30 janvier 1933 : Hitler devient le chancelier allemand. Responsabilités de Von Papen, dirigeant du Centre catholique, proche du futur Pie XII

mercredi 31 janvier 2024.
 

A) Du chancelier Von Papen (Centre catholique) à Hitler

par Jacques Serieys

L’accession légale d’Adolf Hitler (30 janvier 1933) à la tête des institutions politiques d’un Etat aussi important que l’Allemagne dans l’histoire de la civilisation humaine doit être analysée et comprise par tout humain cultivé, tout citoyen éclairé, tout militant formé.

Cinq grandes forces sociales ont contribué à cet évènement : le grand patronat (allemand et international), l’armée et autres forces de l’ordre, la droite classique allemande, l’Eglise catholique et des groupes protestants, les reliquats de la féodalité (junkers, courant lié à l’ancien Kaiser...).

Plusieurs articles déjà mis en ligne sur ce site détaillent ce rôle du patronat, de l’armée, de la droite, de l’Eglise et des milieux nobles dans la préparation du nazisme :

12 septembre 1919 : l’armée charge Hitler de construire le parti nazi

8 et 9 novembre 1923 Hitler tente le putsch de la brasserie

11 octobre 1931 Front de Harzburg (nazis, droite, patrons, militaires...)

Allemagne 1931 1932 Patronat, armée et droite marchent au nazisme

Parti nazi NSDAP : création, programme, progression, implantation, chefs, action politique

Un homme résume les intérêts communs de ces forces et symbolise la transition entre la république de Weimar et le Troisième Reich : Franz Joseph Hermann Michael Maria von Papen.

Les individus jouent évidemment un rôle important dans l’histoire, particulièrement en cristallisant des intérêts, des aspirations sur leur nom.

Tel est le cas pour Von Papen :

- d’une famille aristocratique, grande propriétaire terrienne allemande typique

- militaire formé dans la cavalerie, officier supérieur durant la Première guerre mondiale

- lié à la grande bourgeoisie, ne serait que par son épouse Martha Octavie Marie von Boch-Galhau (famille Villeroy et Boch)

- conservateur catholique au profil parfait, d’où sa relation d’amitié avec le cardinal Pacelli, nonce apostolique en Allemagne à l’époque, qui deviendra Pie XII.

Le 1er juin 1932, le président de la République allemande nomme Von Papen au poste de chancelier. Ce leader nationaliste traditionaliste du « Centre catholique », a de bonnes relations avec le cardinal Pacelli, futur Pie XII ; il va faciliter l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Il « représente en fait les grands intérêts industriels et s’efforce d’inclure les nationaux-socialistes (nazis) dans sa majorité » (encyclopédie Mourre).

Dès le 17 juin, il autorise officiellement l’existence des Sections d’assaut hitlériennes et leur laisse semer une terreur effroyable dans les quartiers ouvriers, réputés bastions socialistes et communistes. Dans toutes les provinces, toutes les villes, les manifestations nazies sont protégées par la police, sauf en Prusse dont le gouvernement est social-démocrate.

Le 20 juillet, Von Papen prend l’initiative d’un coup d’Etat à Berlin. Il destitue arbitrairement deux ministres puis envoie un chef de police, accompagné de 15 soldats arrêter le gouvernement social-démocrate prussien. Seul, le mouvement ouvrier réagit et des grèves éclatent sans cesse jusqu’en novembre.

Tout l’appareil d’Etat allemand ne passe pas d’un coup au service du nazisme. Un tribunal condamne à mort cinq hommes de main des Sections d’Assaut qui ont torturé mortellement un communiste en Silésie, criblant son corps de 35 balles devant sa mère forcée d’assister à la scène. Hitler lance une grande campagne de meetings où il se proclame « frère de sang » des meurtriers.

Aux élections législatives de novembre 1932, le parti hitlérien perd deux millions de voix et 33 députés. Le 2 décembre 1932, le général Schleicher, chef de l’armée remplace Papen au poste de chancelier. Son objectif essentiel est un réarmement de la nation allemande bafouée après la 1ère Guerre mondiale ; pour cela il souhaite un arrêt des affrontements entre droite et gauche, extrême droite et extrême gauche. Il libère donc des militants communistes mais aussi des centaines d’activistes nazis, en particulier de nombreux meurtriers sans aucun scrupule ; leurs groupes para-militaires multiplient aussitôt les assassinats de communistes, socialistes, syndicalistes, élus de gauche.

