Gaza : 25 ONG dénoncent le « cynisme » des États occidentaux

mardi 26 mars 2024.
 

À l’heure où la bande de Gaza meurt de faim, les organisations humanitaires appellent les États, prompts à parachuter des colis alimentaires ou à promettre un port flottant tout en continuant à vendre des armes à Israël, à réclamer d’abord un cessez-le-feu.

1) Gaza : les largages aériens et les routes maritimes ne peuvent pas être une alternative à l’acheminement de l’aide par voie terrestre

Médecins Sans Frontières

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Alors que les décès liés à la malnutrition et les maladies augmentent, 25 ONG appellent les gouvernements à exiger en priorité un cessez-le-feu et un acheminement de l’aide humanitaire par voie terrestre.

Les associations de droits humains et organisations humanitaires présentes dans la bande de Gaza ne cessent de répéter depuis le début des hostilités que la seule manière de répondre aux besoins humanitaires sans précédent dans l’enclave est d’obtenir un cessez-le-feu immédiat et permanent et un accès complet et sans entrave pour l’aide humanitaire, par tous les points de passage terrestres. Les États ne peuvent se cacher derrière les largages aériens et un corridor maritime pour créer l’illusion qu’ils répondent adéquatement aux besoins à Gaza. Leur principale responsabilité est d’empêcher la perpétration de crimes atroces et d’exercer une pression politique efficace afin de mettre un terme aux bombardements incessants et aux restrictions qui empêchent l’acheminement sécurisé d’aide humanitaire.

Depuis des mois, la bande de Gaza fait face à un niveau d’insécurité alimentaire critique : la proportion de la population en situation de crise alimentaire est la plus grande jamais enregistrée sur l’échelle IPC, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire. Cela fait des mois que des familles boivent de l’eau insalubre et passent des jours sans manger. Le système de santé s’est complètement effondré en plein pic d’épidémies et de blessures graves dues aux bombardements incessants. Récemment, au moins vingt enfants sont morts de malnutrition aigüe, de déshydratation et de maladies connexes. Alors que la situation alimentaire et sanitaire se dégrade de plus en plus chaque jour, le nombre de personnes mourant de faim et de maladie ne va faire qu’augmenter si l’accès humanitaire continue d’être bloqué par les autorités israéliennes. L’ONU a alerté sur le fait que la population est au bord de la famine.

Largages aériens insuffisants

Alors que les États ont récemment intensifié les largages aériens d’aide à Gaza, les professionnels humanitaires soulignent que cette méthode d’acheminement à elle seule n’est en aucun cas en mesure de répondre aux immenses besoins dans l’enclave. 2,3 millions de personnes survivant dans des conditions désastreuses ne peuvent être nourries et soignées par des largages aériens.

Les largages aériens ne peuvent fournir les mêmes volumes d’aide humanitaire que le transport par voie terrestre. Alors qu’un convoi de cinq camions peut transporter environ 100 tonnes de nourriture et de matériel indispensable à la survie des populations, les derniers largages aériens n’ont pu livrer que quelques tonnes chacun. Les largages aériens sont également susceptibles d’être extrêmement dangereux pour les vies des civils en quête d’aide : à Gaza, au moins cinq personnes ont été tuées par des colis d’aide humanitaire en chute libre. L’assistance humanitaire ne peut pas être improvisée : elle doit être délivrée par des équipes professionnelles, dotées d’une expertise en matière d’organisation des distributions et de services de soins vitaux. La délivrance de l’aide doit avoir un visage humain ; non seulement pour être capable d’évaluer correctement les besoins de la population touchée, mais également pour redonner espoir et dignité à une population traumatisée et désespérée. Après avoir enduré cinq mois de bombardements incessants dans des conditions de vie déshumanisantes, les enfants, les femmes et les hommes de Gaza ont droit à d’avantage qu’une charité insuffisante jetée depuis le ciel. Bien que toute aide humanitaire arrivant à Gaza soit la bienvenue, les voies aérienne et maritime doivent être considérées comme un complément au transport terrestre, et ne peuvent en aucun cas remplacer l’aide délivrée par les routes terrestres.

Il est important de souligner que certains des États qui ont mené des opérations de largage d’aide fournissent aussi des armes aux autorités israéliennes, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Les États ne doivent pas exploiter l’aide humanitaire pour contourner leurs responsabilités et obligations en vertu du droit international ; y compris la prévention de crimes atroces. Pour que les États remplissent leurs obligations prévues par le droit international, ils doivent cesser tout transfert d’armes risquant d’être utilisé pour commettre des crimes internationaux. Ils doivent également mettre en place des mesures sérieuses afin d’imposer un cessez-le-feu immédiat, garantir un accès humanitaire sans entrave et tenir les coupables pour responsable.

