« Un peuple et son roi », chef d’oeuvre cinématographique et historique

lundi 21 octobre 2019.
 

1) Allez voir « Le Peuple et son Roi » de Pierre Schoëller !

La sortie du film de Pierre Schoëller constitue selon moi un grand évènement cinématographique. Pour la première fois depuis bien longtemps (depuis « La Marseillaise » de Jean Renoir, en 1938, c’est à dire il y a 80 ans), un film rend hommage, sans caricature grossière, à la Révolution Française et place enfin comme acteur central de ce grand évènement historique : le Peuple. Il tranche avec les deux films très didactiques, qui ont tant été vus dans les lycées, composant "La Révolution Française" de Robert Enrico paru en 1989, où la deuxième partie semblait présenter 1793 et 1794 comme un "dérapage" violent et totalitaire après quatre prétendues "années lumières" selon le titre attribué. Sans parler du très beau "Danton" de Wajda qui, avouons-le, parle plus de la Pologne de Jaruzelski que de la France révolutionnaire.

Ici, c’est le courage de gens simples, leurs doutes, leurs espoirs et leurs évolutions idéologiques que ce film magistral montre avec une rare subtilité et souvent avec émotion. La dynamique complexe des étapes principales de la Révolution est retracée avec intelligence, par une succession de tableaux s’enchainant par des ellipses. Le rapport, souvent contradictoire, du peuple à son roi, après des siècles d’oppression, est montré avec justesse et l’évidence que l’accomplissement réel de la promesse de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne pouvait existait à terme que dans la rupture nette avec la monarchie, est démontré avec brio.

L’originalité de cette oeuvre vient aussi que les femmes y occupent une place centrale. Enfin ! Elles furent si longtemps les oubliées de cette Histoire, où seulement vues dans des personnages troubles comme Madame Rolland ou Charlotte Corday. Et même le personnage d’Olympe de Gouges, favorable à la monarchie constitutionnelle et personnage en réalité très mineur de la Révolution, avait occulté les femmes du peuple par son omniprésence médiatique par la façon univoque dont il fut mis à la mode il y a une vingtaine d’années. Quel bonheur pour moi de voir à l’écran pour la première fois la révolutionnaire Pauline Léon, même si c’est de façon furtive. Les femmes furent pourtant le moteur de cette Révolution populaire, toujours au premier rang, participant au discussion politique, payant souvent de leur vie leur engagement, même si l’égalité civique entre les hommes et les femmes n’était pas encore à l’ordre du jour, ce que le film ne masque pas. Sur ce point, on pense bien sûr en voyant ce film à l’ouvrage si important de l’historienne Dominique Godineau « Citoyennes tricoteuses » parue en 1988.

La force du film est donc qu’il ne met pas en scène des personnages révoltés, comme le cinéma sait classiquement le faire, mais bien d’une Révolution et ceux qui l’alimentent. Dès lors, la question démocratique, à travers le débat sur le vote censitaire ou non, et la question sociale traversent ce film. C’est l’exigence de réponses à ces deux questions fondamentales qui écrira l’Histoire. C’est encore le cas.

Le personnage de Maximilien Robespierre est montré, si loin de la légende noire habituelle mais sans idolâtrie, dans toute son importance lors des débats parlementaires. Louis Garrel est parfait dans le rôle de cet « incorruptible » au verbe clair qui aura l’oreille des sans-culottes. A l’opposé, on comprend le poids des députés conservateurs qui comme Barnave voulaient très tôt que « la révolution soit terminée ». Ils ne supportaient pas la parole de ceux qui portaient vraiment la "Déclaration des droits de l’Homme et du citoyens" comme une exigence à mettre en application concrètement et non seulement des droits abstraits proclamés dans le ciel des idées, mais qui ne devaient surtout redescendre sur terre. La peur de ceux qu’ils voyaient comme

de « la canaille » les perdra. la brutalité de La Fayette faisant tirer sur le peuple au Champs de Mars n’est pas effacée. J’ai adoré Denis Lavant dans son interprétation époustouflante de Jean-Paul Marat « l’ami du Peuple », dont la parole effrayait les puissants et gonflait d’espoir les plus humbles, les humiliés… On pense aussi en voyant Lavant à Antonin Artaud dans le rôle de Marat, dans le "Napoléon" d’Abel Gance en 1937. Je n’ai souvenir d’aucune interprétation cinématographique du personnage depuis, si ce n’est des choses sans intérêt.