Le général Schleicher veut rester le dirigeant politique réel du pays ; aussi, il veut maîtriser les groupes nazis dont la nature sanguinaire effraie jusque dans l’armée. Malheureusement, Von Papen manœuvre en coulisses pour l’évincer et nommer Hitler chancelier (30 janvier 1933) à la tête d’un gouvernement droite extrême droite.

Dans la nuit du 27 au 28 février 1933, un simple d’esprit (probablement manipulé par les nazis) met le feu au Parlement allemand. Le président Hindenbourg suspend les libertés fondamentales pour permettre aux groupes d’assaut hitlériens et réactionnaires divers d’imposer une terreur de masse à l’encontre de toute la gauche. Environ 400000 communistes et socialistes sont arrêtés par la Gestapo.

Le premier génocide perpétré par le nazisme, entre 1933 et 1936, le fut à l’encontre de la gauche anticapitaliste allemande, en particulier les communistes du KPD. Dans les grandes villes, cette élimination physique sera systématique (au moins une condamnation par jour à Hambourg durant cette période, jusqu’à 1200 en 24 heures pour cette même ville).

28 février 1933 L’Allemagne devient un immense camp de concentration

9 mars 1933 Les bourreaux SA et SS nazis s’amusent du député social-démocrate Bernard Kuhnt

Dachau : Premier camp de concentration nazi 20 mars 1933

21 au 26 juin 1933 Semaine sanglante de Köpenick en Allemagne nazie

Jacques Serieys

B) 30 janvier 1933 : le désastre en Allemagne – Hitler nommé chancelier

par Memorial 98

Le 30 janvier est l’anniversaire de la nomination de Hitler comme chancelier. 80 ans après, cette date résonne encore comme l’avènement du régime le plus réactionnaire de l’histoire moderne.

Contrairement aux affirmations souvent entendues, les nazis ne sont pas arrivés au pouvoir suite à à une victoire électorale mais grâce à un coup de force institutionnel, dans un climat de violence et de division de la gauche.

Ainsi lors des derniers élections de 1932, à la présidentielle du 13 Mars, Hitler a obtenu 30,1% et a été battu au deuxième tour par Hindenburg. Lors des législatives de Juillet 1932, au summum de sa poussée, le parti nazi a obtenu 37,4 % des voix mais lors des législatives de Novembre 1932 (les dernières élections libres), il retombe à 33,1% en perdant 2 millions de voix. La nomination de Hitler comme chancelier en Janvier 1933 ne doit donc rien à choix démocratique. C’est le début de la destruction des libertés, accélérée par l’incendie du Reichstag.

Le président de la République, le vieux maréchal Paul Von Hindenburg (86 ans), charge Hitler, chef du parti nazi, de former le nouveau gouvernement allemand.

Cette nomination fait suite à des tractations entre l’ancien chancelier conservateur Franz Von Papen et le financier Schacht, qui représente les nazis.

Von Papen et les conservateurs espèrent se servir du Führer nazi pour enrayer la menace communiste. Son parti est en effet selon eux en perte de vitesse. Le nouveau chancelier constitue un gouvernement largement ouvert aux représentants de la droite. Il ne compte que trois nazis, Hitler compris. Von Papen est lui-même vice-chancelier. Faute de majorité absolue au Parlement, Hitler paraît loin de pouvoir gouverner à son aise.

Course à la dictature

Avec une rapidité foudroyante et par des moyens tout à fait illégaux, Hitler installe sa dictature.

Dès le lendemain de son investiture, Hitler dissout le Parlement (Reichstag) et prépare de nouvelles élections pour le 5 mars 1933. Il trace tout de suite ce que son chef de la propagande, Goebbels, nomme « les grandes lignes de la lutte armée contre la terreur rouge ».

Les miliciens de son parti, les Sections d’Assaut (SA), terrorisent l’opposition pendant la campagne électorale et commettent 51 assassinats. Ils bénéficient de la position-clé de l’un des principaux lieutenants de Hitler, Goering.

