Les vrais dangers de l’autonomie des universités ( texte PRS national)

mercredi 28 novembre 2007.
 

La loi Pécresse sur les « libertés des universités » est la moins connue des 4 lois dont Sarkozy a exigé le vote en urgence l’été dernier. Sur les trois autres, la gauche a rapidement trouvé des angles de bataille : enterrement du droit de grève par la loi sur le service minimum, justice au rabais avec les peines automatiques créées par la loi sur la récidive et enfin injustice fiscale avec le « paquet fiscal » et ses 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus aisés. En passant en force sur les universités, Sarkozy espérait prendre de cours étudiants et enseignants en pleines vacances d’été. Sa manœuvre a failli fonctionner mais les étudiants confrontés à la rentrée à l’étranglement budgétaire de l’enseignement supérieur ont fini par se pencher sur cette loi dont on leur a vendu qu’elle allait résoudre les problèmes des universités sans que l’Etat ait à engager le moindre centime. Et en se penchant sur le détail de cette loi, ils ont découvert qu’elle organisait en fait la concurrence sauvage entre universités et la promotion des fonds privés comme substitut des budgets publics. De quoi aggraver encore le paysage déjà très inégalitaire de l’enseignement supérieur français.

L’Etat fantôme de la loi Pécresse

Alors que le texte de départ ne parlait que d’autonomie, la version finale de la loi parle désormais de « libertés » des universités. Et quand la ministre Pécresse a été interrogée sur le sens de cette « liberté » elle a répondu sans complexe que ce serait « la liberté pour les universités de définir leurs objectifs et de gérer les moyens nécessaires pour les réaliser. » Exit donc l’Etat lui-même et une éventuelle politique nationale d’enseignement supérieur, dont il n’est jamais question dans la loi. En faisant l’impasse sur toutes les questions brûlantes de l’échec en 1er cycle, du défi de la professionnalisation des formations, des inégalités qui déstabilisent le système, de l’hétérogénéité des formations qui le rendent illisible ou encore de la paupérisation étudiante, la loi Pécresse a voulu faire comme si dorénavant plus aucune question universitaire ne relevait plus de l’intérêt général du pays. Ce sont les problèmes des universités, à elles de les régler ! Cette pirouette libérale a fait comme si désormais les universités s’appartenaient à elles-mêmes. Mais c’était sans compter avec les attentes concrétes des étudiants qui ont cruellement ramené le débat à des exigences communes qui dépassent le cadre de chaque université et que seule une politique nationale peut résoudre. Mais non seulement la loi Pécresse ne propose aucun objectif ni aucun moyen nationaux pour l’enseignement supérieur, mais en plus elle ampute l’Etat du peu d’outils de pilotage dont il disposait encore sur l’offre de formation supérieure. Avec l’article 11 de la loi, les contours des différentes formations (UFR) pourront désormais être modifiés par simple délibération du conseil d’administration et non plus par un arrêté du ministère. Avec le risque d’aggraver l’hétérogénéité des découpages universitaires dont la Cour des comptes ne cesse pourtant de dénoncer l’opacité et l’illisibilité au détriment de la valeur des qualifications acquises aux yeux des employeurs. Et celui celui d’offrir aux universités le moyen de se débarrasser de formations qui leur sembleraient peu attractives ou trop onéreuses, sans que l’Etat n’ait rien à dire. Se retrouvent ici les caractéristiques fondamentales du basculement dans un modèle marchand. L’université, à la manière d’une entreprise, sera désormais libre de choisir et d’adapter l’offre proposée aux étudiants devenus clients et aux entreprises devenues financeurs, à condition que cette offre soit rentable.

