Italie : « Les chiffres issus des urnes, suite aux élections du 4 mars, sont impitoyables » (NPA)

mercredi 28 mars 2018.
 

Déclaration de Sinistra Anticapitalista, traduction À l’encontre.

Les chiffres issus des urnes, suite aux élections du 4 mars, sont impitoyables et représentent clairement, malgré le cadre déformant du vote, la situation politique et sociale dramatique du pays et les rapports de forces entre les classes après des années de politiques d’austérité et de défaites comme de divisions des travailleuses et travailleurs ainsi que des mouvements sociaux.

1.- La première donnée à souligner est la défaite très dure de PD (Parti démocrate) et de Matteo Renzi qui paient leur rôle dans la gestion des politiques néolibérales de la bourgeoisie ayant trait à des questions fondamentales propres au droit du travail et à l’école. L’action réactionnaire anti-migrants de Paolo Gentiloni [président du Conseil des ministres, depuis le 12 décembre 2016, dans la foulée de Renzi] et de Marco Minniti [ministre de l’Intérieur du gouvernement Gentiloni] pour tenter de récupérer des votes qui fuyaient vers la droite n’a pas seulement empêché les électeurs et électrices de choisir directement les autres formations politiques – qui se sont distinguées ces dernières années pour leur campagne raciste et xénophobe, en commençant par la Ligue – mais elle a contribué à construire et à nourrir un terrain de division et d’affaiblissement de la classe des salarié·e·s, dans laquelle les conditions subjectives de la marginalisation plurielle des travailleurs/travailleuses ont pris appui sur la situation faite aux migrant·e·s et sur la « présentation gouvernementale » qui en est donnée.

Le PD entraîne dans sa défaite tous ceux qui en faisaient partie dans le passé ou qui l’ont en quelque sorte flanqué. Il est impossible pour Pier Luigi Bersani [issu du PCI, des Démocrate de gauche, du PD, participe en 2012 à la coalition Italia. Bene Comune], Massimo D’Alema [le même le parcours du PCI au social-libéralisme affirmé, toujours prêt à un « nouveau coup » politique] et Pietro Grasso [passe du PD à la constitution de Libres et Egaux – LeU] de paraître distincts et alternatifs au PD après des années de soutien à ses options. Il est impossible pour SI (Sinistra Insieme – Gauche ensemble) d’avoir un rôle, après les multiples participations avec le PD dans les gouvernements régionaux et locaux, quand y participait une formation telle que celle de Libre et Egaux. Il est difficile de penser que cette agrégation puisse avoir un avenir, que de plus elle ne « mériterait » pas.

Comme cela s’est produit dans le passé avec l’échec du gouvernement de Romano Prodi, [de mai 2006 à mai 2008], le discrédit et le rejet d’un parti comme le PD qui se présente et est présenté comme un parti de « gauche » exercent une dynamique négative sur toutes les forces qui font encore référence à cette qualification et définition [« gauche »]. La reconstruction d’une véritable gauche qui a commencé lors des élections avec la formation de la liste Potere al Popolo [Pouvoir au Peuple] sera inévitablement longue et difficile.

2.- La deuxième donnée faisant sens est le triomphe du M5S [Mouvement 5 étoiles] qui va au-delà de nombreuses prédictions : la colère, la frustration et la recherche d’une solution différente à l’existant ont trouvé un point de référence dans le parti de Beppe Grillo et de Luigi Di Maio [une « figure lisse », mise au premier plan lors des élections, vice-président de la Chambre depuis 2013, dirigeant du M5S depuis septembre 2017]. Malgré les désastres des administrations locales (dans certaines villes comme Rome et Turin un prix a été payé), le M5S a été perçu par de grands secteurs de l’électorat, en particulier dans le Sud, comme un vote utile, un outil possible pour un changement immédiat, crédible dans des contextes différents, ne serait-ce que suite à des propositions politiques génériques et contradictoires. Le M5S devient et s’affirme comme un acteur fondamental et incontournable de la prochaine phase politique, avec un rôle central dans la gestion du capitalisme italien.

