Justice et « Gilets jaunes » : 10 000 gardes à vue, 3 100 condamnations… une réponse pénale sans précédent

jeudi 21 novembre 2019.
 

Sur ces condamnations, environ 400 ont donné lieu à des peines de prison ferme avec incarcération immédiate dans toute la France.

Un anniversaire et un premier bilan des condamnations. Alors que le mouvement des « gilets jaunes » fêtera, le 17 novembre, ses un an, Le Monde a pu rassembler des indicateurs chiffrés de la réponse pénale apportée, à l’échelle nationale, aux divers débordements qui ont eu lieu au cours de l’année écoulée. Notamment à l’occasion des confrontations répétées entre manifestants et forces de l’ordre.

Ces données – nombre de gardes à vue, classements sans suite, condamnations, etc. – sont une synthèse des remontées qu’ont fait parvenir ces derniers mois, à la chancellerie, l’ensemble des parquets de France.

Il ne s’agit que d’un bilan provisoire couvrant une période allant du premier samedi de manifestations des « gilets jaunes » en novembre 2018, jusqu’au 30 juin. Mais ces données réunissent néanmoins les sept mois où la mobilisation a été la plus forte, et permettent d’ores et déjà de dégager les grandes tendances des suites judiciaires données à cet affrontement hebdomadaire inédit.

Un des chiffres les plus importants qui ressort est celui du nombre de condamnations prononcées : plus de 3 100. Un record pour un mouvement social, même si la mobilisation des « gilets jaunes » a constitué, en soi, une première dans sa forme et dans sa durée. Autre donnée-clé : sur l’ensemble de ces condamnations, environ 400 ont donné lieu à des peines de prison ferme avec incarcération immédiate (dites « avec mandat de dépôt »).

Pas de laxisme

Même si les autres peines prononcées ont toutes été assorties de sursis ou de possibilités d’aménagement (types travaux d’intérêt général ou jours-amendes), leur nombre demeure non négligeable, loin des accusations de laxisme dont a pu faire l’objet la justice lors de certains débats politiques. Selon nos informations, les peines prononcées sont allées, en moyenne, de quelques mois à trois ans de prison, avec ou sans sursis.

L’autre grand indicateur est le nombre de gardes à vue. Plus de 10 000 personnes ont été retenues et entendues dans toute la France dans ce cadre procédural au cours des sept mois les plus intenses de manifestations. A l’échelle nationale, environ 2 200 se sont terminées par un classement sans suite et 2 400 par des mesures alternatives aux poursuites (rappel à la loi, interdiction de paraître, etc.)

A Paris, cependant, zone où Le Monde a pu également obtenir des éléments auprès du parquet, et où se sont concentrées environ le tiers des gardes à vue (3 166 à la date de mi-septembre), environ la moitié (1459) ont fini par un classement sans suite. Un chiffre qui illustre ici leur utilisation massivement « préventive » afin d’éviter les débordements, en particulier à l’égard de membres identifiés de l’ultragauche et de l’ultradroite. Cet usage détourné de la garde à vue, justifié tacitement en coulisses dans les cercles régaliens par le contexte parisien particulier – notamment la prise pour cible régulière des bâtiments institutionnels – a prêté le flanc à d’importantes controverses.

« Individualisation » des situations

Pour les gardes à vue qui n’ont pas abouti à un classement sans suite, les « orientations », comme elles sont appelées dans le jargon judiciaire, ont, en revanche, à l’échelle nationale comme à Paris, été très diverses. Preuve, malgré tout, estime-t-on à la chancellerie, d’une grande « individualisation » des situations. En clair, tout le contraire d’une justice expéditive à la chaîne comme cela a pu être dénoncé au plus fort des tensions. « L’orientation se fait classiquement en fonction du type de faits, de leur gravité, de la personnalité de l’auteur et de ses antécédents », détaille-t-on au parquet de Paris.

Concrètement, sur l’ensemble du territoire, une fois évacué les mesures alternatives aux poursuites et les classements sans suite, les plus de 10 000 gardes à vue initiales ont donc débouché sur quelque 5 300 « poursuites judiciaires ». Leur répartition s’est faite de la façon suivante : environ 2 100 personnes ont été jugées en comparution immédiate et 2 000 autres ont eu une convocation judiciaire à une date ultérieure.

Des juges des mineurs ont par ailleurs été saisis dans quelque 410 cas, tandis qu’environ 620 personnes ont préféré une procédure de « plaider-coupable ». Cent cinquante informations judiciaires ont en outre été ouvertes pour les faits les plus graves et les plus complexes, dont quatorze à Paris.

La justice a en tout cas travaillé relativement vite dans les dossiers impliquant des manifestants. Un constat beaucoup moins vrai pour les membres des forces de l’ordre mis en cause dans des affaires de violences. Ces procédures sont mécaniquement plus lentes que celles visant les manifestants, car elles doivent passer par le filtre de l’inspection générale de la police nationale ou de l’inspection générale de la gendarmerie nationale. Elles sont en outre très sensibles dans un contexte de fatigue générale des policiers.

Cet écart de traitement nourrit bien sûr une partie du ressentiment de certains militants. Seuls deux fonctionnaires, sont, à ce stade, renvoyés devant un tribunal correctionnel, à Paris.

Elise Vincent


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