Nommé ministre de l’Intérieur du principal État allemand, la Prusse, ce dernier en profite pour manipuler la police, révoquer les fonctionnaires hostiles et placer des nazis aux postes essentiels.

Hitler fait planer le spectre de la « révolution bolchevique » mais celle-ci tardant à éclater, il décide de l’inventer. Le 24 février, une descente de police au siège du Parti communiste allemand permet à Goering d’annoncer la saisie de documents annonçant ladite révolution ; ces documents ne seront jamais publiés.

Comme toute cette agitation ne semble pas suffire à rallier une majorité de suffrages aux nazis, ces derniers décident en conséquence d’organiser une provocation.

Le 27 février 1933, à Berlin, le Reichstag (Parlement) prend feu. Dans l’immeuble du Reichstag, la police se saisit d’un néerlandais communiste et en apparence déséquilibré, Marinus van der Lubbe. Il sera considéré comme responsable de l’incendie et exécuté.

Il semble en fait que le soir du 27 février, un détachement de Sections d’Assaut (SA) nazies ait emprunté un passage souterrain menant de la demeure de Göring au Reichstag et y aurait répandu des produits hautement inflammables.

La présence de Van der Lubbe sur place au même moment, allumant de son côté de petits foyers d’incendie, aurait été le fruit d’une coïncidence, à moins que des agents nazis ne l’aient poussé à la faute.

Vers la dictature

Dès le lendemain, le 28 février, Goering attribue l’incendie à un prétendu complot communiste et fait arrêter 4000 responsables du Parti communiste allemand. Le même jour, il fait signer par Von Hindenburg un « décret pour la protection du peuple et de l’État » qui suspend les libertés fondamentales, donne des pouvoirs de police exceptionnels aux régions (Länder) et met fin aux libertés démocratiques.

Un dirigeant communiste bulgare, Georgi Dimitrov, est présenté comme la tête du complot. Il est jugé mais échappe à la mort car le procès tourne au désavantage du régime.

Le 23 mars 1933 est ouvert près de Munich, à Dachau, le premier camp de concentration ; des opposants politiques y sont internés. Les nazis peuvent dès lors mener une campagne électorale qui mêle terreur et propagande, sans qu’aucun opposant soit en mesure de se faire entendre.

Malgré cette pression, les élections du 5 mars 1933 ne donnent aux partis nationalistes regroupés autour des nazis qu’une courte majorité au Parlement. Les nazis eux-mêmes obtiennent 17 millions de voix (44%). C’est encore insuffisant pour que Hitler puisse modifier la Constitution en sa faveur. Il lui manque la majorité des deux tiers.

Les sociaux-démocrates conservent 7,2 millions de voix et les communistes 4,8 millions de voix. Le Zentrum, parti catholique du centre, accroît pour sa part le nombre de ses électeurs et avec son allié, le Parti catholique du peuple bavarois, obtient un total de 5,5 millions de voix.

Le 23 mars, l’Assemblée se réunit à Berlin, à l’Opéra Kroll. Elle se voit soumettre par Hitler un « décret d’habilitation » qui prévoit de donner au chancelier un pouvoir législatif exclusif pendant quatre ans, autrement dit le droit de gouverner et de légiférer sans l’accord des députés.

Les sociaux-démocrates refusent le vote du décret. Hitler, à la tribune, les couvre d’injures. Mais le chef du Zentrum, Monseigneur Ludwig Kaas, agissant sans doute sur ordre du Vatican, convainc son groupe parlementaire de voter pour Hitler, contre la vaine promesse que celui-ci respecterait le droit de veto du président Von Hindenburg. Fort de la majorité indispensable des deux tiers, Hitler dispose dès lors d’un pouvoir dictatorial sur la plus grande puissance d’Europe continentale.

Dès le 31 mars, faisant usage du décret d’habilitation, Hitler dissout les Diètes (ou assemblées législatives) des différents États qui composent la République allemande, à l’exception de la Prusse.

Une première campagne contre les Juifs deux mois après la prise du pouvoir

Dès l’accession de Hitler, de nombreuses attaques et agressions eurent lieu dans toute l’Allemagne ; les militants nazis, les SA et les SS multiplièrent les agressions.

