Retour sur les présidentielles Comment on perd une élection ! (Alexis Dalem, corédacteur en chef de la "Revue socialiste")

dimanche 13 mai 2007.
 

La présidentielle était imperdable pour le Parti socialiste. L’échec s’explique d’abord par sa candidate.

"Si elle était désignée, sa défaite serait presque assurée." Cette phrase, je l’ai écrite dans un texte publié dans ces mêmes colonnes le 25 août 2006. J’y expliquais que, malgré les sondages, qui n’ont aucune valeur prédictive à plusieurs mois du scrutin, l’équation personnelle et la ligne politique de Ségolène Royal ne pouvaient conduire le Parti socialiste qu’à un échec.

J’aurais préféré que les faits me donnent tort. En relisant ces lignes, le sentiment qui domine est celui d’un immense gâchis. Car cette élection était imperdable pour la gauche. Imperdable parce que rarement le candidat de la droite a suscité une telle peur et un tel effet de vote " anti ". Parce que jamais depuis 1974 une majorité sortante n’a gagné l’élection présidentielle.

Parce que le souvenir du 21 avril 2002 a fortement mobilisé la gauche. Imperdable surtout parce que tout montrait une attente de gauche très forte dans le pays. Un sondage Ipsos sorti des urnes du 22 avril révèle que, parmi les six thèmes qui ont le plus compté dans le choix des Français, cinq donnent un avantage à la gauche (chômage, pouvoir d’achat, éducation, exclusion-pauvreté, retraites) contre un seulement à la droite, l’insécurité, dont le poids dans la campagne a été bien moindre qu’en 2002.

Le candidat de la droite l’emporte, mais la France n’est pas à droite. La plupart des thèmes qui ont dominé le débat depuis des années sont de gauche : demande de protection contre les déséquilibres de la mondialisation, demande d’une Europe plus sociale et plus démocratique (" non " au traité constitutionnel), demande d’une protection sociale consolidée (mobilisation contre les réformes Fillon), demande d’un droit du travail protecteur (mobilisation contre le contrat première embauche), demande de services publics garantis dans les quartiers comme dans les zones rurales, demande d’une nouvelle donne écologique, demande d’une école de l’égalité réelle, demande d’un Etat fort, capable de réguler et de stimuler l’économie.

Alors pourquoi cet échec ? La principale raison, c’est Ségolène Royal elle-même, non sa personne, mais ses choix politiques. Tout autre candidat aurait probablement fait mieux qu’elle.

Ces choix, ceux d’une ligne politique perdante, elle les a arrêtés le plus souvent seule, sans consulter son parti. Ségolène Royal a imposé une droitisation des thématiques - ordre, sécurité, drapeau -, ce qui revenait à remettre au coeur du débat des thèmes favorables à la droite. Autant offrir directement l’élection à l’adversaire ! Elle a privilégié le discours sur la méthode (la démocratie participative, le " renouvellement politique ") et sur le sociétal, qui sont des questions secondaires pour l’électorat.

Elle a délaissé les thèmes économiques et sociaux, l’enjeu européen et la mondialisation, alors qu’ils constituent la clef pour l’avenir, ce que les Français savent bien. A tel point - grand paradoxe - que Nicolas Sarkozy a pu se présenter comme le candidat de la protection contre les " désordres du libéralisme ". Elle a opéré un déplacement vers le centre confirmé par l’offre d’alliance faite à François Bayrou, qui a jeté dans la perplexité de nombreux électeurs de gauche.

La campagne brouillonne de Ségolène Royal, marquée par l’improvisation permanente, a permis à Nicolas Sarkozy d’apparaître comme le candidat de la crédibilité, du rassemblement et surtout du changement, alors qu’il était le candidat de la majorité sortante. Cette campagne sans véritable ligne directrice a été trop solitaire et trop personnalisée. Les impairs se sont multipliés et les propositions sont restées floues. " Nous en discuterons après. " Mais les Français ne votent pas pour des promesses de discussions !

Tout faux, en un mot. S’il y avait une leçon à tirer du 21 avril 2002, c’était qu’il fallait retrouver le chemin de l’électorat populaire. Ségolène Royal a cru y parvenir en parlant d’ordre, de sécurité et de participation, alors que cet électorat attendait un vrai changement à gauche sur le terrain économique et sociale, fondé sur des propositions précises. Résultat : sa campagne a eu un effet démobilisateur sur l’électorat de gauche. Elle n’a su rassembler ni son camp, ni sa base électorale, ni créer une dynamique au-delà.

Les sondages sortis des urnes montrent que près de la moitié de ses électeurs n’a voté pour elle que par rejet de Nicolas Sarkozy. Face à un candidat moins polarisant, son score aurait été encore plus faible. Contrairement à ce qu’elle prétend, elle n’a pas engagé le renouvellement de la gauche ; elle a approfondi sa crise.

Le Parti socialiste doit accepter de tirer pleinement les conséquences de ce fiasco. Rien ne serait pire que de refuser, au nom de l’unité, d’analyser ses raisons et d’opérer les remises en cause nécessaires. Faire ce travail est d’ailleurs le meilleur moyen pour préparer les législatives : montrer aux Français, et avant tout aux électeurs de gauche, que l’on a compris leur message. Renouveler la politique, c’est d’abord cela : mettre chacun devant ses responsabilités.

Le parti a besoin d’une refondation autour d’une ligne authentiquement de gauche, d’une gauche concrète et d’avenir. C’est là l’enjeu de fond. Ségolène Royal a imposé sa candidature à partir d’une critique du socialisme français qualifié d’" archaïque ". Ce discours lui a valu le soutien d’une partie du monde médiatique, intellectuel et culturel acquise à l’idéologie de la " troisième voie ". Selon eux, le problème du PS français viendrait de ce qu’il n’a pas réalisé son aggiornamento social-démocrate. Le résultat de cette élection contredit cette affirmation. Le socialisme du centre porté par Ségolène Royal est mis en échec. Les Français ont préféré la présomption du changement avec Nicolas Sarkozy, si douloureux puisse-t-il être, au risque du statu quo avec le social-centrisme de la candidate socialiste.

Face aux quatre grands enjeux actuels - persistance du chômage de masse, risque de décrochage économique de la France, précarisation généralisée de la société et nouveaux périls environnementaux -, seul un projet de transformation à gauche peut être crédible. C’est ce projet renouvelé, en prise avec les enjeux de demain, et enfin sérieux qu’il faut maintenant reconstruire.

Alexis Dalem

Chercheur en science politique et corédacteur en chef de la "Revue socialiste"


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