Gaza : bombarder et infliger une famine

mercredi 10 avril 2024.
 

Israël a interdit à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, l’UNRWA, d’accéder à la population du nord de la bande de Gaza, où l’on estime qu’une grande famine est imminente.

Dans l’ensemble de l’enclave palestinienne, qui s’étend sur 360 km carrés, l’insécurité alimentaire est aujourd’hui très importante. Mais la situation est pire dans les gouvernorats de Gaza Nord et de Gaza, où la situation est évaluée au niveau le plus élevé de la norme internationale IPC5 (Integrated Food Security Phase Classification), qui représente la « catastrophe/famine ».

Ce niveau est défini comme « une zone où au moins 20% des ménages sont confrontés à un manque extrême de nourriture, où au moins 30% des enfants souffrent de malnutrition aiguë et où deux personnes sur 10 000 meurent chaque jour de faim pure et simple ou de l’interaction de la malnutrition et de la maladie ». [La famine est un processus qui se développe sur des mois, avec de plus des effets à long terme sur les populations frappées. Une fois la famine enclenchée, les livraisons ne stoppent pas de suite cette tragique dynamique. Donc, la temporalité est décisive. Ainsi le blocus des livraisons et la quasi-destruction de l’UNRWA relèvent d’une volonté d’infliger à la population de Gaza une famine, avec ses dynamiques – Réd.]

Les gouvernorats intermédiaires de Deir al-Balah et de Khan Younès, ainsi que Rafah dans le sud, sont actuellement classés dans la catégorie IPC4, ou « urgence ». Cela signifie que ces régions présentent d’importants déficits de consommation alimentaire, qui se traduisent par une malnutrition aiguë et une surmortalité très élevées.

Une catastrophe en cours

Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) a été élaboré par les Nations unies en 2004 pour la Somalie. Elle est élaborée et mise en œuvre par un partenariat mondial de 10 organisations [2].

Elle permet aux organisations gouvernementales et non gouvernementales d’évaluer les situations à l’aide d’une mesure scientifique, ce qui permet aux décideurs de prendre des décisions éclairées rapidement et avec précision dans des situations d’extrême urgence, comme c’est le cas à Gaza en ce moment.

Selon le classement IPC le plus récent, publié le 18 mars et basé sur des données recueillies au cours du mois précédant le 15 mars, 677 000 personnes à Gaza relevaient de l’IPC5, c’est-à-dire dans une situation « catastrophique ». Quatre-vingt-sept mille autres personnes relevaient de l’IPC4, c’est-à-dire dans une situation « d’urgence ».

Quelque 578 000 personnes relevaient de l’IPC3 ou « crise » et 90 000 dans l’IPC2 ou « sous pression ». Aucune personne à Gaza n’a été jugée en « sécurité alimentaire ».

Mais la situation s’aggrave de jour en jour. D’ici juillet, on prévoit que 1 107 000 personnes seront confrontées à une catastrophe de niveau IPC5, 854 000 personnes à une situation d’urgence de niveau IPC 4 et 265 000 personnes à une crise de niveau IPC3.

Outre le manque d’accès à une nourriture suffisante, la qualité des aliments disponibles est également une préoccupation majeure. La « faim cachée » [carence en micronutriments avec impact sur la croissance et le développement des enfants et adolescents] suscite de vives inquiétudes. Il s’agit du cas où, même lorsque les gens ont un certain accès à la nourriture, ils reçoivent une quantité insuffisante de nutriments essentiels.

Le rapport décrit en détail l’urgence de la situation nutritionnelle dans le nord de Gaza, où l’on estime qu’en janvier 2024, 98% des enfants ne consommeront que deux groupes alimentaires ou moins, à savoir le lait maternel et les œufs.

Le rapport a constaté que les légumineuses, les fruits et légumes riches en vitamine A, les autres légumes, les céréales, la viande et les produits laitiers avaient « presque complètement disparu du régime alimentaire quotidien » des enfants examinés.

Il convient de noter que 95% des femmes enceintes et allaitantes avaient elles-mêmes consommé deux groupes d’aliments ou moins le jour précédent. Un régime alimentaire équilibré est essentiel pour les femmes enceintes et allaitantes, car il a un impact direct sur leur santé, la croissance et le développement des enfants à naître et des nourrissons, le rétablissement post-partum et la qualité du lait maternel produit.

Si ces conditions sont les plus critiques dans le nord de Gaza, elles se retrouvent dans l’ensemble de la bande de Gaza avec une gravité variable.

L’effondrement des soins de santé

Les conséquences de ce manque d’aliments nutritifs se manifestent de plus en plus par une augmentation des problèmes de santé évitables, en particulier chez les enfants. Compte tenu de l’effondrement des services de soins dans la majeure partie de la bande de Gaza, le rapport indique qu’il n’a pas pu obtenir suffisamment d’informations sur la santé de la population pour « atteindre un échantillon minimum permettant d’exploiter les informations ».

Toutefois, l’Organisation mondiale de la santé a signalé une forte augmentation des cas de jaunisse aiguë, d’infections respiratoires aiguës, de diarrhée sanglante, de diarrhée, de méningites et de maladies de la peau. Les attaques contre les hôpitaux et les cliniques, telles que les sièges des hôpitaux Al-Amal et Nasser dans la ville de Khan Younès, au sud du pays, et l’attaque contre Al-Shifa au début du mois, ne feront qu’exacerber la situation. [Le 24 mars, les forces d’occupation occupaient à nouveau les hôpitaux Al-Shifa, Al-Amal et Nasser. – Réd.]

Le commissaire général de l’Unwra, Philippe Lazzarini, a qualifié de « scandaleuse » la suspension par Israël des livraisons d’aide dans le nord de la bande de Gaza et a déclaré qu’il s’agissait d’un plan intentionnel visant à « entraver l’assistance vitale pendant une famine créée par l’homme ». [Voir texte de la déclaration ci-dessous.]

Que peut-on faire ?

Le comité d’examen de la famine de l’IPC (FRC-Famine Review Committee) estime qu’un cessez-le-feu est le seul moyen d’atténuer cette famine imminente. La fourniture de nourriture et d’aide médicale doit être augmentée de toute urgence.

Les attaques contre les hôpitaux et les installations sanitaires doivent cesser. Et toute initiative humanitaire doit garantir qu’en plus de la fourniture de l’aide, l’accès commercial à la nourriture et aux médicaments soit rétabli de toute urgence.

Il est également essentiel que les organisations humanitaires soient protégées et autorisées à recueillir des informations actualisées sur l’état de la crise, afin que les ressources puissent être affectées là où elles sont le plus nécessaires. Mais pour le moment il n’y a guère de signes en ce sens. [Nous reviendrons demain sur la résolution adoptée le 25 mars par le Conseil de sécurité, sur son « application » et sur les négociations entre Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense et l’administration Biden, le 26 mars, pour l’obtention accélérée d’armement. – Réd.]

Nnenna Awah, Department of Food and Nutrition, Sheffield Hallam University.


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