L’éclipse médiatique du Front de Gauche par Front National : Fusion et confusion.

lundi 9 mars 2020.
 

Au péril de la démocratie : l’éclatement généralisé des repères politiques.

Nous avons déjà mis en évidence les différentes stratégies de neutralisation FdG et notamment du PG par les agents de la sphère médiatico– politique : La marginalisation – effacement ; la déformation – caricature ; la diversion, le divertissement ; la promotion du FN comme agent de neutralisation et évidemment le conditionnement des esprits au format ultralibéral ou social–libéral.

Nous allons étudier ici un autre procédé particulièrement toxique et souvent crapuleux : la dissolution dans la fusion – confusion.

Il s’agit d’instiller dans l’esprit des citoyens l’idée qu’il existe une forte analogie voire même une superposition plus ou moins importante entre les positions du Front de Gauche et les positions du Front National ou plus généralement de l’extrême droite.

1 – Les attaques personnelles contre Jean-Luc Mélenchon.

La hauteur des "arguments" utilisés ne dépasse pas alors la hauteur d’un bord de trottoir. De telles attaques sont souvent motivées par des manœuvres politiciennes de bas étage renvoyant aux citoyens une image détestable de la politique.

Ainsi, Mélenchon avait été accusé d’antisémitisme en 2012 ce qui a valu aux auteurs de l’accusation un procès qu’ils ont perdu et une amende. (Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Alain Juppé). Pour plus de détails voir : Le Figaro du 12/03/2015 (1)

Plus récemment, Cécile Duflot compare Jean-Luc Mélenchon à Paul Déroulède ultranationaliste d’extrême droite qui a participé à la répression de la commune de Paris ! Qu’importe si ce genre d’assimilation porte atteint à la dignité de celui qui en est victime. Pour plus de détails voir les articles : Cécile Duflot compare Jean-Luc Mélenchon à Paul Déroulède ! (2) et (3)

Observons une chose intéressante : après avoir reçu de Mélenchon son livre : "Le hareng de Bismarck " , elle juge utile de lui répondre non pas personnellement mais en utilisant un grand média privé détenu par le groupe PMP (4)

Curieuse conception du dialogue politique entre organisations qui font des alliances souvent performantes au niveau local. Il s’agit en réalité ici d’une manœuvre politicienne à usage interne

Un autre type d’attaque personnelle consiste à utiliser le terme de populisme à toutes les sauces et notamment l’appliquer simultanément à Mélenchon et à Le Pen. Cela avait été utilisé, entre autres, par le journal Le Monde. Heureusement, tous les médias ne sombrent pas dans une telle médiocrité intellectuelle. Ainsi le magazine Mariane du 10/02/2012 remettait bien les pendules à l’heure dans un article intitulé "Pour Le Monde, Mélenchon = Le Pen = populisme"(5) "Mettre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sur un pied d’égalité, une grave erreur d’appréciation commise par le quotidien Le Monde. D’un côté parce que cette comparaison porte préjudice à l’image du candidat du Front de gauche, et démocratise celle du FN. Sans compter qu’une telle accusation de populisme, souvent utilisée à tout bout de champ, n’est pas anodine."

2 – La confusion des programmes du FdG et du FN.

Dans la rubrique "L’œil du 20 heures" du journal télévisé de France 2 du 31 mars 2015, il est fait une comparaison entre le programme économique de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen à partir de propos tenus par Nicolas Sarkozy sur leur prétendue identité "Point pour point".

La vidéo complète de 2mn30 est disponible en cliquant ici (6) Elle est intitulée : Extrême-gauche, extrême droite : même programme économique ? Il est utile d’examiner avec soin ce genre de vidéo puisque l’audience du JT de 20 heures sur France 2 est en moyenne de 4,5 Millions de téléspectateurs. On constatera, sans être exhaustif, les manipulations suivantes : FdG et Mélenchon sont présentés comme faisant partie de l’extrême gauche ; il est affirmé sans toutes les preuves qu’il existerait 17 points communs entre les programmes économiques du FdG et du FN mais évidemment, on précise tout de même qu’il existe des différences : deux seulement sont citées : la préférence nationale et l’abandon de l’euro par le FN. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se félicitent tous les deux de la victoire de Syriza en Grèce.