Points de passage terrestres essentiels

Des États tiers ont récemment annoncé des efforts pour ouvrir un corridor maritime à partir de Chypre, dont la création d’un port flottant sur la rive de Gaza qui ne sera pas opérationnel avant plusieurs semaines. Des familles entières meurent de faim et ne peuvent pas attendre la construction d’infrastructures côtières : pour sauver leurs vies, les camions remplis de nourriture et de médicaments, actuellement interdits de pénétrer dans Gaza, doivent être autorisés à rentrer sur le territoire immédiatement. En outre, les envois depuis Chypre vers les points de distribution autour de Gaza seront confrontés aux mêmes obstacles que rencontrent actuellement les convois d’aide en provenance de Rafah : une insécurité persistante, un taux élevé de refus d’accès par les forces israéliennes et des temps d’attente excessifs aux postes de contrôle israéliens. Par conséquent, sa création n’aura aucun effet réel sur la situation humanitaire catastrophique, à moins qu’elle n’aille de pair avec un cessez-le-feu immédiat et un plein accès sans entrave à toutes les zones de la bande de Gaza. Le manque de transparence quant à l’entité qui sera responsable de l’infrastructure et de la sécurité de l’acheminement de l’aide à terre suscite également des inquiétudes : les États doivent veiller à ce que le corridor maritime ne légitime pas une occupation militaire terrestre israélienne prolongée de la bande de Gaza instrumentalisant l’acheminement de l’aide.

Au cœur de ce contexte dramatique, nous reconnaissons que toute aide est nécessaire mais nous alarmons sur les conséquences potentiellement dévastatrices de la création d’un dangereux précédent conduisant à la dégradation de l’accès humanitaire terrestre et à la poursuite des hostilités. La réponse humanitaire appropriée aux immenses besoins à Gaza est celle d’un accès sans entrave pour le personnel et l’aide humanitaire prépositionnés depuis des mois du côté égyptien de la frontière. Jusqu’à présent, les autorités israéliennes sont les seules à décider si 2,3 millions de personnes à Gaza peuvent manger, être soignées et avoir un toit au-dessus de leur tête : cette situation ne peut demeurer incontestée. Les organisations humanitaires ont la capacité logistique d’aider les Palestiniens à Gaza : il ne manque que la volonté politique des États pour faire respecter l’accès.

Les organisations humanitaires attendent des États tiers qu’ils utilisent d’urgence leur influence pour obtenir un cessez-le-feu immédiat et obliger les autorités israéliennes à mettre fin à leur blocus délibéré de l’aide humanitaire dans toutes les zones de la bande de Gaza, notamment par l’ouverture totale et la levée des restrictions aux points de passage de Rafah, Kerem Shalom / Karam Abu Salem, Erez / Beit Hanoun et Karni. Nous rappelons que seul un cessez-le-feu immédiat et permanent pourra permettre l’augmentation colossale du flux d’aide humanitaire nécessaire afin de soulager la souffrance de 2,3 millions de personnes dans la bande de Gaza.

Signataires

Action Aid International ; American Friends Service Committee ; Amnesty International ; Association of Italian NGOs ; CCFD-Terre Solidaire ; CISS - Cooperazione Internazionale Sud Sud ; DanChurch Aid ; Danish House in Palestine ; Danish Refugee Council ; HelpAge International ; Humanity & Inclusion - Handicap International ; IM Swedish Development Partner ; International Federation for Human Rights ; INTERSOS ; Medical Aid for Palestinians ; Mennonite Central Committee ; Médecins du Monde International Network ; Médecins Sans Frontières France ; Oxfam ; Plan International ; Première Urgence Internationale ; Secours Islamique France ; Terre des Hommes Italy ; War Child Alliance ; Welfare Association ; Terre des Hommes Lausanne.

2) Gaza : 25 ONG dénoncent le « cynisme » des États occidentaux

« Les États ne peuvent se cacher derrière les largages aériens et un corridor maritime pour créer l’illusion qu’ils répondent adéquatement aux besoins à Gaza. » Dans un communiqué commun, 25 associations de droits humains et organisations humanitaires appellent les gouvernements « à exiger en priorité un cessez-le-feu et un acheminement de l’aide humanitaire par voie terrestre » dans l’enclave palestinienne assiégée et bombardée sans discontinuer depuis cinq mois.

