Je vous écris depuis Gaza...

mercredi 27 décembre 2023.
 

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À Gaza, aujourd’hui, c’est le rouge du sang qui coule et se répand

Chers Mesdames et Messieurs les députés, chers français,

Je m’appelle Ahmed, j’ai 26 ans.

Je vous écris depuis Gaza, alors que les drones bourdonnent au-dessus de moi. En ce moment même, nous sommes 18 réfugiés dans un même appartement.

Nous venons de vivre deux jours et nuits d’horreur extrême, qui s’ajoutent aux 66 précédents.

Mon quartier vient d’essuyer de très lourds bombardements, je ne le reconnais plus.

Le réseau est instable mais j’ai pu vous faire parvenir mon histoire.

Tout commence en 1948, c’est la Nakba : Ma famille se fait expulser de force du village Al-Nabi Robin, qui se situait en dessous de l’actuel Tel Aviv, avant qu’il ne soit presque totalement détruit. Elle trouve alors refuge à Gaza.

22 juillet 1997 : Je nais au camp de réfugiés Al Zawaida, Gaza, Palestine.

2008 : J’ai onze ans. Je vis mes 1ers bombardements. Je me rappelle encore de ce jour.

J’ai croisé mes camarades de classe sur la route et nous avons pris le chemin le plus court entre les maisons de réfugiés. Nous étions à environ 3 minutes de l’école quand tout d’un coup, nous avons entendu une forte explosion. Puis 6 autres.

J’ai senti le sol trembler sous mes pieds. Les pierres des maisons volaient, l’une d’elle est passée près de ma tête.

Nous avons couru sous l’épaisse fumée noire. J’ai couru aussi vite que possible pour vérifier si mon père était parti travailler ou non. Je pensais à ma sœur qui était à l’université et aussi à mes frères qui étaient à l’école.

Je ne peux pas décrire comment un enfant de 11 ans, qui ne pense qu’à jouer avec ses amis, regarde soudainement ses parents et voit la peur dans leurs yeux.

Mars 2020 : C’est le confinement pour nous aussi à Gaza. Nous sommes enfermés une deuxième fois (comme si être coupés du monde de par le blocus n’était pas suffisant) - cette fois-ci, chez nous.

Tout s’arrête, je m’ennuie et décide de réaliser un vieux rêve : je me mets seul à apprendre le français.

2021 : Un an plus tard, voyant mes progrès, un ami me suggère de m’inscrire à l’institut français de Gaza. Je n’aurai jamais imaginé que l’année suivante, j’étudierai la littérature française à l’Université.

Aujourd’hui : J’ai 26 ans, j’ai déjà subi ce que vous nommez 4 « guerres ».

Depuis le 7 octobre 2023, je vis ma 5eme et peut-être ma dernière.

À Gaza hier, nous n’avions déjà pas une vie normale. Une vie sous blocus n’est pas normale.

Mais Gaza, c’était les rires amusés des enfants qui jouaient.

C’était l’agitation, l’activité, la joie de vivre malgré tout.

C’était aussi les odeurs délicieuses des plats de ma mère et la chaleur du foyer familial.

À Gaza, hier, de ma fenêtre, je nourrissais l’espoir de peut-être un jour venir étudier en France.

À Gaza, hier, je regardais des matchs du PSG avec mon maillot, en espérant voir jouer Mbappe en vrai.

Je m’imaginais déambuler dans les rues de Paris et aller au cinéma.

Je suis un grand cinéphile et j’affectionne particulièrement le cinéma français. Je tiens d’ailleurs depuis 5 ans un compte de critique de films sur Instagram.

Nous sommes le 12 Décembre 2023. Je ne reconnais plus Gaza.

60% de nos maisons ont été détruites par les bombes israéliennes.

Nos hôpitaux, écoles, universités, mosquées, églises, commerces, centre d’archives ont été bombardés. Aujourd’hui, mon université est fermée. L’institut français a aussi été bombardé.

À Gaza, aujourd’hui, c’est le rouge du sang qui coule et se répand, c’est l’odeur de la mort omniprésente.

À Gaza, aujourd’hui, toutes les lumières se sont éteintes : en bas de mon immeuble, nous n’entendons plus les enfants jouer.

Nous entendons le bourdonnement des drones, toute la journée, au-dessus de nos têtes.

Nous entendons les missiles souffler les maisons des environs.