Le 1er avril 1933, les Nazis franchirent un cap et lancèrent la première action planifiée d’ampleur nationale contre les Juifs : un boycott visant les professions libérales et les commerces.

Le boycott fut présenté comme un acte de représailles et de vengeance contre la prétendue "Gruelpropaganda’ (histoires d’atrocité) que les Juifs allemands et étrangers, aidés par des journalistes étrangers, étaient censés faire circuler dans la presse internationale pour porter atteinte à la réputation de l’Allemagne nazie.

Le jour du boycott, les soldats des « troupes d’assaut » (Sturmabteilung ; SA) organisèrent des piquets menaçants devant les magasins, grands et petits, qui appartenaient à des Juifs, et devant les bureaux des médecins et des avocats. L’étoile de David fut peinte en jaune et en noir sur des milliers de portes et de fenêtres, accompagnée de slogans antisémites. Les inscriptions disaient « N’achetez pas chez les Juifs » et « Les Juifs font notre malheur ». A travers toute l’Allemagne, des actes de violence furent perpétrés contre des Juifs ; la police n’intervint que très rarement.

« Autodafé des livres »

La dictature hitlérienne organise, le 10 mai 1933, sur la place de l’Opéra, face à l’Université de Berlin, un « autodafé rituel des écrits juifs nuisibles ». 20.000 livres sont brûlés. Parmi les auteurs voués au feu figurent Heinrich Heine, Karl Marx, Sigmund Freud, Albert Einstein, Franz Kafka, Stefan Zweig, Félix Mendelssohn-Bartholdy. Les œuvres des artistes « dégénérés », tels Van Gogh, Picasso, Matisse, Cézanne et Chagall, sont par ailleurs bannies des musées.

Avènement du IIIe Reich

L’année suivante, le 2 août 1934, le vieux président de la République allemande, le maréchal Paul Von Hindenburg décède.

Hitler profite de sa disparition pour réunir les fonctions de président et de chancelier. Il proclame l’avènement d’un IIIe Reich allemand dont il se présente comme le Führer (guide en allemand), avec un pouvoir dictatorial.

MEMORIAL 98

Source de l’article B) http://www.memorial98.org/article-3...

C) 30 janvier 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier du Reich

par Ernest Mandel (http://www.ernestmandel.org/new/ecr...)

Ainsi commença la page la plus noire de l’histoire de l’Europe des cent dernières années. La classe ouvrière et le mouvement ouvrier subirent une défaite écrasante. Ses organisations furent dissoutes, leurs dirigeants incarcérés et assassinés, ses libertés les plus élémentaires supprimées. La grève, les organisations syndicales interdites autant que la propagande pour les idées marxistes, socialistes ou communistes.

Les bottes qui écrasèrent d’abord l’échine des travailleurs allemands se firent bientôt entendre en Espagne, en Autriche, en Tchécoslovaquie. Même en augmentant brutalement le taux d’exploitation de la classe ouvrière allemande, l’impérialisme hitlérien ne put sortir de la grave crise qu’il traversait qu’en se lançant à corps perdu dans l’économie de réarmement et de guerre. La marche vers la Seconde guerre mondiale, que seule une révolution socialiste victorieuse aurait pu arrêter, devint irréversible après la défaite de la révolution espagnole. Le 1er septembre 1939 fut le résultat logique du 30 janvier 1933.

Le fascisme, enfant légitime du capitalisme

La barbarie fasciste, dont toute la génération qui a vécu les années ’30 et ’40 se souviendra à tout jamais, n’a rien de spécifiquement allemand ni rien de spécifiquement européen. Elle est le produit d’une société et d’un régime spécifiques.

Le capitalisme des monopoles a mis la puissance armée de l’Etat au service du profit des grandes entreprises. La concurrence sur les marchés s’articulait dorénavant par la voix des cannons, des blindés, des bombardiers. Le culte de la violence, de la guerre, du nationalisme, de « l’égoïsme sacré » ramenait vers la surface des consciences, des réflexes barbares que des siècles de civilisation étaient sensés avoir refoulés.