Malgré l’avancée d’une formation comme le M5S, le taux d’abstention reste considérable et est légèrement au-dessous du niveau de 2013. Plus d’un quart de l’électorat n’a trouvé aucune proposition utile sur « le terrain ». Et beaucoup d’abstentionnistes se trouvent et reflètent la situation des secteurs les plus exploités et marginalisés

3.- La troisième donnée, certainement le plus dramatique, réside dans la montée d’un mouvement réactionnaire et xénophobe, comme la Ligue de Matteo Salvini, avec des résultats exceptionnels à l’échelle nationale (d’autant plus au Nord). L’intoxication de larges pans de la population par ce démagogue, la haine envers les migrants [un migrant sénégalais a été assassiné à Florence, plusieurs balles ont été tirées dans la tête quand il gisait au sol, le lundi 5 mars], la déconstruction de la solidarité et de l’action collective démocratique représentent une grave menace pour l’avenir.

Dans le cadre de la coalition de droite [Lega, Forza Italia, Fratelli d’Italia, Noi con l’Italia], Forza Italia est largement dépassée [14,03% pour FI à la Chambre contre 17,39% pour la Lega] et le rôle de Berlusconi pourrait bien être relégué au second plan. Il faut aussi tenir compte du résultat de l’autre force nationaliste et réactionnaire constituée par les Fratelli d’Italia [Giorgia Meloni, sa porte-parole, a clamé ses relations étroites avec Viktor Orban, lors d’un déplacement « électoral » en Hongrie] pour comprendre comment s’est produit et se produit un mouvement global et profond vers la droite dans l’« opinion publique » et dans le « sentiment politique commun ». La coalition de droite n’est pas en mesure d’atteindre 40%, mais elle est très proche avec 37,08% (avec 267 sièges elle ne peut avoir une majorité à la Chambre), mais elle s’affirme comme un sujet politique fondamental dans la prochaine phase politique. Son succès est la preuve – et à la fois la condamnation sans appel – des effets socio-politique et idéologiques des actions des gouvernements de centre gauche.

Enfin, les résultats obtenus par Casa Pound ne peuvent être sous-estimés, outre ceux de Forza nuova. Ils dépassent le seuil de l’inexistence électorale, réussissant à obtenir un rôle politique et une visibilité nationale grâce à l’aval des forces politiques et au rôle de l’appareil étatique et gouvernemental.

Cependant, les élections aboutissent à un cadre institutionnel difficile à maîtriser en termes gouvernementaux, car aucune des trois coalitions [M5S : 229 sièges ; « centre droit » : 267 ; « centre gauche » : 117, à la Chambre] n’a atteint la majorité absolue des parlementaires, avec l’impossibilité numérique de reproduire l’expérience des accords généraux.

Cela pourrait conduire à des solutions de coalitions sans précédent, hétérogènes et potentiellement faibles, difficiles à gérer même par la bourgeoisie dominante, voire à une crise institutionnelle avec la nécessité de revenir à des nouvelles élections à court terme. Dans cette situation, le seul antidote à des solutions d’extrême-droite encore plus radicales est la reprise d’un protagonisme des masses populaires et de la classe ouvrière, une relance plus pressante que jamais.

4.- Si ces résultats sont l’expression des défaites du mouvement ouvrier, du déclin du rôle et de la subjectivité de la classe ouvrière, il est impératif de mettre en cause les directions des grandes organisations syndicales qui ont endossé les politiques d’austérité gérées par le centre gauche. De la sorte, elles ont privé la classe ouvrière de la possibilité de construire une véritable résistance face à ces politiques et décisions, alors qu’à certaines occasions existaient des conditions concrètes pour le faire et une forte demande de la part des salarié·e·s (voir sur le Jobs Act et sur la loi intitulée « Bonne école »).