Selon un politologue "Le FN aurait mit la barre à l’extrême gauche" Formule reprise par le journaliste indiquant que "Marine Le Pen met le cap à l’extrême gauche". Le journaliste présente aussi comme point commun à Mélenchon et Le Pen "d’en finir avec les politiques de rigueur et ce qu’ils appellent l’ultralibéralisme " : Cette terminologie ultralibéralisme serait ainsi commune voire spécifique à ces deux partis présentés comme extrémistes alors que ce terme est utilisé par des économistes de différentes écoles. Cela permet d’accréditer l’idée que ceux qui utilisent ce mot sont des extrémistes. Il s’agit ici d’une manipulation sémantique tendant à neutraliser l’utilisation de ce terme ultralibéralisme auprès de la population.par les militants porteurs d’un esprit critique. Il existe évidemment des points communs entre les deux programmes, ce qui rend cette présentation quelque peu crédible, mais il faudrait en faire une analyse bien plus poussée pour constater que les divergences sont beaucoup plus nombreuses que ce que voudrait nous faire croire cet œil partisan du 20 heures.

En revanche, Le Monde 20/01/2012, pour cette fois, faisait preuve de beaucoup plus de précisions dans un article intitulé : "Ressemblances et différences entre le programme de Mélenchon et de Le pen".qui constate "quelques ressemblances" mais aussi "beaucoup de différences".(7)

Plus récemment, lors de l’émission « Supplément » du 19/04/2015,sur Canal +, François Hollande a déclaré : « Madame Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 1970 (...) sauf que le Parti communiste, il ne demandait pas qu’on chasse les étrangers, qu’on fasse la chasse aux pauvres ». (à 1h 07 après le début de l’émission) (8) Là encore une confusion est établie même si évidemment la fusion n’est pas totale. Dans le Figaro du 21/04/2015, Christian Delporte écrivait un article intitulé "Comparaison d’un tract du PCF des années 70 aux propos du FN d’aujourd’hui" (9)

Selon lui, le point de similitude qu’aurait voulu montrer Hollande entre le PCF et le FN serait le simplisme, la démagogie, le manichéisme. On retrouve donc encore la thématique du populisme. plassant ainsi le FdG et le FN dans le même panier d’une organisation populiste.

L’interprétation du journaliste Laurent de Boissieu, sur son blog i–politique est quelque peu différente : (10) "Le but des propos de François Hollande est très clair  : convaincre l’électorat populaire que le projet économiques de Marine Le Pen serait ringard en ce qu’il ressemblerait à "un tract du Parti communiste des années soixante-dix". Reste à savoir si ce n’est précisément pas l’abandon de certains marqueurs historiques de la gauche qui fait qu’une grande partie de l’électorat populaire – ouvriers et employés – vote aujourd’hui FN et non plus PCF ou PS..."

Sa deuxième remarque ne manque pas d’intérêt mais il faudrait tout de même se demander qui abandonne les marqueurs de la gauche. C’est évidemment le PS mais ceux qui maintiennent les marqueurs comme le font les différentes composantes de l’Autre gauche sont effacées, avec leurs marqueurs, de la scène politique par marginalisation médiatique. Ceci étant, il n’est pas faux , en effet, que certains marqueurs ont été délaissés comme nous le verrons plus loin.