Les Brissotins, c’est à dire ceux qui l’on nomme désormais les Girondins (essentiellement depuis l’ouvrage de Lamartine), sont aussi montrés dans leur réalité crue : le mépris du peuple et sa soif de justice sociale et d’égalité. Amusant à l’heure où certains voient dans les Girondins un idéal démocratique. Ils étaient des propriétaires féroces qui avaient horreur de petit peuple.

Toutefois j’insiste, la force du film est de ne pas focaliser sur des grands personnages, au rôle certes majeurs, mais de placer au premier plan le peuple de Paris. On pourra d’ailleurs reprocher que ce film fait le choix de ne pas trop parler des campagnes et des paysans ou de la province. C’est juste. Mais il fallait faire des choix sans doute.

Je vois dans ce film extraordinaire une nouvelle lecture de la Révolution Française qui revient en force dans le débat public et j’en suis heureux. Après des années sombres où la lecture de l’historien François Furet s’était imposée (notamment lors du bicentenaire de 1989), de nombreux historiens nous ont permis depuis de parler à nouveau sans être insulté, de Maximilien Robespierre, Saint-Just, Marat et de tous ceux qui ne voulaient pas abdiquer la souveraineté du peuple devant les forces de l’argent. Déjà.

Un dernier mot sur Louis XVI, campé ici par un Laurent Laffite irréprochable. les failles du personnage permettent de comprendre pourquoi il était impossible de mettre en place une monarchie constitutionnelle dans un vieux pays où son pouvoir avait été si puissant et où les idées des Lumières avaient fécondé depuis longtemps avant que n’éclate la Révolution. « Cet homme doit régner ou mourrir » assénera Saint-Just lors de son procès. La sentence terrible sera d’une pertinence incontournable dans un moment où la France était envahie par des puissances étrangères qui voulaient le rétablir sur le trône et en proie à toutes les trahisons et les complots.

Je crois donc utile que le plus grand nombre aillent voir ce film, en débattent et se tournent ensuite vers les nombreux ouvrages retraçant l’importance de la Révolution Française. Les historiens qui ont aidé au film (Arlette Farge, Sophie Wahnich ou Guillaume Mazeau) sont de ceux-là. Mais il faut aussi lire ceux d’Hervé Leweurs, Michel Biard, Jean-Clément Martin, Jean-Marc Schiappa, Cécile Obligi, Claude Mazauric, Florence Gauthier ou encore Yannick Bosc et Marc Belissa.

J’en oublie d’autres qu’ils m’excusent.

Je forme le voeu ardent que ce film spectaculaire au demeurant (à la photographie si belle) fasse date dans notre histoire commune. A l’heure où la Ve République, et ses insupportables traits de monarchie présidentielle, s’enfonce dans un régime de plus en plus affaibli et de plus en plus inquiétant il faut renouer avec notre histoire profonde et l’acte de naissance de la République pour se projeter vers l’avenir et accomplir les promesses de la Révolution. J’ai lu avec étonnement que beaucoup de critiques cinématographiques l’ont décrié en le trouvant favorable" à la vision de Jean-Luc Melenchon" (cf. Le Point qui y voit "Une histoire melenchoniste de la Révolution" avec dégoût )... Le sectarisme de certains contre nous est comique et glaçante à la fois.

