Palestine : « Gaza était une prison à ciel ouvert. Aujourd’hui, c’est un cimetière à ciel ouvert »

mercredi 22 novembre 2023.
 

par l’historien israélo-britannique Avi Shlaim, professeur émérite de relations internationales à l’université d’Oxford.

L’historien israélo-britannique Avi Shlaim, professeur émérite de relations internationales à l’université d’Oxford, a consacré sa vien à étudier le conflit israélo-arabe. Il est l’auteur de huit ouvrages, dont l’incontournable « Le mur de fer : Israël et le monde arabe » (Buchet-Chastel, 2008).

Le professeur Shlaim (78 ans) est un critique acerbe du premier ministre Binyamin Netanyahou, mais il n’a jamais remis en question la légitimité de l’État d’Israël à l’intérieur de ses frontières légales, celles de l’armistice de 1949. « La guerre actuelle à Gaza est le moment le plus sombre dont je me souvienne », déclare M. Shlaim. "D’après mon décompte, il s’agit de la sixième agression israélienne majeure contre la population de Gaza. J’insiste sur le fait qu’il s’agit bien d’une agression contre la population de Gaza.

C’est avec calme et détermination que le professeur Shlaim aborde un conflit qui déchaîne les discours les plus enflammés. La guerre entre le Hamas et Israël est fondamentalement une question politique, affirme-t-il. « Pourtant, Israël ne fait appel qu’à la force militaire brute pour y répondre ».

Les généraux israéliens ont qualifié leur stratégie à Gaza de « tonte de la pelouse » ou de « coupe de l’herbe ».

« À quelques années d’intervalle, vous débarquez avec un force de chars, d’avions et de pièces d’artillerie et vous écrasez tout », explique M. Shlaim. « Vous apportez la mort et la destruction. Vous affaiblissez les capacités militaires du Hamas. Vous détruisez des maisons et des écoles et vous partez sans résoudre le problème, de sorte que la prochaine guerre est toujours au coin de la rue ».

L’échelle est importante. C’est en raison de la nature aveugle des attaques contre les civils, du bombardement d’immeubles résidentiels, de l’anéantissement de quartiers entiers - en raison de l’échelle - que j’utilise le mot « génocide ». Prof. Avi Shlaim

Israël a retiré ses forces terrestres de la bande de Gaza en 2005, mais a continué à contrôler les accès terrestres, maritimes et aériens de cette enclave densément peuplée. « Gaza a été transformée en une prison à ciel ouvert », explique M. Shlaim. « Elle est aujourd’hui un cimetière à ciel ouvert ».

Israël a franchi « une étape supplémentaire » dans cette guerre, affirme M. Shlaim. Il utilise le mot génocide, qui désigne la volonté de faire disparaître tout ou partie d’un peuple.

Je lui demande si ce terme n’est pas trop fort. « Comment qualifier Qu’en est-il des massacres à une échelle industrielle ? ». répond Shlaim. « L’échelle est déterminante. C’est en considération de la nature aveugle des attaques contre les civils, du bombardement d’immeubles résidentiels, de l’anéantissement de quartiers entiers - en considération de l’échelle - que j’utilise le mot »génocide".

Lorsque le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a annoncé ce que M. Shlaim appelle « le siège de caractère médiéval » de Gaza le 9 octobre, il a dit « Nous combattons des animaux humains ».

« C’est une terminologie très dangereuse. Elle est utilisée non seulement quand il s’agit du Hamas, mais aussi des Palestiniens en général », ajoute M. Shlaim.

Dans son livre de 1996,« Mandat pour un génocide » [1], Norman Cohn a établi un lien entre la déshumanisation des Juifs par les nazis et l’Holocauste. « Les dirigeants israéliens diabolisent le peuple palestinien, ce qui constitue un préalable à l’épuration ethnique et au génocide », poursuit M. Shlaim. Il qualifie l’opposition des dirigeants occidentaux à un cessez-le-feu de « mandat de génocide » et les accuse de « complicité dans les crimes de guerre d’Israël ».

Avec la déclaration Balfour de 1917 et son mandat ultérieur sur la Palestine, la Grande-Bretagne a commis ce que Shlaim appelle « le péché originel » en « volant la Palestine aux Palestiniens et en la donnant aux sionistes ».

Après la création d’Israël en 1947, les États-Unis en sont devenus les « auxiliaires », explique M. Shlaim. « Le problème du soutien américain à Israël est qu’il est inconditionnel. Il n’est pas conditionné au respect des droits de l’homme des Palestiniens ou au respect du droit international. Pour Israël, le prix de ses violations est nul. C’est pourquoi Israël s’en tire, littéralement, par le meurtre, et aujourd’hui littéralement par le meurtre de masse, parce que l’Amérique ne lui demande pas de comptes ».

Dans « Three Worlds, Memoirs of an Arab-Jew », publié cette année, Shlaim raconte comment sa famille juive irakienne aisée a été arrachée à sa vie heureuse à Bagdad alors qu’il était encore enfant. « Le nationalisme arabe était un des motifs, mais le facteur principal, le plus important, a été le sionisme », explique-t-il.

La famille de M. Shlaim parlait arabe à la maison, mangeait de la nourriture arabe et écoutait de la musique arabe. Nous avions beaucoup plus en commun avec les Arabes musulmans ou chrétiens qu’avec les Juifs ashkénazes d’Europe de l’Est", déclare-t-il

Bien qu’il se soit longtemps senti comme un citoyen de seconde zone en Israël, Shlaim en est venu à considérer sa double identité comme un avantage. « Pour ma famille et moi, la coexistence judéo-musulmane n’était pas une idée abstraite, c’était une réalité qui me permet de penser en dehors des cadres imposés, d’envisager pour notre région un avenir meilleur que la triste réalité actuelle ».

M. Shlaim imagine « un État démocratique allant du Jourdain à la Méditerranée, avec des droits égaux pour tous, indépendamment de la religion et de l’appartenance ethnique ».

La solution à deux États est aussi éteinte que l’est le dodo, affirme M. Shlaim. « Israël l’a tuée net avec les colonies et le mur. Il ne reste que des enclaves palestiniennes en Cisjordanie, entourées de colonies et de bases militaires israéliennes. Ce projet n’est plus viable ».

Aucun gouvernement israélien n’a jamais proposé une solution à deux États « dans des conditions acceptables même pour les dirigeants palestiniens les plus modérés », affirme M. Shlaim. « Et aucune administration américaine n’a jamais fait pression sur Israël pour qu’il s’oriente vers une véritable solution à deux États ».

Pourtant, les dirigeants occidentaux continuent comme des perroquets à parler d’une solution à deux États. Ajoutant l’hypocrisie à l’hypocrisie, ils affirment que les deux parties doivent négocier une solution. « L’asymétrie des forces est si grande qu’aucun accord ne peut en résulter. C’est comme si on mettait un lion et un lapin en cage et qu’on leur disait : »Réglez vos différends".

Lara Marlowe

• Traduction de l’anglais par Pierre Vandevoort pour ESSF.

Source : The Irish Times, samedi 4 novembre 2023 :


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