Un certain nombre de libéraux considèrent l’antilibéralisme comme une politique économique donnant des moyens d’intervention à l’État dans le développement économique du pays. Ainsi, de ce point de vue De Gaulle était un antilibéral, toute politique keynésienne est antilibérale. Nous avons expliqué dans un autre article sur le libéralisme et l’anti libéralisme (11) que cette manière relativement courante de concevoir l’anti libéralisme était falsificatrice de la réalité dans la mesure où le libéralisme n’est rien d’autre que l’idéologie légitimant le système économique capitaliste.

À partir de cette conception, ces libéraux vont donc considérer comme tout à fait semblables les options d’un certain dirigisme étatique du FN et l’importance accordée à l’État dans la vie sociale et économique par le FdG. Ainsi, sur le site libéral "Contrepoints" (12) Frédéric Gardel écrit un article intitulé : "FN : un programme économique d’extrême gauche" On peut lire par exemple dans l’article : "La rengaine étatique reprend de plus belle puisqu’on lit que « le monopole des banques sera supprimé en déprivatisant l’argent public. La Banque de France pourra ainsi prêter au Trésor public sans intérêts. »…" Il s’agit en fait d’une critique ultralibérale du programme du FN

Mais une question qui n’est pas posée par ces libéraux : en quoi consiste le programme des nationalisations des grandes entreprises par ces deux formations politiques ? Quels sont les nouveaux pouvoirs attribués aux travailleurs dans les entreprises ? Quelle reconnaissance du pouvoir syndical ? Contrairement aux petites manœuvres de bas étage consistant à créer la confusion entre les positions du FN et du FdG, on peut accorder à ces libéraux une certaine bonne foi compte-tenu de ce qu’est leur grille de lecture du libéralisme.

3– Une soi-disant communauté d’agressivité populiste à l’encontre d’un bouc émissaire.

On peut trouver sur certains sites l’idée qu’il existerait un point commun important entre le FN et le FdG : chacune de ces organisations aurait son bouc émissaire dénoncé, qui plus est, avec une certaine agressivité pouvant aller jusqu’à la haine. Pour l’un c’est l’immigré et pour l’autre ce serait le banquier ou la finance. Et cela éviterait de penser…

Cette accusation est intéressante car elle pose le problème de la définition du "bouc émissaire." Peut-on mettre sur le même plan une personne assignée à une identité religieuse, nationale et une classe sociale définie par sa fonction économique d’exploitation et de domination ? Évidemment non. Mais c’est ce que font sans se poser de questions un certain nombre de commentateurs. Le FdG ne désigne pas "les riches" comme individus (capitalistes) particuliers mais comme un système de domination économique et financier dont l’ensemble des propriétaires est la classe capitaliste. Cela explique la raison pour laquelle le PG a été solidaire de Kerviel bien que celui-ci soit un agent du système financier. Il n’a pas fait de Kerviel, un bouc émissaire. Néanmoins Mélenchon a donc intérêt à faire attention à des raccourcis du genre : "pour Madame Le Pen le responsable des difficultés économiques c’est l’immigré mais pour moi c’est le banquier !" C’est parce que le FdG ne désigne pas de bouc émissaire qu’il ne sombre pas dans une quelconque théorie du complot comme cela a pu exister dans les rangs de l’extrême droite.

Ce système économique capitaliste est dénommé la finance, l’oligarchie financière, les actionnaires, la grande bourgeoisie. Certes il est peut-être utile de rappeler que derrière ces expressions un peu abstraites peuvent se cacher des familles très fortunées dont une partie de la liste est d’ailleurs consultable chaque année dans la revue Challenges qui publie le classement des 500 premières fortunes françaises (13) mais cela ne conduit pas les responsables du FdG à la personnalisation de l’analyse économique et politique. S’attaquer au capitalisme ce n’est pas s’attaquer à des individus mais à un système organisé d’exploitation. Il s’agit en fait de modifier les rapports de pouvoir en modifiant les institutions et un certain nombre de lois.

