« La seule réponse de Macron à la colère du peuple, c’est la répression »

vendredi 5 avril 2019.
 

Samedi 23 mars, à Nice, une charge de CRS a provoqué la chute et des blessures à la tête de Geneviève Legay, militante d’Attac. Pour Annick Coupé, porte-parole du mouvement altermondialiste, Geneviève manifestait pour défendre ce droit constitutionnel que la politique d’Emmanuel Macron fait rétrécir dans des proportions inquiétantes.

Geneviève Legay, 73 ans, porte-parole d’Attac dans le département des Alpes-Maritimes, a été grièvement blessée par une charge policière, lors de l’acte XIX des Gilets jaunes, samedi 23 mars, à Nice. Selon son avocat, elle était dimanche matin dans un état stable, sous perfusion de morphine. Elle souffrirait de plusieurs fractures au crâne et à l’oreille interne, ainsi que des hématomes sous-duraux d’après ses proches.

Samedi, vers 11 h, une charge des CRS a provoqué la chute de Geneviève Legay, sa tête heurtant un poteau métallique. De multiples images montrent Geneviève, gilet jaune sur le dos et drapeau arc-en-ciel « paix » dans les mains, scander « Liberté de manifester » peu avant la charge policière.

Alors que les précédentes mobilisations des Gilets jaunes à Nice n’avaient pas entraîné de dégradations, Christian Estrosi, maire de la ville, avait demandé et obtenu une interdiction de manifester dans une grande partie de la ville. Avant la charge policière, autour de 10 h, interrogée par un journaliste de CNews, Mme Legay expliquait ainsi être venue pour se rassembler « pacifiquement, pour dire qu’on a le droit de manifester » : « On ne va aller agresser personne, mais on restera là tant qu’on l’aura décidé. Je n’ai pas peur, à 73 ans, qu’est ce qui peut encore m’arriver ? »

En plus de celle de la famille de Geneviève Legay, Attac a déposé plainte lundi 25 mars pour « violence volontaire en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique sur personne vulnérable ». Dimanche, l’avocat de la famille, Me Arié Alimi, a aussi indiqué qu’une plainte visant le préfet Georges-François Leclerc allait être déposée et que l’IGPN, la police des polices, serait saisie.

Reporterre — Attac dépose plainte pour « violence volontaire en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique sur personne vulnérable ». Quel est le but de cette procédure ?

Annick Coupé — Nous ne voulons pas laisser Geneviève toute seule. Il s’agit de faire reconnaître la réalité de ce qui s’est passé. Les vidéos et les témoignages montrent que les forces de l’ordre ne se trouvaient pas, au moment de la charge, dans une situation où elles étaient en danger. Geneviève est connue pour être non violente, elle ne les a aucunement agressés. Bref, il ne se passait rien ! Malgré tout, il y a eu une charge extrêmement violente, disproportionnée, et c’est évident que c’est à cause de cette charge qu’elle a été blessée.

L’action juridique est également un outil pour mettre en exergue les graves atteintes au droit de manifester : d’une part celles amenées par la politique gouvernementale, avec notamment l’adoption de la loi anti-manifestants, et d’autre part celles apportées par la doctrine de maintien de l’ordre. Il n’est pas normal que des personnes qui manifestent pacifiquement se retrouvent à l’hôpital.

Pourquoi aller manifester alors que les rassemblements étaient interdits ?

Parce que le droit de manifester est menacé, et qu’il s’agit de le défendre ! Le gouvernement refuse de répondre aux exigences sociales qui s’expriment dans le pays, et opte pour une fuite en avant vers toujours plus de répression. J’ai participé à beaucoup de mouvements sociaux, mais la répression atteint actuellement un niveau que je n’ai jamais connu, même pendant la loi Travail. Regardez le nombre de blessés depuis novembre 2018, et cette dame décédée à cause d’un tir de grenade alors qu’elle fermait ses volets. En plus, on se retrouve avec des interdictions de se rassembler, des contrôles et des interpellations préventives qui constituent autant d’atteintes au droit de manifester, qui est une liberté fondamentale, constitutionnelle, consubstantielle à la démocratie. Donc, manifester pour revendiquer ce droit, même si cela est interdit, est un acte courageux, et plus encore, un acte citoyen.