Un dernier mot. Le film s’achève à la mort du roi le 21 janvier 1793, laissant ouvert beaucoup de questions et notamment l’oeuvre de la Convention, la République montagnarde et la brûlante question de la violence révolutionnaire, et donc de la Terreur, qui a été si souvent était lancé au visage des défenseurs de la Révolution pour les faire taire. Ce film reste ambigu sur ces controverses...Tant mieux, tant pis ? Je vous laisse juge. Il reste au réalisateur de nous offrir une suite, pour que le débat public continue. Je l’attends avec impatience.

C’est pourquoi il faut aller voir « un peuple et son roi ».

Alexis Corbière

2) Feux et Lumière, le film de Pierre Schoeller « Un peuple et son roi »

par Robert Duguet

La Révolution Française est le moment fondateur de notre histoire moderne qui a été singulièrement maltraitée par les cinéastes : entre le Renoir de la Marseillaise soutenu par le PCF et la CGT de la période stalinienne, un Guitry dont le projecteur reste braqué sur la vie à Versailles dans son Si Versailles m’était conté et un Philippe de Broca, nostalgique de la monarchie avec Chouans et une comédie sans envergure des Mariés de l’an II, il a fallu le Danton de Wajda pour rencontrer un peu de grandeur historique.

Un peuple et son roi, ce sont sept années de travail de Pierre Schöeller pour mener à bien ce projet d’une fresque historique sur la Révolution Française qui va de la prise de la Bastille à l’exécution du roi Louis XVI, le 21 janvier 1793 . Sept années de travail dans les archives, de dialogue avec les historiens, de travail avec les décorateurs, costumiers, comédiens avec un seul souci : filmer un peuple dans une période révolutionnaire qui s’ouvre, dans une vie quotidienne faite des séquences de vie les plus simples, voire triviales.

Le film commence sous le faste de Versailles le jeudi « saint » de l’année 1789 : à la façon du Christ lavant les pieds de ses apôtres la veille de sa passion, le monarque lave ceux des enfants pauvres. Il rappelle par là le caractère de la monarchie française de droit divin. La caméra se déplace alors dans les faubourgs bouillonnant de Paris, à l’ombre des tours de la Bastille, dans l’atelier d’un maître verrier. Symbolique de l’ombre et de la Lumière…

Ceux qui voient dans la Révolution Français uniquement ce qu’en expriment ceux et celles qui l’ont représentée dans la constituante, à la Législative ou à la Convention – l’histoire faite par les grands hommes – n’aimeront pas ce film. Ils lui reprochent d’ores et déjà son caractère brouillon ou étrange : ainsi l’article commis par Olivier Lamm dans le journal Libération développe les méchancetés suivantes :

« Toute l’étrangeté d’Un peuple et son roi provient du fait que le film, malgré ses inventions, n’en contient aucune, pas plus qu’il n’abrite le moindre personnage, la moindre interaction qui soit plausible, la moindre incarnation. On comprend bien la volonté de Schöeller de remettre à plat la Révolution, de la repolitiser en quelque sorte en opposant les grands mots et les symboles face à la réalité - de quelles libertés, égalités, fraternités la période 1789-1793 fut-elle effectivement le terreau ? Mais comment expliquer alors l’étroitesse à l’écran de son petit théâtre d’idées, brouhaha de commentaires sur l’action politique qui n’aboutit à rien d’autre qu’à du trépignement ? De la maladresse de ces images incapables d’aboutir à un quelconque énoncé ou, pire encore, à celui inverse de celui escompté, telle cette éclaboussure de sang du roi décapité finissant dans les mains d’un enfant ? Le ratage de Pierre Schöeller est d’autant plus déroutant qu’en échouant à apporter un souffle vivant à son projet, il échoue à faire honneur à sa passion au moins autant qu’à celles de ses héros, qu’il finit par abandonner à leur destin quand ils proclament « la liberté ou la mort ».

