Crise immobilière et financière : de l’excès au manque ( par Jean-Marie Harribey, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux IV, Co-président d’Attac)

samedi 29 septembre 2007.
 

La nouvelle crise financière qui secoue le monde à partir des Etats-Unis peut, au premier abord, être analysée comme le passage d’un excès de liquidités monétaires à un manque. Tout a été à peu près dit sur l’enchaînement des faits : crédits accordés aux ménages potentiellement peu solvables mais qui pouvaient espérer revendre plus cher leur immeuble à une époque où les prix de l’immobilier flambaient ; prise d’hypothèques par les banques qui les transforment immédiatement en produits financiers dont se saisissent des fonds spécialisés sur ce marché dit « subprime » en recourant le plus souvent eux-mêmes au crédit pour participer à la nouvelle bulle ; retournement du marché immobilier lorsque la hausse des taux met les ménages emprunteurs dans l’impossibilité de payer les intérêts et de rembourser le capital ; panique des fonds spéculatifs qui veulent « liquider » leurs titres en voie de pourrissement et dont ne veulent plus, bien sûr, les banques ; situation de manque de liquidités de l’ensemble du système bancaire et financier qui n’a plus qu’une solution, en attendant l’entrée en scène des banques centrales : liquider les portefeuilles d’actions ; menaces enfin sur l’économie réelle.

Cependant, au moins trois éléments n’ont pas été assez soulignés : l’action souterraine des banques centrales, la récurrence des enchaînements du monétaire et financier au productif dans l’histoire du capitalisme, l’exacerbation des contradictions de la mondialisation financière.

Depuis que, il y a trois décennies, la liberté totale de circuler a été accordée aux capitaux, les crises se répètent : 1987 (bourses), 1988 (caisses d’épargne américaines), 1998 (Asie, LTCM), 2000 (internet), 2001 (Argentine), 2007 (immobilier américain). Chaque fois, les banques centrales sortent le système de la crise en lui fournissant des liquidités en abondance, tout en clamant leur vigilance devant le risque inflationniste. L’exemple de la BCE est particulièrement significatif. Elle affiche officiellement une norme de progression de la masse monétaire M3 de 4,5% par an : 2,5 points pour couvrir la croissance économique moyenne dans la zone euro et 2 points pour couvrir l’inflation tolérée. Or, la masse monétaire de la zone euro augmente à un rythme annuel moyen de 10,9% (chiffres du 1er semestre 2007). Si l’on va dans le détail, la masse monétaire est répartie de la façon suivante : 47% de pièces, billets et dépôts à vue (M1), 38% de placements à vue (M2-M1) et 15% d’actifs financiers négociables (M3-M2). Mais la contribution de chacun de ces compartiments à la croissance du total est respectivement de 31%, 44% et 25%. Autrement dit, 69% des 10,9% de croissance de la masse monétaire sont dus aux liquidités qui alimentent les circuits purement financiers et non le système productif. La BCE, qui se targue d’indépendance, ne tolère guère l’inflation sur les biens et services mais est permissive vis-à-vis de l’inflation sur les actifs financiers.

Nous avons trop souvent la mémoire courte. La crise de 1929 avait été précédée d’une hémorragie de crédits accordés aux candidats actionnaires. 1987 avait vu la première crise postérieure à la mondialisation contemporaine frapper les économies capitalistes développées, alors que le Mexique avait essuyé les plâtres dès 1982. Ici, les banques centrales avaient alterné l’octroi en abondance de crédits pour sortir de la crise précédente, tout en créant les conditions du gonflement de la bulle spéculative suivante, et le durcissement dès que celle-ci devint inquiétante, avant d’ouvrir de nouveau les vannes. Le même scénario s’est reproduit durant la période 2001-2007.

Certes, les banques centrales ont compris la leçon de 1929. Elles ne font plus l’erreur de fermer le robinet du crédit lorsque la crise est là. Mais pourquoi le remède se transforme-t-il en poison ? Parce qu’il est induit, inoculé, par les mutations du capitalisme, l’exigence croissante de rentabilité et l’affectation principale des profits. Pour pouvoir participer à la restructuration du système productif, à la redistribution de la propriété du capital et à la répartition de la rente financière qui en résultent, l’imagination n’a pas manqué : rachat des actions par les sociétés qui les avaient émises, effet de levier pour profiter de l’écart entre taux de rentabilité économique réelle et taux d’intérêt, achat des entreprises à crédit pour les revendre une fois « dégraissées » (leverage buy out, LBO), titrisation et multiplication des produits financiers, etc. Mais on ne comprend l’installation sur les marchés financiers d’une norme de rentabilité de plus en plus élevée que si on boucle le circuit de l’économie et de la finance. Comme les salariés paient dans le monde entier la restructuration du capitalisme, la part des profits s’est globalement élevée jusqu’à atteindre un palier historique. Mais ces profits sont destinés prioritairement à servir des dividendes aux actionnaires, dividendes qui, sur le long terme, commandent la valorisation boursière et donc l’euphorie périodique des porteurs de capital qui pensent pouvoir gagner éternellement sur deux tableaux : sur les dividendes et sur la valorisation des titres. Pourquoi alors affecter les profits à l’investissement si la finance donne l’illusion d’engendrer de la richesse en dehors de toute réalité matérielle ?

Nous sommes parvenus à la fin d’un cycle : la délégitimation du néolibéralisme est en marche. Il faut au monde un contrôle draconien du mouvement des capitaux et une redomestication des banques centrales. Oikonomos, gestion domestique de la maison, disaient les Grecs. Or le Péloponnèse brûle. Et le capitalisme menace de tout embraser parce qu’il veut soumettre toutes les sociétés humaines et la nature à sa loi d’accumulation qui conduit à la suracccumulation pour les uns et à la pénurie pour les autres


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