Comment la France a voté le 17 juin ?

mardi 26 juin 2007.
 

Qu’est-ce qui continue ? Qu’est-ce qui a changé ? Le deuxième tour des législatives éclaire la séquence électorale qu’il vient de clore.

Mobilisation de la gauche, démobilisation de la droite

Si l’abstention a encore progressé au niveau national, dépassant au second tour les 40 %, cela masque d’importants chassés croisés d’électeurs, selon les régions et selon le clivage droite / gauche. Dans les régions où la droite était hégémonique dès le 1er tour (Alsace, Savoie, Côte d’Azur), l’abstention explose entre les deux tours, atteignant ou dépassant même parfois les 50 %. A l’inverse, c’est là où la gauche avait le mieux résisté dès le 1er tour (Sud ouest, ouest, auvergne) que la participation atteint ses niveaux les plus hauts en frôlant ou dépassant même les 70 % dans certaines circonscriptions (Dordogne, Lot, Corrèze, Gers). Les électeurs de gauche se sont donc en général plus mobilisés que ceux de droite. Dans les départements où la gauche parvient à prendre des circonscriptions à la droite (Gironde, Allier, Finistère, Calvados, Lot, Charente, Charente Maritime, Finistère, Ile et Vilaine ...), on observe le plus souvent un sursaut de la participation entre les deux tours. Et dans les départements de droite où la gauche parvient aussi à conquérir des circonscriptions (Mayenne, Rhône, Indre et Loire) la baisse de la participation globale traduit l’importante démobilisation des électeurs de droite majoritaires dans ces zones. Le différentiel d’abstention entre les électeurs de droite et ceux de gauche a donc joué un rôle considérable pour faire basculer des circonscriptions à gauche. Un facteur largement sous-estimé par la plupart des analyses médiatiques du scrutin qui surévaluent à l’inverse le rôle des électeurs centristes.

L’électorat centriste toujours introuvable

N’en déplaise aux médias qui maintiennent artificiellement en vie le mythe d’un électorat « centriste » en pleine ascension, jamais les centristes n’auront été aussi peu nombreux qu’en 2007 à l’assemblée nationale. Depuis son sommet historique de 1993 (215 députés UDF), le camp dit centriste n’a cessé de perdre des députés. Lorsque Bayrou en pris les rennes en 1998, l’UDF compte 114 députés en 1997. Il y a 4 députés MODEM élus en 2007... Même si l’on y ajoute les 22 députés du « Nouveau centre » qui sont pourtant clairement ralliés à Sarkozy, la représentation parlementaire du centre au sens large régresse encore depuis 2002 (30 députés UDF). Le « centre » n’aura donc jamais été aussi faible en France qu’aujourd’hui. Même si le MODEM a pu remporter au 1er tour des législatives des scores honorables, sorte de réplique miniature du score de Bayrou à la présidentielle, on n’observe au second tour aucun comportement centriste notable qui permettrait de considérer que ces électeurs sont désormais acquis à un « parti centriste » auquel il faudrait s’adresser pour leur parler. A ce second tour des législatives, le comportement des électeurs du MODEM est si disparate et éclaté qu’il est impossible d’en dresser un bilan global. Dans la plupart des endroits où le MODEM a appelé à battre la gauche (à Nanterre contre la communiste Fraysse ou dans les Landes contre le socialiste Vidalies où même à Bordeaux où des personnalités centristes comme Corinne Lepage avaient appelé à soutenir Juppé), il ne semble pas du tout avoir été suivi par ses électeurs. A l’inverse, là où ses appels au pluralisme voire au vote contre l’UMP ont été plus insistants, la contribution des électeurs du MODEM à la conquête de circonscriptions par la gauche est très inégale. Rien dans les résultats ne permet en tout cas de montrer qu’elle a été plus décisive que le sursaut de participation des électeurs de gauche, la démobilisation des électeurs de droite et surtout les remarquables reports de voix au sein de la gauche.

Le vote utile à gauche : reports de voix massifs et solidité des communistes

Dans aucune circonscription de gauche, des voix de gauche ne semblent avoir fait défaut au candidat de gauche qualifié pour le second tour. L’importance de ces reports pour l’élection de députés de gauche a parfois été dissimulée par l’extrême dispersion des voix de l’autre gauche au 1er tour. Un phénomène qui explique aussi la surévaluation de l’enjeu des reports dits « centristes ». Par exemple, dans les deux circonscriptions gagnées par la gauche à Toulouse, on a beaucoup parlé du rôle présumé décisif des 9 % d’électeurs du MODEM et on a moins beaucoup moins vu l’ampleur du vote éclaté pour l’autre gauche (15 % dans la 1ère circonscription de Haute Garonne et 17 % dans la 4ème). De même dans la Sarthe, dans la seule circonscription acquise par la gauche dans ce département, les candidats de l’autre gauche ont totalisé plus de 15 % au 1er tour. Couplés au sursaut de participation, ces reports massifs et souvent inégalés ont permis à la gauche de progresser dans de nombreuses circonscriptions par rapport à 2002 et même parfois par rapport à 1997. Les seules exceptions notables se trouvent là où le PS est passé devant le PCF dans des circonscriptions communistes sortantes. C’est le score total de la gauche qui est alors fragilisé au second tour : il régresse par rapport à 2002 dans 3 des 4 circonscriptions concernées, pourtant très à gauche. (Seine Saint Denis, Isère, Bouches du Rhône). La plus grosse chute (perte de près de 1 000 voix et de 8 points pour la gauche) intervenant dans la 3ème circonscription de Seine Saint Denis où la stratégie d’affrontement du PS avec le PCF était la plus affirmée.

A l’inverse, là où ils sont fortement implantés, les communistes ont démontré dans cette élection leur capacité à porter la dynamique de la gauche dans son ensemble. La très grande majorité d’entre eux (15 sur 19) améliore nettement le score de la gauche en 2002, certains de manière massive comme Alain Bocquet qui gagne plus de 3000 voix dans le Nord. Et la totalité des 19 élus communistes et apparentés font plus que le total des voix de gauche du 1er tour. Et certains de manière très spectaculaire : on peut citer André Chassaigne dans le Puy de Dome qui atteint 69 % pour un total gauche de 57 % au 1er tour ou encore Jean-Claude Sandrier qui atteint les 57 % contre un total gauche de 49 % au 1er tour. La progression est parfois telle après un 1er tour difficile, qu’il semble que nombre des électeurs du MODEM de ces circonscriptions communistes n’aient pas hésité à voter pour un communiste. Un nouvelle démonstration du caractère non structuré de l’électorat du MODEM, qui est plus désemparé et dépolitisé que fondamentalement centriste et enclin à la modération comme veulent nous le faire croire les théoriciens de l’ouverture au centre.

La France coupée en deux

La faiblesse du centre dans cette élection législative confirme l’hypothèse d’une radicalisation des électeurs des deux camps. Cette radicalisation (à droite le 10 juin d’où l’élection sans précédent de plus de 100 députés UMP dès le 1er tour, à gauche le 17 juin d’où la nette progression de la gauche par rapport à 2002), se manifeste par une concentration géographique accrue de la droite et de la gauche. Le nombre de départements « bicolores », avec des députés de droite et de gauche n’a jamais été aussi faible, tandis que celui des départements monocolores (où un des camps est éliminé) n’a jamais été aussi grand. La droite est ainsi éliminée ou ne subsiste que très marginalement dans une quinzaine de départements, tandis que la gauche a complètement disparu du paysage dans une quarantaine de départements.


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