Football et finance : la Suisse, la corruption et la FIFA

samedi 27 juin 2015.
 

Ainsi, le parrain de Cosa FIFA a fini par démissionner, ayant appris que son alibi habituel – « tout s’est fait dans mon dos » – ne fonctionnait plus et que le FBI l’avait en ligne de mire. A peine réélu, Sepp Blatter annonce son départ. Fin des aventures des corrupteurs en Suisse ? Pas vraiment, même si le gouvernement fédéral eût bien voulu dissocier complètement l’image de la Suisse, idyllique évidemment, des activités des sales gamins des associations sportives, dont la FIFA était le phare, brassant des centaines de millions, tout en disposant du même statut juridique qu’un groupe de modélistes ferroviaires et d’amis du rail.

Dans le message qui accompagne sa réforme des articles du Code pénal concernant la corruption, le Conseil fédéral indique que « la Suisse abrite de nombreuses fédérations sportives internationales qui gèrent souvent des intérêts économiques et financiers très importants et dont les décisions, par exemple lorsqu’il s’est agi d’attribuer l’organisation d’événements sportifs de renommée planétaire, ont parfois été entachées par des scandales de corruption ». Lors du débat sur ce projet de réforme au Conseil des Etats, certains intervenants en mal d’inspiration s’écrièrent qu’il ne s’agissait pas de discuter d’une « Lex FIFA », voulant sans doute signifier par là qu’ils légiféraient hors de toute pression de l’actualité, tels de nouveaux dieux sur l’Olympe. Pourtant, des pressions il y en a eu : celles du GRECO, le Groupe d’Etats contre la corruption, institution spécialisée du Conseil de l’Europe, dont la Suisse est membre. Celles de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, chargé de vérifier l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption, signée par la Suisse.

Il y a là quelques similitudes avec le secret bancaire : au nom d’une version pour le moins laxiste du libéralisme économique, on défend une attitude du « pas vu, pas pris » qui finit par irriter les autres acteurs du capitalisme international, pas ravis de voir la Suisse profiter des « niches » juridico-fiscales qu’elle offre sur le marché mondial. Avocat et spécialiste du droit du sport, mais aussi vice-président de Swiss Olympic, Stephan Netzle reconnaît ainsi que « c’est notamment grâce à notre droit des associations libéral et à l’autonomie des associations que la Suisse est devenue le siège préféré des associations sportives internationales ». Il donne aussi le sens de la réforme voulue par le gouvernement en précisant que « nous ne pouvions plus nous permettre, en tant que plus important site d’accueil des organisations sportives internationales, de ne pas remplir au moins les standards juridiques minimaux » (NZZ, 4.6.2015).

Car le droit suisse avait à l’égard de la corruption entre privés quelques préventions bienvenues pour Blatter et ses amis. Cette forme de corruption, contrairement à celle qui touchait le domaine public, n’était en effet pas poursuivie d’office, mais uniquement sur plainte. Avec un succès considérable, puisque depuis huit ans que cette règle est entrée en vigueur, aucune condamnation n’a été prononcée… En outre, le droit suisse fait reposer l’infraction de corruption privée sur la manifestation d’une concurrence déloyale. Ce qui débouche sur des situations grotesques, dans lesquelles, par exemple, les pots-de-vin versés aux hauts dignitaires de la FIFA pour obtenir des droits de retransmission ou de sponsoring seraient punissables, car faussant la concurrence, mais pas les millions versés pour l’attribution de la Coupe du monde (il ne s’agit pas d’un marché) !

Pour verrouiller la situation actuelle, la majorité du Conseil des Etats a donc décidé de rejeter la poursuite d’office des faits de corruption privée. Ce qui a eu le don de provoquer l’ire des commentateurs de la presse. Le Temps parle de « signal négatif […] qui risque d’être très mal perçu hors de nos frontières » et la NZZ de « protection du népotisme ». Ce rejet de la poursuite d’office est aussi – tiens, tiens – la position d’économie suisse et des banques.

On peut certes fustiger l’archaïsme et la mauvaise foi dont ont fait preuve les opposants à la réforme de l’exécutif fédéral, en espérant que le Conseil national ne les suivra pas. Ce serait cependant passer à côté de l’essentiel, qui est la profondeur de la culture du « pas vu, pas pris » dans le système économique et politique de la Suisse. Oh ! certes, le pays n’est pas une république bananière. Nos fraudeurs en tout genre ont appris les bonnes manières et cultivent la discrétion. Celle des salles de tribunaux, où l’on marche à pas feutrés, en parlant bas, sous les ors de la justice et le décorum de la solennité.

Récemment, le Ministère public de la Confédération (MPC) a annoncé avoir classé le dossier du raffineur d’or tessinois Argor Heraeus, l’un des principaux acteurs mondiaux du secteur. L’entreprise avait transformé trois tonnes d’or pillées par des rebelles congolais entre 2004 et 2005, ce qui aurait dû lui valoir une inculpation d’assistance intentionnelle à la commission de crime de guerre. Oui, mais voilà, dit le MPC, cette société « n’a pas commis de délit, puisqu’elle n’a pas nourri de doute sur la provenance de l’or ». Magnifique, non ? Tout le monde savait ce qui se passait en République démocratique du Congo, mais Argor Heraues ne se doutait de rien. Donc innocent. A la FIFA, Blatter non plus ne se doutait de rien…

Daniel Süri


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