À l’heure où la catastrophe sanitaire et alimentaire ne cesse de s’aggraver, Israël ayant recours, en plus des bombes, à l’arme de la famine, les ONG renvoient les États à leur « principale responsabilité » : « empêcher la perpétration de crimes atroces et exercer une pression politique efficace afin de mettre un terme aux bombardements incessants et aux restrictions qui empêchent l’acheminement sécurisé d’aide humanitaire ».

Parmi les signataires, des ONG présentes sur place qui ne cessent de témoigner de l’impossibilité d’exercer leur mandat humanitaire, notamment Médecins sans frontières (MSF), tant elles font face à des entraves multiples de la part des autorités israéliennes.

Cette prise de parole intervient alors qu’une coalition internationale emmenée par l’Union européenne, les États-Unis et les Émirats arabes unis a annoncé, vendredi 8 mars, l’ouverture prochaine d’un corridor maritime entre l’île de Chypre et la bande de Gaza (distantes de 380 kilomètres) pour acheminer l’aide humanitaire dans l’enclave où 2,4 millions de personnes survivent dans des conditions épouvantables et où plus de 31 000 Palestinien·nes ont été tué·es, majoritairement des civils, en l’occurrence des femmes et des enfants.

« Après avoir enduré cinq mois de bombardements incessants dans des conditions de vie déshumanisantes, les enfants, les femmes et les hommes de Gaza ont droit à davantage qu’une charité insuffisante jetée depuis le ciel, réclament les vingt-cinq ONG. Bien que toute aide humanitaire arrivant à Gaza soit la bienvenue, les voies aérienne et maritime doivent être considérées comme un complément au transport terrestre, et ne peuvent en aucun cas remplacer l’aide délivrée par les routes terrestres. »

Des colis aux Palestiniens, des armes aux Israéliens

Les signataires pointent, comme de nombreux acteurs et observateurs, l’aberration opérationnelle d’un port flottant sur la rive de Gaza qui nécessite plusieurs semaines de construction et sera, selon eux, « sans aucun effet réel sur la situation humanitaire catastrophique », alors qu’il suffit de contraindre l’État hébreu à ouvrir les points de passage terrestres bloqués par son entremise (Rafah, Kerem Shalom/Karam Abu Salem, Erez/Beit Hanoun et Karni) pour laisser passer les centaines de camions remplis de nourriture et de médicaments, qui attendent depuis des semaines.

Les ONG préviennent également que « les envois depuis Chypre vers les points de distribution autour de Gaza seront confrontés aux mêmes obstacles que rencontrent actuellement les convois d’aide en provenance de Rafah : une insécurité persistante, un taux élevé de refus d’accès par les forces israéliennes et des temps d’attente excessifs aux postes de contrôle israéliens ».

Un premier bateau chargé de vivres a accosté à Gaza

Le premier bateau amenant de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza via un couloir maritime ouvert depuis Chypre a commencé vendredi à décharger sa cargaison de 200 tonnes de vivres sur la côte du territoire palestinien, a indiqué à l’AFP la porte-parole de l’ONG en charge de l’opération. World Central Kitchen « décharge la barge qui est désormais connectée à la jetée » temporaire construite au sud-ouest de Gaza-Ville, après avoir été remorquée depuis Chypre par le navire éponyme de l’ONG espagnole Open Arms, a déclaré Linda Roth.

Dans un communiqué, l’armée israélienne a indiqué que des troupes avaient « été déployées pour sécuriser la zone ». « Le bateau a été soumis à un contrôle de sécurité complet », a ajouté l’armée qui a tenu à souligner que l’entrée d’aide humanitaire « ne viole pas » le blocus auquel est soumise la bande de Gaza depuis 2007.

Parti mardi 12 mars de Chypre, le bateau d’Open Arms transporte 300 000 repas.

« Tout est bon à prendre mais encore une fois, ce bateau porte l’équivalent de cinq à dix camions qui sont prépositionnés par centaines côté égyptien, rappelle le vice-président de Médecins du monde, Jean-François Corty. Israël doit ouvrir les accès terrestres. Il en va de la vie de 2,4 millions de personnes. » Il alerte sur le risque de mortalité importante et de pillage que représente l’envoi d’une aide sous-dimensionnée et sans équipes professionnelles sécurisées.