Cela ne signifie pas non plus que ce système doive inspirer "la haine de classe" qui serait alors utilisée comme moteur de l’action politique par les adhérents du FdG ! Le moteur de l’action est plutôt le désir de justice, la devise républicaine : "Liberté – Égalité – Fraternité." Pour tout démocrate, la haine n’a pas de place dans une analyse économico–politique : La haine rend aveugle et appelle à son tour la haine puis la violence. Tout responsable politique de l’Autre gauche qui s’approprierait une telle expression pour justifier de son action politique commettrait une lourde erreur politique.

Il n’empêche que la haine de classe existe comme nous le rappelle le texte suivant du site Variations "La haine du prolétariat par les classes dominantes". (par José Chatroussat) (13’) D’autre part, les sociologues Michel et Monique Pinçon– Charlot ont montré dans leur ouvrage "la violence des riches"(14) qu’il pouvait exister un véritable mépris d’une partie de la grande bourgeoisie à l’égard des classes populaires.

4 – La confusion des mots : le pillage sémantique.

Ce n’est pas seulement depuis 2012 que le FN s’est emparé d’un vocabulaire à couleur sociale et plus seulement sécuritaire. Cela a commencé dès les années 1990 après l’effondrement du système soviétique. Marine Le Pen a repris et accentué ce remaniement lexical depuis 2011. Elle utilise maintenant des termes comme ultra libéralisme, État stratège du point de vue économique, système de protection sociale, etc.

Le magazine Sciences humaines, dans son numéro de mai 2015, a constitué un dossier intitulé : "Marine Le Pen : le choix des mots." (15) "Deux chercheurs ont décortiqué 500 discours des Le Pen, père et fille. Mis en perspective, ces textes révèlent des ruptures lexicales, mais aussi les permanences du « code » frontiste.…" En utilisant un lexique plus économiste et social et un certain nombre de termes communs, avec le FdG, le vocabulaire du FN peut ainsi se rapprocher de celui du FdG et provoquer ainsi une confusion conduisant un certain nombre d’électeurs de gauche à voter FN considéré alors comme … de gauche et même d’extrême gauche ! Observons que la pression médiatique va dans ce sens.

Mais cette stratégie d’emprunt des mots et aussi des idées n’est pas spécifique au FN. "Christiane Taubira s’alarmait récemment « des défaites culturelles et sémantiques terribles de la gauche au point d’adopter les mots de la droite sur l’économie et la sécurité ». Tony Blair avait théorisé la recette de ses succès électoraux : la triangulation, cette stratégie qui consiste à reprendre certains mots de l’adversaire pour l’affaiblir ou faire valoir sa différence individuelle dans son propre camp. Mais les mots ont aussi un sens, une mémoire et s’attachent à une histoire plutôt qu’à une autre. Et à force d’emprunts successifs, d’indifférenciation dans les mots, dans les formules, les électeurs finissent aussi par confondre les hommes et les politiques. L’intériorisation du fameux mantra libéral « il n’y a pas d’autre politique possible » sonne comme un terrible constat d’impuissance, qui vient nourrir le trouble. La triangulation finit par confirmer les amalgames populistes qui mettent la gauche et la droite « dans le même sac »." Source : Motion B des frondeurs au congrès du PS (16)

5 – La dérive d’une partie de l’électorat populaire vers l’extrême droite

5. 1 La dérive électorale d’une partie de l’électorat populaire vers le FN.

Une idée qu’un certain nombre de médias essaime est qu’il existerait un basculement de l’électorat communiste vers le FN. Cela donne encore du crédit à l’idée que le FN et le FdG seraient en concurrence sur des programmes semblables. La confusion – fusion s’opérerait ainsi par le comportement supposé des électeurs.

Sur le site de France Info, Antoine Krempf, le3 février 2015, dans un article intitulé : "Les anciens électeurs communistes ne votent pas FN ?" montre qu’il s’agit ici d’une croyance pour l’essentiel non fondée. Lire le texte de l’analyse ici (17)

Les nouveaux électeurs du FN viennent en grande majorité d’un électorat de droite qui se radicalise. Il est néanmoins exact que la proportion d’ouvriers votant FN a augmenté mais les ouvriers qui votent FN aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux qui votaient communiste hier comme le montre l’article mentionné ci-dessus.