On commença par massacrer des Africains, des Indiens, des Arabes. On justifiait ces massacres en affirmant qu’il s’agissait de sauvages et de « sous-hommes ». Puis on découvrit de nouveaux « sous-hommes » en Europe, cette fois-ci : les Juifs, les Polonais, les Russes, les Slaves en général. La haine de la bourgeoisie occidentale à l’égard de Hitler est une haine-amour hypocrite. Elle lui reproche alors simplement de pratiquer en Europe – devenue champ de conquête impérialiste du capital – ce qu’elle avait pratiqué elle-même depuis longtemps sur d’autres continents.

Le fascisme est l’enfant légitime du capitalisme non seulement dans la mesure où il est inconcevable sans l’impérialisme, la guerre impérialiste, le nationalisme impérialiste, purs produits de la société bourgeoise. Il l’est encore dans un sens plus précis. C’est le grand capital qui a financé le parti nazi à partir d’un certain point de son essort. C’est le grand capital qui a froidement décidé de transmettre le pouvoir aux nazis. On connaît les étapes de cette décision, les personnes qui y étaient impliqués, les raisons conjoncturelles qui les ont poussés dans cette voie.

Certes, le fascisme n’est pas la forme d’Etat préférée de la bourgeoisie. Elle préfère des gouvernements avec des paravents démocratiques qui trompent plus facilement les travailleurs, permettent d’amortir par des réformes les explosions sociales et surtout, associent les représentants directs du grand capital à l’exercice quotidien du pouvoir.

Mais ce régime de démocratie parlementaire perd de ses fondements lorsque la société capitaliste est secouée par des crises économiques très profondes. Dès lors que toute possibilité d’accorder des réformes ou des concessions aux travailleurs disparaît et que la bourgeoisie ne peut trouver une issue, même à court terme, à la crise qu’en réduisant brutalement la part des salaires dans le revenu national, la démocratie bourgeoise devient un luxe superflu pour le régime. L’heure de la dictature sans masque a sonné.

La responsabilité de la social-démocratie

Dans les pays industrialisés, la classe ouvrière représente la majorité absolue de la nation. De par sa place dans la vie économique, elle détient un pouvoir potentiel immense. Elle peut arrêter tous les rouages de la production et des communications si elle agit collectivement et avec esprit de décision.

Pour écraser et atomiser une classe détentrice de pareil potentiel de combat, l’armée, la gendarmerie, la police, les instruments traditionnels des dictatures bourgeoises, ne suffisent plus. Il faut opposer aux millions d’hommes organisés par les syndicats et partis ouvrier d’autres milliers, organisés comme eux. Il faut des organisations de masse, instruments de la dictature. On peut les trouver au sein de la petite-bourgeoisie paupérisée et d’autres couches déclassées de la population.

Cette masse de petites gens n’est pas, par nature, fasciste. Seule une petite minorité parmi elle s’y trouve prédisposée psychologiquement, moralement et politiquement. La masse des commerçants et petits paysans ruinés, des chômeurs qui n’ont plus l’espoir de trouver encore un emploi, manquent de lucidité politique. Elle est poussée au désespoir par la crise économique. Elle veut à tout prix « que cela change ». Elle est prête à suivre la gauche comme la droite, à condition qu’elle manifeste une volonté et un désir réel de changement révolutionnaire.

C’est là qu’apparaît la responsabilité historique de la social-démocratie dans l’avènement du nazisme. Pour écraser dans l’oeuf les germes de la révolution socialiste qui émergèrent de la défaite de 1918 en Allemagne, les Noske et Cie avaient délibérément regroupé et armé les Freikorps et les bandes d’assassins d’extrême-droite. C’est là que se recruta la première génération des futurs chefs nazis et SS. Puis, ils s’étaient identifié avec un régime capitaliste de plus en plus malade, abandonnant l’une après l’autre toutes les positions du mouvement ouvrier, sous prétexte du « moindre mal », votant contre Hitler pour Hindenburg qui allait appeler Hitler à la chancellerie du Reich, acceptant sans tirer un coup de feu que le gouvernement légitime de l’Etat de Prusse qu’ils dirigeaient soit chassé par un lieutenant et six soldats.

Dans ces conditions, la masse des petits-bourgeois ruinés et désespérés se disait que ces gens-là n’étaient pas désireux ni capables de changer quoi que ce soit. En plus, ils apparaissent de plus en plus comme des perdants certains. Dans ces conditions, toute cette poussière humaine s’agglutina autour des nazis, espérant un changement radical de ce côté-là.