Emmanuel Macron a déclaré : « Quand on est fragile, on ne se rend pas dans des lieux définis comme interdits. » Qu’en pensez-vous ?

Ça m’a vraiment choquée et mise en colère, c’est extrêmement cynique et méprisant de sa part. Cela revient à considérer qu’une femme de 73 ans n’est plus une citoyenne à part entière, qu’elle n’a plus à descendre dans la rue. Après 70 ans, doit-on rester chez soi et boire de la tisane ? On a besoin de gens comme Geneviève, on a besoin de personnes qui défendent les libertés fondamentales, quel que soit leur âge. Et si ça avait été un homme de 73 ans, je ne suis pas certaine que M. Macron aurait eu cette réaction.

Quel regard portez-vous sur le mouvement des Gilets jaunes ?

À Attac, on a été surpris par ce mouvement, mais ça fait longtemps qu’on parle de crise systémique, sociale, démocratique, qu’on sent une colère rampante dans le pays. Les Gilets jaunes ont très vite été catalogués comme anti-écolos, réactionnaires, voire manipulés par l’extrême droite. Or c’est un mouvement hétérogène, qui porte, et c’est là son cœur, une exigence de justice. Justice sociale, fiscale, démocratique, écologique. Les slogans et les panneaux déployés sur les ronds-points affichent les mots d’ordre que porte Attac depuis longtemps.

Comment voyez-vous la suite du mouvement des Gilets jaunes, dans un contexte de répression accrue ?

Les mobilisations ne vont pas s’arrêter, elles vont se poursuivre, mais peut-être pas sous la même forme. La répression ne peut jamais être une réponse définitive. Si un gouvernement ne répond que par la répression, le mouvement perdure et les revendications ressortent d’une manière ou d’une autre. Pour le moment, les dirigeants cherchent à faire peur, à dire aux gens de ne plus descendre dans la rue. Mais cela se révèle plutôt contre-productif. Depuis samedi, on reçoit de très nombreux mots de soutien pour Geneviève. Les réactions ne sont pas « elle l’a bien mérité », mais bien plutôt, « elle avait raison d’être là ».

Dans un édito récent, Hervé Kempf parlait d’État terroriste pour qualifier la politique d’Emmanuel Macron. Comment qualifiez-vous ce gouvernement ?

La démocratie et l’état de droit sont en danger. Nous nous trouvons face à un régime très autoritaire, qui mène des attaques antisociales très fortes, au profit de quelques-uns. Mais il est clair que cette politique ne marche pas. Macron ne bénéficie pas d’un soutien très large dans la population. Sa seule réponse à la colère du peuple, c’est la répression, et cela ne le mènera à rien. Le masque est tombé.

Quelle réponse peut apporter le mouvement social face à cette répression : faut-il trouver d’autres formes de mobilisation que la manifestation ?

Cela doit passer par la jonction avec le mouvement climatique, qui a commencé le 16 mars autour de la convergence entre justice sociale et justice climatique. Il faut contrer cette stratégie de Macron qui consiste à nous opposer, à nous diviser. De la même manière, il faut être avec les Gilets jaunes, dans ce mouvement, l’appuyer, porter nos proposions, porter ce débat citoyen, et trouver de nouvelles formes de mobilisation.

La désobéissance civile permet de dénoncer des lois illégitimes ou de pointer des responsabilités de multinationales. L’action juridique est un autre moyen utile. Toutes les formes de mobilisations sont complémentaires. Mais, descendre dans la rue restera incontournable. On ne peut pas faire l’économie de la manifestation : par le passé, le fait de pouvoir prendre la rue a toujours été un élément décisif du rapport de force. Cela permet une visibilité, montrer que l’espace public appartient à tout le monde, qu’il ne peut pas être réservé à quelques-uns. Il s’agit aussi de se retrouver, d’être ensemble. Les gouvernements qui ne veulent pas entendre ce qui se dit dans la rue ont tous cherché à interdire les manifestations et à entrer dans des logiques répressives. Mais c’est une impasse.

Propos recueillis par Lorène Lavocat


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