La gauchisation du discours du FN s’explique en partie par le fait que ses deux fonds de commerce électoraux, l’immigration et la préférence nationale (qui vont de paire) , étaient en perte de vitesse et qu’il fallait donc trouver un "complément alimentaire" adapté à la situation, en l’occurrence les ravages sociaux causés par les politiques ultralibérales. "En 1988, 75 % des Français jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés en France ; une proportion tombée à 52 % en 2007, relève le Centre d’études européennes de Sciences-Po. De la même manière, selon l’enquête Arval, 61 % des Français étaient favorables à la préférence nationale pour l’emploi en 1990, contre 41 % en 2008. Un recul des préjugés qui s’explique par l’élévation du niveau de diplôme de la population" Source : magazine Alternatives économiques (18)

Si la proportion d’ouvriers votant FN a augmenté depuis les années 1990, il ne faut pas néanmoins exagérer le phénomène. Ainsi, plus de 30 % des ouvriers ont voté FN aux présidentielles de 1995 ; 25 % en 2007 ;35 % en 2012. « En 2012, ce ne sont pas les ouvriers précaires qui ont voté pour Marine Le Pen : eux ont préféré François Hollande dès le premier tour, quand ils ne se sont pas abstenus. En revanche les ouvriers non précaires ont voté à 36 % pour Marine Le Pen. Qui sont-ils ? Ceux qui ont peur de tomber : ils sont plus catholiques, ont un plus fort taux d’équipement des ménages, habitent davantage hors des grandes villes, ont un petit diplôme, un petit quelque chose qu’ils ont peur de perdre »[5]." Source Wikipédia (19)

5. 2 Une prétendue théorisation « Le gaucho-lepénisme » de Pascal Perrineau

La définition de ce terme donnée par Wikipédia est la suivante : "En politique, le terme de « gaucho-lepénisme » est utilisé par la sociologie électorale et les instituts de sondage pour désigner une fraction de l’électorat fondamentalement à gauche mais qui a acquis au fil du temps un rejet de l’immigration et de certaines idées progressistes pourtant chères à la gauche traditionnelle, et qui vote, occasionnellement ou systématiquement, pour le Front national". Pour un plus ample développement sur cette question cliquez ici. (20)

Comme le souligne l’article de Wikipédia, ce "concept" a été largement remis en cause par différents sociologues. "En 1997, la politologue Nonna Mayer estime que le gaucho-lepénisme, défini comme « l’attraction exercée par le FN sur la partie de l’électorat de la gauche, restée attachée à certaines valeurs de la gauche », « correspond incontestablement à la réalité », tout en jugeant l’expression « discutable, suggérant à tort une synthèse idéologique entre extrémisme de gauche et de droite » ; elle souligne également que les électeurs gaucho-lepénistes « ne sont même pas des "lepénistes" stricto sensu puisque, interrogés sur les raisons de leur vote présidentiel de 1995, ils sont les moins nombreux à mettre en avant la personnalité de leur candidat » ; et que « ce n’est pas dans les rangs de la gauche que le FN recrute d’abord ses partisans, c’est plutôt à droite et plus encore, chez ceux qui n’appartiennent à aucun des deux camps »"

Ces critiques ne sont pas surprenantes lorsque l’on connaît la manière partisane dont Pascal Perrineau, analyse des résultats du Front de Gauche aux élections départementales de 2015. Le quotidien 20 minutes, après avoir rappelé les contestations de la manière dont le ministère de l’intérieur avait comptabilisé les voix obtenues par le FdG, fait appel à … Pascal Perrineau,pour minimiser les résultats obtenus par le FdG. "Ce résultat reste cependant bien modeste pour Pascal Perrineau, spécialiste de sociologie électorale. Pour 20 Minutes, ce professeur à Sciences Po Paris évoque « le bide absolu pour la gauche alternative : le Front de gauche fait 6%, les Verts 2% même s’il y a un problème de comptabilité ». Un score peut-être expliqué par la fuite des électeurs de la gauche vers le Front national. Selon une étude de l’Ifop publiée ce lundi, 9% des électeurs de Mélenchon et 8% de ceux de Hollande en 2012 ont voté FN au premier tour des départementales 2015."

