La déroute identitaire des forces de gauche : Une refondation s’impose (article du journal de la Révolution cubaine Granma)

samedi 19 mai 2007.
 

La victoire arithmétique sans appel dimanche 6 mai du candidat de droite M.Sarkozy à l’élection présidentielle en France n’est pas forcément le bilan le plus spectaculaire de plusieurs mois de campagne électorale. Au Sarkozy candidat a succédé le président Sarkozy. C’est dans un certain ordre des choses. La droitisation de la société française n’est plus une hypothèse. « Ce choix est le produit d’un rapport des forces très clair : une France de droite a voté à droite » (quotidien Le Monde). De plus la droite qui l’a emporté a une forte identité, elle est sarkozysée depuis 2002. Sa victoire est énergique, claire et nette. « Nicolas Sarkozy avait gagné dans les têtes avant de triompher dans les urnes » (Libération). « Sa victoire décomplexée lui a ouvert un boulevard politique avant les législatives de juin prochain » (L’Express)

Ce qui parait le plus grave au lendemain de ce 6 mai, c’est la déroute de toutes les gauches, complexées, de la gauche molle représentée par la candidate Ségolène Royal jusqu’à la gauche la plus radicale, la gauche altermondialiste, celle des « collectifs », celle aussi du Parti communiste (Mme Marie-George Buffet) qui, au premier tour n’avait réuni qu’un pour cent des voix, son score le plus bas de toute son histoire électorale. La gauche, les gauches, l’extrême gauche récoltent ce qu’elles ont semé depuis des lustres.

La droite traditionnellement se présente toujours comme telle, avec un degré supplémentaire dans le cas de Nicolas Sarkozy. A visage découvert, avec un programme ouvertement de droite, plus ou moins musclée, des déclarations peu ambigües, un « projet de société » au service des intérêts de la France d’en haut. Au profit d’un fort électorat droitier.

Pendant ce temps là, la gauche de gouvernement et les gauches de contestation n’arrêtent pas de se chercher, débattent vainement entre elles ou se déclarent incompatibles. De l’aide droite du PS (Parti socialiste, qui n’a de socialiste que le nom) jusqu’aux « petits candidats » dits « révolutionnaires » qui voient seulement dans la présidentielle l’occasion de monter sur des tréteaux médiatiques le temps de la campagne, la cacophonie a diverses caractéristiques : elle est inversement proportionnelle à ce qu’elle est censée transmettre - pas grand-chose -, elle ne parvient pas à cacher l’absence d’identité d’une gauche crédible, sûre d’elle-même, déterminée, elle traduit l’incapacité des états-majors non seulement à conserver leurs électorats traditionnels ( le PCF en est l’exemple le plus pathétique) mais à se mettre d’accord sur le dénominateur commun que tout électeur de gauche est en droit d’attendre : barrer la route à la droite, à fortiori quand elle affiche sa face la plus réactionnaire.

Tant que la gauche ne se débarrassera pas de ses complexes, de ses troubles de conscience, de ses querelles internes, fondées ou pas, elle ne parviendra à rien.

Un grand espoir vient d’être déçu, remisé. Nul ne peut s’exonérer de la défaite de Ségolène Royal. La réserve de la gauche radicale envers la perspective d’un gouvernement de gauche, associée à la rigidité et la suffisance du PS socialiste ont envoyé les espoirs de leurs électeurs au fond du puits et pour longtemps. Le PS a fait l’erreur de croire que la présidentielle allait surtout reconstituer l’unité du parti, or c’est le contraire qui s’est produit. Il a même négligé et manifestement les efforts susceptibles d’offrir un projet social-démocrate crédible. Au même moment, il est fort probable que la gauche radicale, celle d’Olivier Besancenot (Ligue Communiste Révolutionnaire) et Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière) ne se soient pas précipités vers les bulletins aux couleurs d’une candidate jugée trop droitière. Donc adieu la victoire et bonjour les dégâts.

Dès le soir même de la défaite, le PS a vécu un branle-bas de combat. Deux de ses principaux leaders ont tiré à boulets rouges sur la direction de leur parti. Pour Dominique Strauss-Kahn (DSK) a parlé de « très grave défaite ». « Je pense à ces millions de Françaises et de Français qui, dès le premier tour, n’ont pas porté leurs suffrages sur la gauche parce qu’ils n’ont pas vu dans la gauche la possibilité de porter leur espoir de changement ». Notant que « jamais la gauche n’a été aussi faible », DSK a estimé que cela s’expliquait par le fait que « la gauche française n’a toujours pas fait sa rénovation ». Soit au centre toute. Pour sa part, Laurent Fabius, ancien premier ministre du président Mitterrand a estimé que « le drapeau de la gauche est à terre, il faut le relever ». Il a réclamé « une gauche qui n’hésite pas sur sa stratégie » lors des prochaines législatives. A gauche toute.

Les règlements de compte ne font que commencer.

