"Il est fou de croire que le FN est un parti respectable"

vendredi 8 mai 2015.
 

Le bureau exécutif du Front national a "suspendu" lundi soir Jean-Marie Le Pen de son statut d’adhérent du parti. Une décision qui ne clôt pourtant pas la tragédie politico-familiale qui a secoué le clan Le Pen : l’instance disciplinaire a décidé de réunir "dans les trois mois" une assemblée générale extraordinaire qui pourrait conclure l’épisode par le retrait de son statut de président d’honneur (sic) à Jean-Marie le Pen.

Mais ces décisions, qui visent à affirmer, en interne et pour les observateurs et les électeurs potentiels, la capacité de décision de la présidente du FN, ne changent pas la nature profonde du parti d’extrême droite. Selon le politologue Alexandre Dezé, membre de l’Observatoire des radicalités politiques rattaché à la Fondation Jean Jaurès, qui a analysé dans une récente étude le passage de relais entre père et fille (1), il n’y a pas de « rupture » au FN.

On continue de prêter au Front national des velléités de « normalisation ». Les violences du 1er mai montrent-elles autre chose ?

Alexandre Dezé : Elles montrent une partie de la réalité du FN, qui de ce point de vue ne change pas, dans son rapport aux médias et à ceux qui portent une parole contestataire à son égard. Pour changer un parti il faut du temps, prendre des précautions avec ses militants, redéfinir les orientations doctrinales... Il y a toujours eu un versant dit ‘’respectable’’ de l’extrême droite et un versant radical, aujourd’hui on pourrait charger Florian Philippot d’un côté, Jean-Marie Le Pen de l’autre, pour les incarner. Mais les comportements et le discours radical, que Jean-Marie Le Pen et ses proches ne sont pas les seuls à porter, n’ont pas disparu. Cette dualité peut d’ailleurs être incarnée par une seule et même personne. Marine Le Pen aussi ‘’dérape’’ : j’ai recensé toutes ses sorties depuis janvier 2011, elle n’a rien à envier à son père. Et comme lui, elle est sous le coup d’une procédure de levée de son immunité parlementaire à Strasbourg pour avoir comparé prières de rue et Occupation.

Dans ces conditions, qu’est-ce qui fait qu’on parle de dédiabolisation ?

A. D : Il y a un discours adouci sur l’antisémitisme, la Shoah… On ne peut pas la taxer de négationniste, mais ça ne rend pas pour autant acceptables les positions qu’elle tient sur l’immigration, l’avortement ou la peine de mort. Il est fou de croire que parce qu’il ont reculé sur l’antisémitisme ça en fait un parti respectable.

Au fond, qu’est-ce qui a changé d’un point de vue idéologique et programmatique ?

A. D : Sur le programme, rien. Les fondamentaux du parti restent. Quand on analyse les différents programmes dans le temps, on constate qu’ils s’appuient sur les mêmes principes : critique du « système » (aujourd’hui « l’UMPS » hier la « bande des quatre »), la préférence nationale, l’insécurité, le ‘’mondialisme’’, etc. Rien n’a changé, même pas le social, qu’on a présenté comme une thématique nouvelle. On a dit que Marine Le Pen avait impulsé un tournant social en rupture avec le libéralisme de Jean-Marie Le Pen, or la rupture est faite depuis longtemps. Au congrès de Nice de 1990, en regard de l’évolution sociologique de son électorat, les responsables du parti mettent l’accent sur ce thème. En 1992, le FN édite une brochure intitulée « 51 mesures pour faire le point sur le social », et au cours de ces années le slogan c’est « le social, c’est le Front national ». Même la récupération de la République est antérieure à Marine Le Pen. Le slogan de son père en 1995 était « En avant pour une Vie République ». Enfin, ne disons pas que le programme du FN est de gauche : c’est ahurissant de dire cela lorsque toutes les mesures sociales sont passées par le prisme de la préférence nationale ! Même sa défense du service public est passée à cette moulinette-là, bien loin de la dimension universalisante des services publics développée par la gauche. Ce sont des modifications esthétiques qui n’entament en rien le logiciel programmatique du FN. Quand on regarde les thèmes qui sont mis en avant par les électeurs et les militants du FN, ce sont l’immigration, l’insécurité… Il suffit d’aller dans un meeting du parti pour voir comment la base est attachée à ces fondamentaux. S’il devait en changer, se dédiaboliser comme ils le disent, donc procéder à un aggiornamento, ils prendraient le risque de perdre leur base.

Dans ce cas, l’affrontement surjoué entre Jean-Marie Le Pen et sa fille ne clarifiera pas une ligne politique

A. D : C’est un conflit ordinaire au FN. La manière dont elle traite son père est la même dont lui traitait les proches dans les années 90 dans la lutte pour le contrôle du parti. Ils sont semblables sur tellement de points… La fracture porte sur le rapport à l’antisémitisme, elle en a fait le point nodal de la rupture. Mais ce n’est pas parce qu’elle ou certains de ses cadres ne se disent plus antisémites que l’antisémitisme a disparu du parti. Ou que le racisme, l’homophobie, la xénophobie ont disparu. Ça reste un parti d’extrême droite qui ne se réduit pas à Marine Le Pen, on l’a vu dans les propos de centaines de candidats lors des départementales.

Entretien réalisé par Grégory Marin, L’Humanité


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