C’est le pari fait par le cinéaste : dans une période où ceux qui sont en haut ne peuvent plus gouverner comme avant, et où ceux d’en bas ne peuvent et ne veulent plus continuer à accepter le joug qu’on leur impose, un peuple se met en mouvement, sans savoir exactement où il va. C’est précisément ce caractère brouillon et étrange, qui s’exprime par divers types sociaux campés par le cinéaste, qui porte ces masses d’hommes et de femmes en mouvement vers la conscience : comment un peuple, à travers sa relation avec son Roi, va rompre avec des siècles de monarchie pour finalement se donner une République une et indivisible qui commence par un « régicide ». Comment sa représentation va concilier la démocratie à définir avec le principe monarchique, et comment le Roi et sa caste isolée va rompre avec son peuple, rendant l’issue inéluctable. Comment le rapport du peuple des faubourgs, les « sans dents », va se nouer avec la représentation qu’il s’est donné par le suffrage universel : les travaux de la Législative, puis de la Convention se tiennent sous la pression des sections et des clubs qui forcent la main des élus, lorsque ceux-ci ne veulent pas aller dans le sens voulu par la population : on en rêve d’une situation pareille, avec cette Vème république quasi-monarchique qui n’en finit pas de crever !

Dans un dialogue entre Pierre Schöeller et l’historien Patrick Garcia, l’artiste dit ceci :

"Les enfants sont là dans la ville. Ils sont là dans la rue, ils travaillent. C’est un temps où si on ne travaille pas, on ne mange pas. Le peuple de Paris a traversé la Révolution, il est là à la Bastille, au Champs-de-Mars. La Révolution devient quelque chose de très humain et plus un cours d’Histoire. Aussi, il était très important qu’il y ait une sensibilité politique des femmes. Les comédiennes sont magnifiques. Les chants des femmes, c’est la vie, la jeunesse, la spontanéité...Je voulais le mettre au cœur du film"

Et plus loin :

"C’est un même monde. Ce n’est pas l’un contre l’autre. Robespierre est chahuté au début et 2-3 ans après, on l’écoute dans un silence de cathédrale. La Révolution, ce sont des anonymes qui peuvent avoir un rôle très fort dans l’Histoire".

"Je ne sais pas. La politique appartient à tous. Il ne faut pas penser que la politique appartient à quelqu’un. Elle fait partie de la vie. Là, dans ce film, j’ai essayé de retrouver un sentiment de satisfaction, de montrer qu’on peut changer le monde, que l’égalité ce n’est pas un vain mot, qu’au contraire c’est un mot fort, tout comme la fraternité qui peut être un mot joyeux".

L’année 1791, baptisée année des trahisons : la machine s’emballe. Le Roi fuit à Varennes. Le gouvernement, sous l’influence de Lafayette, fait tirer sur les manifestants du Champs de Mars : ceux là même, y compris dans le peuple, qui ne souhaitaient pas toucher au principe monarchique, sont entrainés plus loin qu’ils ne l’avaient voulu. Les gens du faubourg Saint-Antoine interviennent à l’Assemblée nationale, puis à la Convention. Ils débattent dans les clubs, prennent les armes.

Pierre Schöeller fait revenir sur la scène de la révolution des personnages oubliés par l’histoire officielle, les textes des interventions sont soigneusement choisis. Le rapport entre les sans grades et la représentation politique est constamment traité. Sans cette pression de la base, la révolution n’aurait pas été aussi loin qu’elle ne l’a été : on voit se dérouler le combat pied à pied que mènent Barnave – partisan éclairé de la monarchie constitutionnelle – et les députés girondins, pour limiter la révolution à ses revendications bourgeoises et donc sauver le principe monarchique. Rappelons la formule de Marx : le jacobinisme va alors aider la bourgeoisie à se libérer de ses ennemis féodaux, malgré ses propres réticences. Le 21 janvier 1793 la révolution ira à son terme.

Vous qui êtes saturés par la petitesse des personnages politiques que nous subissons à nos dépens, allez voir ce film, il donne des raisons de continuer à combattre. Une génération d’hommes ce n’est rien à l’échelle de l’histoire, puisque les élites de la nôtres – à gauche j’entends – s’est vautrée dans le mitterrandisme et la trahison. La vieille taupe continue de creuser !


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