C’est probablement l’éditorialiste Laurent Joffrin (quotidien Libération) qui propose une des meilleures analyses. « L’immobilité doctrinale du PS, produite par ses divisions d’ambition, a plombé d’avance l’élection. Refus de tirer une leçon claire de la bérézina du 21 avril 2002, illusion que le simple jeu de l’alternance suffirait à assurer la victoire, insensibilité aux enjeux nouveaux dans une France transformée par sa propre crise et par la mondialisation, négligence à l’égard du centre, absence de réflexion sur les nouvelles politiques sociales et économiques nécessaires en ce début de siècle, ouverture insuffisante aux innovations de l’altermondialisme dont il fallait prendre le meilleur, suicide par éclatement de la gauche radicale ».

L’ensemble de la gauche doit dès aujourd’hui organiser sa refondation. La rénovation idéologique et stratégique du PS est également en jeu, sa mutation vers un parti "progressiste" aussi. Mais « la recomposition et la rénovation sont un ordre du jour lourd, et qui peut être long » (Le Monde) .

NOUVEL ECHEC DE LA GAUCHE

Depuis 1981, avec François Mitterrand à l’Elysée, trois « stratégies » de la gauche ont déjà échoué : en 1983 quand le gouvernement de gauche du premier ministre Mauroy s’est vu contraint à « changer de cap » tellement sa théorie politique était inadaptée à l’environnement économique et sociale, en 2002 quand, au premier tour (16 candidats au total, chiffre record), l’émiettement à gauche (avec 8 candidats, alors que la droite parlementaire n’était représentée que par trois candidats, l’extrême droite avait 2 candidats, le centre, un (F.Bayrou) et deux indépendants) a propulsé JM Le Pen (extrême droite) comme candidat au 2 e tour face à Jacques Chirac, président sortant.

Ayant retiré les leçons de cette élection, la gauche, ce 6 mai 2007, a voté « utile » dès le premier tour, les « petits candidats » n’obtenant que des miettes, et elle figurait au 2 e tour, mais 1/ elle n’a pas su surmonter le déficit d’image d’une gauche attractive, 2/ la candidate Ségolène Royale n’a pas bénéficié de tous les reports de voix (du centre et de l’extrême gauche) qui lui étaient nécessaires pour l’emporter.

Ce n’est pas la femme qui a perdu - pour la première fois une femme briguait la magistrature suprême- mais ce qu’elle a tenté de défendre, de proposer, avec un style nouveau, qui se voulait novateur, susceptible d’influencer les indécis. Sa bonne volonté, quelques propositions d’ouvertures, son impact médiatique n’ont jamais convaincu qu’elle parlait au nom d’une gauche capable d’affronter une droite depuis longtemps madrée, très habile, qui a su attirer des ralliements tous azimuts dont des centaines de milliers de voix venues de l’extrême droite.

La machine et l’appareil sarkoziens, plus proches du bulldozer et de l’artillerie lourde que de la camionnette publicitaire et des débats à fleurets mouchetés ont renvoyé à leurs chères études les têtes pensantes de la gauche molle, qui, dans sa défaite, a entraîné tous ceux qui se situent à l’extrême gauche, sous les bannières de la Ligue Communiste Révolutionnaire, du PCF, de Lutte Ouvrière, du monde associatif, de José Bové, voire celle des Verts.

Surtout depuis mai 1968, les partis et les organisations de gauche sont engluées dans ce dilemme récursif : tout faire pour être un parti de gouvernement ou tout faire pour ne pas l’être, restant alors une force dite de propositions et de contestations, sans se compromettre avec le parti au pouvoir (en l’occurrence le Parti socialiste). Le PCF depuis plus de 50 ans est animé, jusqu’à aujourd’hui, par un débat interne où dominent, selon les époques, des majorités « pour » ou « contre » la présence de ministres communistes dans les gouvernements dirigés par un premier ministre du P.S.

Il est à déplorer que, quelle que soit l’option choisie, le PCF n’ait pas pu ou su enrayer un déclin électoral, résultat de son incapacité depuis 30 ans à accompagner les mouvements sociaux et à se défaire de son image de dernier PC européen « stalinien ».

Par ailleurs, entre 1983 et 2002, dont 15 ans de « gauche unie » (PS-PCF) le dirigeant néo-fasciste Le Pen passait de 3 à 17 %.

Cette élection, si elle confirme un comportement électoral français, également récurrent, en faveur d’un candidat conservateur porteur de la double casquette tradition-autorité, constitue un nouveau paradoxe. Le French Paradox.

Que la gauche institutionnelle ou libérale, autour d’un PS mal en point, soit incapable de mettre en place une social-démocratie, type Blair, R. Prodi ou Zapatero, n’est pas une nouveauté. La perte n’est pas capitale, sauf qu’elle pourrait au moins barrer la route à des Margaret Thatcher, Berlusconi ou Aznar hexagonaux. Entre deux mots choisir le moindre. A la condition tout de même que le PS parvienne à arrêter l’hémorragie de son électorat populaire ou stopper un certain exode des classes moyennes vers le centre.