Source : 20 minutes (21) De quels électeurs de Mélenchon parle-t-on ? De ceux qui ont voté pour lui en 2012 ? Dans ce cas : 8% de 11% , cela fait 0,88% , c’est-à-dire moins de 1%., c’est-à-dire moins de 40 000 voix sur un électorat total de 45 millions d’électeurs. Les outils statistiques des sondeurs sont-ils suffisamment fiables pour faire des mesures d’une telle précision ? On peut en douter.

Les chercheurs en sociologie Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Nicolas Renahy dans leur ouvrage "Sociologie des classes populaires contemporaines" , montrent combien il faut se méfier des modes en sociologie, du manque de rigueur scientifique dans la construction et l’utilisation de certaines méthodes. La disparition de toute conscience de classe au sein des couches populaires avancées par bon nombre de sociologues s’avère en réalité contestable ou, pour le moins, à relativiser.

Mais ce qui est vrai, c’est que le recours à la notion de rapports de classe tant par la sociologie que par les partis de gauche et les syndicats a été progressivement abandonnée ou du moins délaissé depuis les années 1980. Cela a contribué à une perte de repères pour une partie des populaires. "Le brouillage des représentations des dominés par les partis et syndicats. Au-delà de cette faible présence des ouvriers et des employés au sein des partis socialiste et communiste et de la distance sociale qui se creuse entre candidats. élus et électeurs, c’est également dans les discours de ces partis que les classes populaires sont marginalisées. Dans le contexte des années 1980 et 1990, marque par la hausse du chômage et de la précarité et les restructurations du monde du travail ces inflexions renvoient à un souci de prendre acte des transformations sociales. Mais elles révèlent aussi un effacement des analyses en termes de rapports de classes, et un fort brouillage des représentations proposées par ces partis à leurs électeurs potentiels. […]

L’abandon par les partis de la notion de classe ouvrière a laissé place à un éclatement des représentations des groupes dominés en diverses catégories, de surcroît sur les fractions les plus démunis, (les pauvres, les exclus, les chômeurs, les populations défavorisées, les immigrés, etc.). Cet éclatement contribue à la démobilisation politique des groupes populaires." (P.271 – 72) Source : Le livre :Sociologie des classes populaires contemporaines (22)

Remarquons souvent que les concepts utilisés par les politologues doivent être utilisés avec un recul critique. Par exemple la notion même d’électorat qu’il soit de droite ou de gauche, considéré comme entité statique du point de vue qualitatif en statistique n’a rien de stable. Un pourcentage de voix obtenues par un parti ou un ensemble de partis peut rester à peu près stable mais les individus qui votent ne sont pas forcément les mêmes et les votes peuvent être intermittents. Cela est d’ailleurs expliqué dans le livre précédent.

Autre exemple : L’indice d’Alford utilisé en sociologie politique pour mesurer "Le vote de classe" des catégories populaires (voir la définition donnée parWikipédia ici (23) ) ne permet pas en réalité de mesurer la "conscience de classe" puisque voter pour un parti de gauche sans autre précision ne signifie pas grand-chose de précis : depuis fort longtemps un électeur peut voter pour le parti socialiste sans avoir une conscience de classe.

Un transfert d’une partie des votes populaires vers le FN ne peut donc pour l’essentiel s’expliquer par des similitudes de programmes du FN et du FdG mises en exergue par les médias.