Leurs responsabilités sont très importantes et sont mises en relief par les « accords de restitution » signés [à quelques jours des élections : le 28 février et portant sur la mesure de la « représentativité syndicale », entre autres dans les entreprises] entre les trois confédérations syndicales [CGIL, UIL et CISL] et les patrons et la Confindustria. En réalité, une camisole de force pour empêcher les revendications et la lutte des travailleurs. Les dirigeants de la CGIL, de la CISL et de l’UIL veulent préserver leurs appareils et leur rôle politique en supprimant les droits et les protections économiques et contractuelles de toutes les catégories de travailleurs et travailleuses.

Nous sommes confrontés à une double calamité : la victoire des différentes droites extrêmes lors des élections et une collaboration totale de classe des appareils de grands syndicats avec les employeurs et leurs institutions.

Il est indispensable de reconstruire une perspective de gauche, anti-néolibérale – et encore plus anticapitaliste – parce que ces deux niveaux ne peuvent être séparés. Pour cela, il s’agit d’accumuler une force et de façonner une détermination qui prenne, entre autres, appui sur la dimension sociale et syndicale, c’est-à-dire qui entre en syntonie [concrète et symbolique] avec les besoins immédiats et ressentis du prolétariat [dans sa diversité et unité potentielle].

Pour cette raison, il nous semble essentiel de construire un front commun pour la lutte de tout syndicalisme de classe, de la gauche syndicale de la CGIL qui s’apprête à mener une bataille importante lors du prochain congrès cette Confédération, jusqu’aux divers syndicats de base et de luttes.

5.- Le résultat du Pouvoir au Peuple [Potere al Popolo] est certes inadéquat par rapport aux besoins de la phase politique, mais certainement pas méprisable face aux énormes obstacles qui sont apparus devant nous. Il constitue un point de départ précieux et une espérance concrète.

L’objectif de reconstruction d’un point d’appui, en combattant la dispersion des organisations politiques et des différents acteurs des mouvements sociaux, n’a commencé qu’avec le travail acharné et impétueux de ces trois mois qui nous a permis d’approcher et d’impliquer les secteurs militants anciens et nouveaux et d’engager des dialogues. C’est la voie nécessaire et indispensable pour ouvrir une nouvelle phase de résistance sociale et de construction de mouvements de masse.

Si le résultat électoral est encore loin du quorum nécessaire pour obtenir une représentation parlementaire (mais avec des pics significatifs dans certaines situations locales), c’est aussi une base significative, d’autant plus qu’il a été atteint dans une situation politique marquée par diverses forces qualifiées et auto-qualifiées de « gauche ».

Il appartient aux acteurs de Pouvoir au Peuple de passer de la campagne électorale à l’activité quotidienne sur le lieu de travail, dans les écoles, dans les territoires, de reconstruire les mobilisations pour rejeter les nouvelles attaques portées par le gouvernement, ce que la bourgeoisie exigera des partis qui seront mis en place pour gérer le système dans le cadre de l’Europe capitaliste et de ses règles libérales.

La Gauche anticapitaliste (Sinistra anticapitalista) a été impliquée dans la construction du Pouvoir au Peuple (Potere al Popolo) dans le cadre d’une activité unitaire, avec ses candidats et son engagement en tant qu’organisation.

Nous tenons à remercier tous les partenaires et camarades qui se sont engagés dans ce travail difficile. Ce qui nous a permis d’obtenir des résultats politiques et organisationnels significatifs et utiles pour l’avenir, même dans les conditions difficiles qui nous sont données.

Sinistra anticapitalista s’engagera à consolider la convergence et l’unité d’action des forces qui ont donné naissance à cette expérience [Potere al Popolo], à élargir son périmètre, à développer un débat politique pour qu’elle puisse être protagoniste de la nouvelle phase politique qui s’ouvrira inévitablement dans la foulée du 4 mars.

(Résolution publiée sur le site de Sinistra Anticapitalista, le 5 mars 2018 ; traduction A l’Encontre)


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