Non au repassage des seins des adolescentes au Cameroun

samedi 11 mai 2019.
 

Josiane Matia, 11 ans, élève en classe de sixième, à Yaoundé, la capitale du Cameroun, pleure sur le chemin de l’école. Marchant à pas lents, elle se plaint des douleurs provoquées par un serre-sein que lui a imposé sa maman depuis trois mois. « Avant ce serre-sein, ma mère utilisait la pierre à écraser chauffée au feu pour me masser la poitrine », dit-elle à IPS, d’un air égaré, la semaine dernière. Matia ajoute d’une voie tremblante. « Chaque soir, ma mère ausculte ma poitrine, me soumet au massage, tantôt avec le pilon, tantôt avec des fruits noirs, en répétant : « il faut que ces billes disparaissent ; sans cela, les hommes vont commencer à te suivre ». « Bien que je pleure chaudement à cause de la douleur, elle me dit : supporte ma fille, tu es jeune et cela ne sert à rien d’avoir les seins à ton âge ».

Le « repassage des seins » des adolescentes au Cameroun est une pratique largement répandue dans les 10 provinces de ce pays d’Afrique centrale. [...] Le modelage des seins consiste à se servir des objets chauffés, tels que la pierre à écraser utilisée dans la cuisine, le pilon, la louche, la spatule, des boules de couscous, des fruits noirs et autres pour masser les seins des adolescentes dans le but de les faire disparaître.

Une véritable mutilation

Selon la Coopération technique allemande (GTZ) qui a mené, en janvier dernier, une enquête sur le modelage des seins des jeunes filles au Cameroun, quelque 3,8 millions d’adolescentes sont menacées de destruction de leurs seins par la pratique du « repassage ». « Au Cameroun, 24% des filles, soit pratiquement une fille sur quatre, subissent le « repassage des seins », indique le Dr Flavien Ndonko, un médecin en service à la GTZ. Selon Ndonko, l’argument avancé par les parents pour justifier cette pratique traumatisante, est d’éviter aux jeunes filles que les hommes leur courent après trop tôt ; qu’elles ne commencent tôt la sexualité qui peut entraîner une grossesse précoce et ternir l’image de leur famille. Les parents disent également qu’ils veulent que leurs filles grandissent et poursuivent normalement leurs études.

Mais non seulement le « repassage des seins » n’a pas empêché les grossesses précoces chez les jeunes filles, mais il implique encore des conséquences graves sur leur santé, selon les médecins. « Au-delà de la douleur et du traumatisme dus au « repassage des seins », certaines filles se sont retrouvées avec les seins totalement détruits », explique Marie Claire Eteki, médecin en service au ministère de la Santé publique. « Le repassage des seins », souligne-t-elle, « occasionne de nombreuses souffrances et peut favoriser l’apparition de certaines maladies, telles que le cancer des seins, les kystes, la dépression ».

Les tantines se mobilisent

« Ma tante et ma maman me pilaient la poitrine tous les jours alors que j’avais à peine 10 ans (en 1995). Je pleurais inlassablement, mais elles ne me lâchaient qu’après cette séance macabre de torture », se souvient Brenda Mahop, étudiante en première année de droit, à l’Université de Yaoundé II-Soa. Elle déclare : « Je suis cardiaque aujourd’hui, mais je ne sais si ma maladie est inhérente à l’écrasement de ma poitrine durant l’adolescence ». Elle s’est enrôlée dans la campagne en cours, lancée par des filles-mères au Cameroun, contre le « repassage des seins » chez la jeune fille.

Ces filles-mères, constituées en 61 associations à travers le pays, réunies au sein du Réseau national des associations de tantines (RENATA), dénoncent la peur et le spectre de la douleur atroce qui ont contraint certaines de leurs camarades à fuir le domicile parental. Mais une escapade qui s’est souvent soldée, pour la plupart, par des viols, le harcèlement et des grossesses non désirées.

Témoignages émouvants

Jeanine Efon, 23 ans, a raconté qu’elle avait quitté ses parents pour se réfugier chez un oncle alors qu’elle avait 13 ans. Mais cet oncle et son épouse lui ont réimposé le rituel du « repassage des seins ». Elle s’est enfuie de nouveau et en errant dans une rue adjacente à leur maison, elle a été recueillie par un voisin qui semblait compatir à ses malheurs. Mais la suite lui a été fatale : ce « sauveur » l’a violée, le même soir.

Ariane Elouna a une histoire similaire. « Revenue de l’école un après-midi alors que j’étais en classe de cinquième, ma tante m’a suivie dans la chambre (en 2004) et a lancé : « qu’est-ce que tu as là, sur la poitrine ? », dit-elle. « Puis, elle (la mère) a chauffé la pierre à écraser, m’a demandé de me déshabiller. Elle s’est ensuite protégé les mains et s’est mise à me brosser vigoureusement les seins », souligne-t-elle. « Ne pouvant plus supporter la douleur, j’ai fui le lendemain chez notre voisin, et c’est là que son fils m’a violée et je suis tombée enceinte ». Elouna a 15 ans aujourd’hui et est mère d’un garçon de trois mois.

Passivité des autorités

Malgré les problèmes causés jusqu’ici aux jeunes filles par le « repassage des seins », qui est une forme de mutilation corporelle, aucune interdiction formelle n’a été prononcée contre cette pratique par les autorités camerounaises. « Le ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille nous encourage dans la poursuite de nos efforts de sensibilisation des parents, contre le repassage des seins. Mais j’estime cela insuffisant, compte tenu de l’expansion du phénomène et de ses conséquences dans nos sociétés », indique Bessem Ebanga, secrétaire exécutive du RENATA. « Nous voulons inciter les pouvoirs publics à introduire une loi au Parlement, pour l’interdiction de cette pratique abominable. Les seins, c’est un don de Dieu », ajoute-t-elle.

Eric Effemba, en service au ministère de la Promotion de la femme et de la famille, explique : « Notre souci, c’est de promouvoir l’égalité des sexes, améliorer la santé maternelle pour concourir à l’un des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ». « Raison pour laquelle nous soutenons le combat des filles-mères, tout en réfléchissant, avec la société civile, sur un éventuel projet de loi qui interdira le repassage des seins dans notre société », indique-t-il. [...]

TETCHIADA Sylvestre

* De Inter Press Service News Agency, 23 juin 2006. Reproduit par le périodique suisse « solidaritéS » n°90 (05/07/2006).


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