6 – De la crédibilité que l’on peut accorder au programme du FN.

Comme l’indique un document de la Ligue des droits de l’Homme intitulé : Front National : l’imposture sociale "Il ne faut s’attacher que légèrement aux programmes du FN, tant leurs propositions, leur cohérence, sont opportunistes. Tout y voisine avec son contraire, l’essentiel étant de plaire au plus grand nombre.

Ainsi quelques mois après avoir fustigé les organisations syndicales et traité d’émeutiers les manifestants qui contestaient la réforme gouvernementale des retraites, Marine Le Pen défend avec véhémence les retraites, l’emploi, le pouvoir d’achat et proteste contre le chômage, la détresse sociale.…"

Document complet en cliquant ici (24)

Il n’en reste pas moins vrai que la plupart des médias, tant bien même en font-ils la critique,, contribuent à lui donner de la visibilité et de la crédibilité ce qui n’a évidemment pas été le cas pour le programme du FdG "l’Humain d’abord" qui a été recouvert par la chape de plomb du silence. Mediapart inclus.(*)

C’est grâce à la combativité de Jean-Luc Mélenchon lors de ses meetings et de ses interviews que le public a pu prendre connaissance de cinq grandes thématiques figurants dans ce programme.

7 – Les différences idéologiques de fonds entre le FN et le FdG

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Il ne suffit pas d’analyser les différences et les ressemblances entre le programme du FN et celui du FdG au risque de se laisser illusionner par l’opportunisme politique des stratégies et tactiques électorales, il faut creuser beaucoup plus profond et s’interroger sur les philosophies politiques sous-jacentes à ces programmes et s’interroger sur leur cohérence.

Nous ne ferons pas ici une étude exhaustive de la question et prendront quelques exemples.

Considérons la manière dont chacun de ces deux courants politiques considère ce que l’on a coutume d’appeler la "nature humaine" sans donner à cette expression un contenu métaphysique. Pour l’extrême droite, chaque individu " vient au monde" avec un potentiel psychique ou spirituel qui préexiste à sa vie en société. L’individu est pourvu de dons, de capacités qui, non seulement le différencient des autres ,mais peuvent le placer en situation de supériorité ou d’infériorité par rapport à ses congénères. Parmi celles-ci, peut apparaître la capacité innée de commander et inversement une propension à l’allégeance et à la soumission. (Ce phénomène s’observe dans les le hordes de loups.) C’est de là que naît l’idée que la nature produit des humains pour devenir chef voire même pour diriger une société. Mais, en même temps, à l’inverse, la grande majorité des humains ne jouissent pas de ces qualités innées. Ainsi, la plupart n’ont pas la capacité de discernement, de réflexion, d’intuition, de transcendance des contingences de l’instant. Ainsi naît le culte du chef souvent visionnaire seul capable de guider le troupeau des êtres moins doués. Dans une société où la religion reste dominante, ces qualités supposées innées sont considérés comme un don de Dieu, une grâce divine. À cela se couple l’idée que l’homme est un loup pour l’homme, est un être par nature égoïste ou prédateur pour ses semblables. De sorte que le chef ou l’État a pour mission principale, avec sa police et son armée, avec ses lois, de maintenir l’ordre, la sécurité, la paix sociale entre des individus qui, sans cela, seraient en guerre perpétuelle les uns contre les autres. Ainsi chaque individu est considéré potentiellement dangereux pour l’autre : la peur de l’autre alimente alors une anxiété latente et un désir puissant de protection et de sécurité. Il est alors légitime de développer des systèmes de surveillances sophistiqués pour identifier même préventivement les individus qui attentent à l’ordre public. On comprend ainsi une conception essentiellement régalienne et dirigiste de l’État Par ailleurs, l’individu considère que l’autre est un obstacle à son autonomie et à sa propre liberté.En outre, un excès de liberté peut conduire tout individu potentiellement dangereux et égoïste à devenir une nuisance sociale.