Autonomie et globalisation : la gestion des universités comme des entreprises

Avec les articles 15 et 16, les universités auront la possibilité de recevoir leurs dotations d’Etat sous forme d’un budget global incluant la masse salariale. Cette disposition s’appliquera obligatoirement à toutes les universités dans 5 ans (Art 32). Ce qui signifie que les universités seront alors libres de recruter, de gérer et de rémunérer leurs personnels. Quant au président, dont les pouvoirs vont être considérablement renforcés par la loi, il pourra attribuer des primes comme il le souhaite à tout le personnel. L’Etat reporte ainsi sur les universités les arbitrages qu’il n’arrive plus à effectuer lui-même au niveau nationale en situation de pénurie : aux universités désormais de choisir leurs priorités entre les personnels administratifs et techniques et les enseignants, entre le 1er et le 2nd cycle, entre la formation et la recherche, entre l’équipement et l’emploi. La globalisation budgétaire est ainsi un puissant moyen pour l’Etat d’accélérer son désengagement en masquant déficits et pénuries dans le budget désormais « global ». Dans cette logique, seuls des sacrifices permettront de dégager des marges de manœuvre. Avec des effets pervers inattendus à la clef : le président d’université bon gestionnaire aura par exemple tout intérêt à se débarrasser des enseignants statutaires qui ont le plus d’ancienneté et donc qui reviennent plus cher. Et il sera pour lui plus judicieux d’embaucher principalement des contractuels dont la progression salariale n’est pas garantie dans le temps par un statut. Sans parler de l’impact scientifique que cette mutation peut engendrer : selon des études menées sur le système britannique, la généralisation des statuts précaires des enseignants chercheurs a conduit à un rétrécissement des champs d’études et à un éclatement des travaux de recherches fortement nuisible au progrès scientifique. Au total, ces nouveaux modes de gestion mettent en place un véritable marché des enseignants chercheurs, à l’image de celui des footballeurs que se disputent les clubs dans une surenchère stérile.

L’ouverture aux fonds privés et la marchandisation du patrimoine universitaire

Dernier étage de la fusée du grand marché universitaire concurrentiel, les universités pourront désormais créer des fondations qui leur permettront de collecter des financements privés, provenant d’entreprises ou d’autres personnes privées (art 23). Grâce à l’article 28, ces financeurs privés pourront bénéficier de réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers ou d’impôt sur les sociétés pour les entreprises. On mesure ici toute l’ambition idéologique de la loi Pécresse : l’Etat n’est plus prêt à investir directement dans les universités mais il veut bien faire des cadeaux fiscaux à de riches contribuables pour qu’ils financent celles-ci à sa place. Le résultat est connu d’avance : à la hiérarchie des financeurs (de la firme multinationale qui peut placer plusieurs millions d’euros sur le marché universitaire à la PME qui n’en a que quelques milliers) va correspondre une hiérarchie des universités, qui seront très inégalement placées dans la course aux fonds privés, selon leur localisation, leur profil disciplinaire (les sciences du vivant seront rentables mais pas les sciences sociales) ou leur prestige et leur histoire. Au final, les flux privés les plus conséquents iront logiquement aux universités déjà les mieux dotées. Sans parler des effets de sélection des formations et des travaux de recherche que cela va induire à moyen terme sous l’effet d’un système économique tourné vers le court terme, de manière radicalement incompatibles avec les horizons longs de certains programmes de recherche. L’inégalité devant les fonds privés sera encore aggravée par deux autres dispositions. D’une part l’octroi à terme des financements publics aux universités « en fonction de leurs résultats en matière d’accès de leurs étudiants au diplôme et d’insertion de leur diplômés sur le marché du travail » (Sarkozy), qui ne pourra qu’enfoncer un peu plus les établissements défavorisés. D’autre part la possibilité pour les universités de se faire transférer par l’Etat la pleine propriété de leurs locaux et de les vendre ou de les valoriser comme elles le veulent (articles 24 et 25). Un dispositif qui va bénéficier aux grandes universités parisiennes ou des grandes villes de province dont le patrimoine est beaucoup plus précieux que celui des petites universités. De quoi creuser encore les inégalités déjà existantes. Sans parler des effets pervers dans l’utilisation des locaux, comme le risque que la location commerciale d’une partie des locaux soit plus rentable que leur affectation à des formations peu pourvoyeuses de financements privés.


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