Mais surtout. Surtout. Nous entendons les cris. Les cris des victimes qui hurlent de douleur, les cris des gens coincés sous les décombres, que personne ne pourra venir chercher. Et les cris des survivants qui pleurent un ou des enfants. Un ou des proches.

Et si l’on me tue dans une frappe, ce n’est pas seulement moi que l’on tuera, ce sera toute ma lignée.

À Gaza aujourd’hui, le brouillard et les nuages de poussière des pilonnages israéliens ont remplacé le bleu de notre ciel.

À Gaza aujourd’hui, nous avons la vingtaine et nos cheveux sont devenus gris.

Nous sommes au 66ème jour de génocide, et nous avons pris 20 ans.

À Gaza, aujourd’hui, nous buvons de l’eau non potable, et nous ne mangeons plus qu’un repas par jour quand on est chanceux.

À Gaza, aujourd’hui, nous attendons notre heure, comme des condamnés à mort.

Quel est ce type de vie où l’on passe ses journées à attendre d’être fauché par un missile ?

Je repense à cet extrait du Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, qui fait terriblement écho à nos vies, suspendues à chaque bombardement.

« Ils disent que ce n’est rien, qu’on ne souffre pas, que c’est une fin douce, que la mort de cette façon est bien simplifiée. Eh ! Qu’est-ce donc que cette agonie de six semaines et ce râle de tout un jour ? Qu’est-ce que les angoisses de cette journée irréparable, qui s’écoule si lentement et si vite ? Qu’est-ce que cette échelle de tortures qui aboutit à l’échafaud ?

Apparemment ce n’est pas là souffrir. Ne sont-ce pas les mêmes convulsions, que le sang s’épuise goutte à goutte, ou que l’intelligence s’éteigne pensée à pensée ? Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ? Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas de mal ! »

Pour beaucoup des miens, il faut rester coûte que coûte, ne pas partir, car c’est ce qu’Israël a toujours voulu. TOUT sauf subir une deuxième Nakba.

Mais sommes-nous obligés de payer dans notre chair, ce droit à l’existence ?

N’avons-nous pas droit à la vie ?

Sommes-nous tous des condamnés à mort pour le simple fait d’habiter Gaza ?

Je suis un jeune homme palestinien, et j’aspire à vivre. J’aspire à la normalité. J’aspire à pouvoir rêver à nouveau. Je ne suis ni un surhomme, ni un animal humain.

22 novembre 2023 : Avec la bénédiction de ma famille, j’ai pris la décision de fuir cet enfer, si j’en ai la possibilité, et de réaliser mon rêve de venir en France.

J’ai été accepté dans une prestigieuse Université à Paris.

Un moment de bonheur vite rattrapé par la réalité : les bombes pleuvent sur nous, et je ne sais pas si je serai encore là demain.

Mon présent est à l’arrêt, mon avenir en sursis, pour autant, cette nouvelle m’a redonné espoir, espoir dans un avenir possible.

Ma première demande de visa a été refusée en 10 minutes, au motif que je devais me déplacer en personne au consulat de Jérusalem. Chose impossible pour tout Gazaoui, soumis au blocus depuis 2007.

J’ai demandé à ce que mon dossier soit réévalué et que la France m’aide à évacuer mon pays bombardé.

Si j’ai la chance de pouvoir être accueilli par la France, mon périple ne fera que commencer.

Après avoir fait mes adieux à mes parents, mes frères et sœurs, mes amis, je devrais parcourir une trentaine de kilomètres à pied pour rejoindre la frontière avec l’Égypte.

Ce sera le voyage de tous les dangers. Il n’y aucun corridor sécurisé à Gaza.

De nombreux gazaouis qui se déplacent vers le sud ont été bombardés ou abattus par des snipers israéliens. D’autres ont été kidnappés par des soldats et emmenés on ne sait où.

Si je survis à tout cela, je devrai traverser le checkpoint après avoir regardé ma terre et toute la vie que je laisse derrière moi.

Si demain je pars, je ne sais pas quand je reverrai mon pays.

Si demain je pars, ce sera entre déchirement et espoir.

Je finirai par cette citation du grand Victor Hugo : « Car dans l’homme l’espérance n’est jamais vaine ».

Je vous remercie pour votre écoute.

***

Pour signer la pétition : « Pour que notre ami Ahmed, élève à l’Institut français de Gaza, soit évacué par la France »

https://www.change.org/p/pour-que-n...


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