Elles s’inquiètent encore du « manque de transparence quant à l’entité qui sera responsable de l’infrastructure et de la sécurité de l’acheminement de l’aide à terre ». Leur crainte ? « Que le corridor maritime légitime une occupation militaire terrestre israélienne prolongée de la bande de Gaza, instrumentalisant l’acheminement de l’aide. »

Sans détour, les ONG condamnent le cynisme humanitaire de pays prompts à larguer à l’aveugle des colis alimentaires sur les plages gazaouies (une aide bien plus coûteuse que celle acheminée au sol, et dangereuse – au moins cinq Palestiniens ont été écrasés sous un immense colis américain dont les parachutes ne s’étaient pas ouverts), tout en continuant de fournir des armes aux autorités israéliennes.

C’est une manière de gagner du temps pour l’Occident, incapable d’exiger d’Israël de cesser de massacrer des personnes civiles.

François Audet, professeur au Canada, dans « La Presse »

Elles citent le cas notamment des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. « Les États ne doivent pas exploiter l’aide humanitaire pour contourner leurs responsabilités et obligations en vertu du droit international ; y compris la prévention de crimes atroces. Pour que les États remplissent leurs obligations prévues par le droit international, ils doivent cesser tout transfert d’armes risquant d’être utilisé pour commettre des crimes internationaux. »

Dans le journal La Presse, François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH), professeur à l’université du Québec à Montréal, abonde dans leur sens et parle de poudre aux yeux au sujet du projet de port temporaire, « alors que des centaines de milliers de civils se font massacrer ».

« Pour l’Occident, qui sous-estime les conséquences du drame à court terme, mais surtout à long terme, il s’agit d’une tentative politique pour démontrer qu’on “essaie quelque chose”, comme s’il ne pouvait rien faire d’autre, écrit-il. En somme, c’est une manière de gagner du temps pour l’Occident, incapable d’exiger d’Israël de cesser de massacrer des personnes civiles au nom de l’autodéfense. »

Emblématique est le cas des États-Unis, dont le président, Joe Biden, est sous pression d’une partie de son électorat à quelques mois de l’élection présidentielle, et qui livrent bombes, munitions et soutien financier à Israël, s’opposent par veto au Conseil de sécurité de l’ONU aux demandes de cessez-le-feu et, dans le même temps, lancent la construction d’une jetée temporaire à visée humanitaire au large de la bande de Gaza.

Le rôle déterminant des États-Unis

Une enquête du Washington Post, publiée début mars, révèle l’envoi en toute discrétion de « plus de 100 cargaisons d’armes à Israël depuis le début de la guerre à Gaza, équivalant à des milliers de munitions à guidage de précision, de bombes de petit diamètre, de bombes antibunkers et d’armes légères ». Soit une « implication massive de Washington » qui, dans le même temps, durcit le ton de ses critiques envers la stratégie guerrière du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.

« La campagne militaire israélienne ne pourrait pas se maintenir sans ce niveau de soutien américain », assure dans cette enquête Jeremy Konyndyk, ancien haut responsable de l’administration Biden et actuel président de l’ONG Refugees International. Si l’armée israélienne est dépendante des États-Unis, l’inverse est aussi vrai : les intérêts stratégiques américains au Proche et au Moyen-Orient passent par Israël.

Les deux seules ventes officielles de matériel militaire américaine à Israël depuis le 7 octobre 2023 représentent, la première, un montant de 106 millions de dollars pour des obus de chars, la seconde, 147,5 millions de dollars pour des composants nécessaires à la fabrication d’obus de 155 mm. L’administration Biden avait alors invoqué « des pouvoirs d’urgence » et autorisé la vente sans l’aval du Congrès.

« Le cynisme des États-Unis est au plus haut. Ils cherchent à masquer leurs responsabilités politiques pour ne pas avoir à se positionner de manière plus frontale vis-à-vis d’Israël malgré l’alerte de la Cour internationale de justice quant au risque de génocide, malgré la famine intentionnelle », réagit Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde, ONG signataire du communiqué. Il dénonce « la rhétorique humanitaire des États qui leur permet de dépolitiser le contexte et de se contenter d’une aumône humanitaire plutôt que d’apporter des réponses politiques ».

Dans La Presse, le chercheur François Audet rappelle combien « les expériences de cette nature par l’armée américaine en Afghanistan ou en Irak se sont avérées de vastes échecs logistiques et sécuritaires et auront à jamais laissé des cicatrices sur la nature impartiale des opérations humanitaires ». « C’est aux organisations humanitaires de gérer les distributions aux populations civiles, pas à l’armée », assène-t-il.

Les vingt-cinq ONG ne disent pas autre chose dans leur communiqué : « Les organisations humanitaires ont la capacité logistique d’aider les Palestiniens à Gaza : il ne manque que la volonté politique des États pour faire respecter l’accès. »

Rachida El Azzouzi


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