont impliqués dans les rachats d’entreprises. « Les grandes banques qui ont à faire face à la perspective de se trouver encombrées de milliards de dollars de dettes liées aux rachats d’entreprises, cet automne, » écrit le Journal, « commencent à restreindre brutalement les prêts de capitaux aux entreprises qui ont besoin de refinancer des prêts ou de restructurer leur bilan.

« Cette approche serrée montre combien la disposition des banques à soutenir les Leverage Buy Out (LBO) [méthode d’acquisition consistant à transférer les crédits contractés par les acheteurs sur l’entreprise acquise] durant la frénésie des affaires au gain facile de la première moitié de cette année pourrait faire du tort à des entreprises en quête de financements plus normaux vu qu’à présent les efforts indispensables au financement de ces opérations rencontrent des difficultés.

« Au moment où les banques réduisent les prêts à risque, les entreprises pourraient se voir privées de capital pour refinancer des prêts arrivant à échéance ou pour restructurer leurs affaires. La conséquence, disent les experts, est que certaines entreprises en difficulté pourraient être obligées de demander à être placées sous la protection de la loi américaine qui régit les faillites, développement qui ne fera qu’exacerber les turbulences sur le marché des obligations et qui pourrait se propager à l’économie en général. »

Voici le scénario d’une spirale qui se perpétue vers le bas, dans un effondrement aux proportions potentiellement gigantesques.

Barry Grey


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