Mais la singularité française est plutôt dans le fait que les forces antilibérales représentaient et jusqu’au 22 avril, jour du premier tour, un paquet potentiel proche de 12 % de voix. Une composante non négligeable. Un fleuron français. Mais qui a des états d’âme, contrairement à n’importe quelle droite quand il s’agit de prendre le pouvoir.

Qu’est-elle devenue depuis dès 20 heures le dimanche 6 mai ? Morcelée, évanouie, passée à la moulinette. Figure emblématique de la gauche de la gauche, Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière, trotskyste) aura quitté 33 ans de vie politique (six élections présidentielles) avec son score le plus faible (1%) lors du premier tour.

« Je ne crois pas qu’une défaite se solderait pour la gauche par une traversée du désert salvatrice, mais plutôt par une décomposition dont il lui serait difficile de se remettre », a eu l’occasion de commenter (5 avril) Etienne Balibar, philosophe proche de l’extrême gauche et qui appelait à voter pour Mme Royal « pour faire échec à la droite ».

Militant et fin observateur Etienne Balibar dénonçant dans la gauche de la gauche, « les chapelles » et leurs clientélismes, déclarait que « c’est la faiblesse de « la gauche de la gauche » qui risque de faire gagner la droite dure, autant que le désenchantement des ouvriers, des enseignants et des classes moyennes envers le PS ».

En effet, si cette gauche radicale a fortement marqué la vie politique française depuis une dizaine d’années (manifestations anti-OMC, création de Attac, luttes anti-OGM, contre les discriminations, etc... ) sur la base de l’antilibéralisme, dont le point culminant a été la victoire du non au référendum (2005) sur l’Europe, elle semble ne pas avoir su négocier le virage vers un anticapitalisme tourné vers les nouveaux visages visibles du capitalisme. « L’antilibéralisme abstrait ne permet pas d’isoler les adversaires principaux » (E.Balibar).

Reconstruire une gauche de combat autour d’un projet politique réellement alternatif est plus facile à dire qu’à faire. Que faire ? Instituer un bipartisme cohérent avec le présidentialisme (Daniel Bensaïd, philosophe et membre de la LCR) ? Convertir l’extrême gauche à l’électoralisme ? Pratiquer un entrisme ouvert et positif ? Le Parti socialiste, parti dominant dans la gauche depuis 1981, donc arithmétiquement force incontournable mais en nette perte de vitesse, ne semble pas à la veille de céder son leadership ou de s’auto-injecter la critique radicale qu’impose aujourd’hui sa défaite. Coupé des énergies sociales, incapable de s’adresser aux classes populaires, le Parti socialiste - avec ou sans Mme Royal - est condamné à se déporter clairement vers la gauche. Avec un personnel politique nouveau. Encore faut-il qu’au même moment la gauche critique oublie ses intérêts de boutique, se fédère et puisse peser sur l’état major socialiste pour faire aboutir les revendications et mobilisations sociales, politiques et culturelles.

Enfin une élection présidentielle constitue une loupe de l’état de société. Quand celle-ci n’a plus d’idées, celle-là logiquement ne véhicule rien. On sait qu’une période de « basse intensité idéologique ou doctrinale » (termes de l’historien Christophe Prochasson) favorise la droite. La campagne électorale a démontré, également par sa médiatisation à outrance, que la politique n’est plus seulement le lieu du collectif, des idées mais des passions (ou des souffrances) individuelles. A ce jeu maléfique aussi, la droite a su tirer la couverture à elle.

EN ATTENDANT DEMAIN

En attendant d’autres lendemains, M. Nicolas Sarkozy se sera installé à l’Elysée. Pour un quinquennat ou plus. Avec l’éventualité - éventuelle - d’un sursaut des gauches cette fois-ci, aux prochaines élections législatives. Si ce n’était pas le cas, pour reprendre les termes de E. Balibar, la gauche connaitrait alors et une nouvelle traversée du désert et une décomposition fatale.

Mais vers où ira-t-elle ? Au sein même du PS, un courant existe pour une alliance avec le centre. Non plus pour dominer à la gauche de la droite, mais pour survivre et tenter de battre la formation politique (UMP) de M. Sarkozy aux législatives. Le 14 avril l’ancien premier ministre Michel Rocard du président François Mitterrand, se déclarait favorable à un accord avec le centre avant le premier tour. Il écrivait dans la page Débats du quotidien Le Monde « Si Nicolas Sarkozy est élu, nous n’aurons aucune excuse ». « Nous pouvons éviter ce gâchis en unissant nos forces avec ceux qui nous sont les plus proches, les centristes ». Aujourd’hui M. Sarkozy est élu.

Ce qu’on retiendra de ce 6 mai 2007 c’est « l’ampleur de la crise d’identité de la gauche. Son échec arithmétique est la conséquence d’une défaite culturelle. Et d’une déculottée idéologique » (Libération, Renaud Dély). D’ores et déjà la gauche du XX e siècle est enterrée. Le reste, à commencer par la victoire de M. Sarkozy, relève de péripéties politiques classiques, d’épiphénomènes de circonstances.

de MICHEL PORCHERON *

(* journaliste français, résident à Cuba)


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