La social-démocratie avait éduqué les travailleurs dans l’esprit du respect de l’ordre et de la loi. Elle avait failli à son devoir élémentaire de rappeler sans cesse au monde du travail que sous le gant de velours de la démocratie parlementaire et de la « loi égale pour tous les citoyens », il y a la main de fer d’une classe dominante, prête à défendre son pouvoir et ses privilèges s’il le fallait au prix de flots de sang et d’une barbarie sans nom.

Confrontés avec la violence fasciste, les travailleurs tout juste éduqués pour aller aux urnes et pour se battre pour des salaires étaient désorientés. La social-démocratie appela au secours la police et la justice bourgeoises, au nom de la Constitution. La police et la justice bourgeoises, au moment décisif, se mirent du côté des nazis contre les travailleurs, piétinant en passant la Constitution. Les rapports de force décidèrent. La social-démocratie n’avait jamais appris aux travailleurs comment changer les rapports de force en jetant leur propre poids dans la balance, comme surent le faire les travailleurs espagnols en juillet 1936.

La responsabilité de Staline

Si le nazisme est l’enfant légitime de la bourgeoisie, si la social-démocratie a été son accoucheuse patentée, le stalinisme lui a prêté main forte dans cette oeuvre d’inconscience politique, pour laquelle l’humanité toute entière a dû payer un prix si élevé.

Au lieu de comprendre la menace mortelle qu’une prise du pouvoir d’Hitler allait représenter pour la classe ouvrière allemande, pour le mouvement ouvrier dans toute l’Europe, et pour l’Union Soviétique, Staline et les dirigeants du PC allemand à sa dévotion, se gargarisèrent de mots sur l’incapacité du nazisme à gouverner.

Ils accrurent le désarroi des travailleurs en appelant tour à tour les gouvernements conservateurs de Brüning, de Von Papen et de Von Schleicher « fascistes », minimisant ainsi le changement décisif que signifierait l’arrivée au pouvoir des nazis. Surtout, ils ne comprirent pas l’urgence d’opposer à la montée du nazisme un front unique avec la social-démocratie et avec toutes les organisations ouvrières, de la base au sommet. Ils allèrent loin, jusqu’à appuyer le plébiscite que les nazis avaient organisé contre le gouvernement de Prusse à direction social-démocrate.

Au lieu d’appeler à l’action commune des dirigeants et militants sociaux-démocrates, ils s’efforcèrent en vain de séparer les militants des dirigeants, appelant ces derniers « sociaux-fascistes », affirmant que la « social-démocratie et le fascisme sont des jumeaux et non des antipodes », proclamant même qu’il faudrait d’abord battre la social-démocratie avant qu’on pût écraser le nazisme. Au lieu de se battre ensemble contre Hitler, le staliniens et les sociaux-démocrates se firent battre séparément par lui.

A quelques exceptions près, seule la grande voix prophétique de Léon Trotsky clama dans le désert, de 1930 à 1939, de la Constantinople lointaine où l’avait exilé Staline, semaine après semaine, appelant travailleurs communistes et socialistes allemands à la lutte et à la résistance commune contre le nazisme. « Hitler au pouvoir, c’est l’écrasement de la classe ouvrière allemande, c’est l’assaut contre tout le mouvement ouvrier européen, c’est l’agression inévitable contre l’URSS » répéta-t-il sans cesse. Ces appels furent vains. Le prix payé pour ne pas avoir entendu cette voix qui réunit en elle toute la supériorité de l’analyse marxiste révolutionnaire a été très lourd.

Il ne faut pas que dans un quelconque pays, les travailleurs se laissent une fois de plus détourner de la seule voie de salut dans la lutte contre un fascisme montant : créer le front unique de toutes les organisations ouvrières, unifier leur rang de classe, n’abandonner aucune position sans combat, créer des milices de défense ouvrière contre les bandes fascistes, montrer à l’adversaire qu’il n’évitera pas la guerre civile quand il voudra s’attaquer aux libertés ouvrières, quand il voudra détruire les syndicats, les organisations politiques des travailleurs, le droit de grève, animer le monde du travail d’une volonté de combat et d’une confiance en lui-même qui le rendent invincible.


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