Le type de régime politique résultant d’une telle conception de l’homme est un type de régime autoritaire qui peut prendre différentes formes : de la dictature fasciste à une république monarchique, le président ayant quasiment le même pouvoir qu’un roi. D’ailleurs, le royalisme découle aussi de cette manière de voir De même, la liberté, pour les raisons décrites ci-dessus, doit être soigneusement encadrée. Cela constitue ici une divergence de vue avec les libéraux qui considèrent que la liberté doit s’exprimer avec la liberté de penser et d’expression mais aussi avec la liberté d’entreprendre jusqu’à même pouvoir exploiter les autres.

Pour l’Autre gauche, l’individu dont le développement neurologique n’est pas achevé à la naissance, se construit en interaction avec son environnement naturel et social. Pour elle, la notion de don inné est une fiction métaphysique. Il existe certes des différences de performances physiques et intellectuelles entre les individus, mais celles-ci résultent de la variété des situations sociales, familiales et surtout de l’éducation et du travail. Dans cette optique, il n’existe pas d’individus par nature supérieurs aux autres. Il n’existe donc pas de prédestination pour qu’un individu devienne chef. À cela se couple l’ idée que les Homo sapiens sont des êtres coopérants et non en situation de compétition ou de conflit perpétuel ce qui n’exclut pas l’existence d’une certaine agressivité chez chaque être humain liée à son instinct de survie lorsque sa vie est menacée.

Les autres ne constituent pas un obstacle au développement de la liberté individuelle. Au contraire la liberté et l’originalité de chacun se construit par la richesse des liens sociaux que l’individu construit au sein du groupe et de la société dans lesquels il vit. L’autre ne constitue donc pas fondamentalement un rival ou un danger. Le désir de sécurité est donc strictement limité à des situations clairement identifiées d’atteintes à la tranquillité publique.

Le type de régime découlant d’une telle conception est une démocratie et une république de type parlementaire où le peuple peut élire et révoquer ses représentants issus de leurs propres rangs, notamment ceux des classes populaires. Mais cette démocratie ne saurait se réduire à une simple démocratie représentative mais devrait impliquer l’existence d’instances citoyennes intermédiaires ayant un pouvoir de réflexion collective et de décision.

Bien évidemment, ce n’est pas dans les articles de presse ou dans les grands médias que ce genre d’analyse a été, est, et sera diffusée. Mieux vaut entretenir la confusion pour affaiblir et faire disparaître les vraies valeurs de la gauche portées par l’Autre gauche. Tout individu ayant un minimum de formation scientifique identifiera aisément dans quel camp se situe la rationalité et la prise en compte des apports des sciences contemporaines. Voir notre article : "Science et culture. Repères pour une culture scientifique commune : un livre–phares." (25)

.(*) Note  

En effet une recherche sur Mediapart avec la requête" L’humain d’abord" ne fait apparaître aucun article, ni aucun interview d’un représentant du FdG pour exposer ce programme ni dans l’émission "Objections."

On ne trouve que des articles de blog hostiles et extrêmement superficiels : (a ) (b )

ou une analyse intéressante, sérieuse mais critique de Samy Johsua sur son blog. (c)

En revanche, avec la requête : "Programme du Front de gauche" on trouve un article intitulé : "Le programme encore flou du Front de Gauche pour 2012" (d) L’article est assez critique avec le reproche d’absence de chiffrage des mesures proposées alors que Jacques Généreux, jamais invité sur cette question, avait expliqué un chiffrage précis de ce programme. Il a d’ailleurs publié un livre intitulé : "Nous, on peut !"

Quoiqu’il en soit, Mediapart n’a pas donné la possibilité à Jean-Luc Mélenchon ou à Jacques Généreux d’exposer leur programme en répondant éventuellement aux critiques formulées.

La devise "le droit de savoir" chère à Plenel a été ici mise au placard.

Hervé Debonrivage


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