Lettre à sa mère d’une combattante kurde de 19 ans en 1ère ligne à l’Est de Kobané

mardi 21 octobre 2014.
 

« Je vais bien maman. Hier on a fêté mon 19ème anniversaire.

Mon ami Azad a chanté une chanson pour les mères. J’ai pensé à toi et j’ai pleuré. Azad a une belle voix. Et lorsque j’ai chanté, lui aussi il a pleuré. Sa mère lui manquait autant que tu me manques, ça faisait un an qu’il ne la voyait plus.

Hier nous avons porté secours à un ami blessé. Il avait reçu deux balles. Lorsqu’il montrait la blessure de sa poitrine, il était inconscient de sa deuxième blessure.

On l’a soigné et je lui ai donné mon sang.

Nous sommes à l’est de Kobané, Maman. Nous sommes juste à quelques kilomètres d’eux. On voit leur drapeau noir et on écoute leur radio. Parfois ils parlent en des langues étrangères qu’on ne comprend pas, mais on sent qu’ils ont peur.

Nous sommes neuf combattants dans notre groupe.

Le plus jeune, c’est Resho, il vient d’Afrin. Il a d’abord combattu à Tal Abyad, et ensuite a rejoint nos rangs.

Alan est de Qamishlo , de l’un de ses plus beaux quartiers. Et lui, il a combattu d’abord à Sêrékaniyé (Rass al-Ain) , avant de nous rejoindre. Il a quelques cicatrices de blessures sur son corps. Il nous dit que ses blessures sont pour Avin.

Le plus grand c’est Dersim, il vient du mont de Qandil. Sa femme est devenue martyre à Diyarbakir (Capitale du Kurdistan de Turquie), et l’a laissé seul avec ses deux enfants.

Nous sommes dans une maison au pied des montagnes de Kobané. On ne sait pas grande chose des propriétaires de la maison. Il y a des photos d’un vieil homme et aussi d’un jeune homme. Il y a un ruban noir sur la photo du jeune, je crois qu’il est devenu martyr… Il y a également les photos de Qazi Mohammad, Molla Moustapha Barzani et Apo (Abdullah Ocalan). Et une ancienne carte de l’Empire Ottoman mentionnant le Kurdistan.

Il y a bien longtemps que l’on n’a pas bu de café, mais la vie est belle, même sans café. De toute façon, je n’ai jamais bu un café aussi bon que le tien, maman.

Nous sommes ici pour défendre une ville qui veut la paix. On ne s’est pas souillé dans des massacres, et nous avons accueilli plusieurs blessés et nos frères réfugiés syriens. Nous défendons une ville qui compte une dizaine de mosquées, nous défendons une ville musulmane contre des barbares.

Maman, je viendrai te voir dès que cette sale guerre contre nous se terminera. Nous allons rentrer avec Dersim à Diyarbakir pour rendre visite à ses enfants. Nos familles et nos maisons nous manquent à toutes et à tous, et nous voulons tous rentrer mais la guerre interdit la nostalgie.

Mais je ne pourrai peut-être pas rentrer, Maman. Si ce devait être le cas, sache que j’ai rêvé toujours de te revoir et que c’est cela qui me tenait debout.

Si je devais être tuée au combat, je sais qu’un jour tu viendras à Kobané et que tu verras la maison où j’aurai vécu mes derniers moments.

La maison est à l’est de Kobané. C’est une maison frappée de toutes parts. Elle a une porte verte criblée des balles d’un Sniper. Il y a trois fenêtres, dont l’une s’ouvre à l’est. J’y ai gravé mon nom en rouge. Les rayons de soleil entrent dans la chambre par les trous faits par les balles dans la chambre, Maman. Et c’est derrière cette fenêtre que j’aurai vécu mes derniers instants et attendu la mort. Cette même fenêtre derrière laquelle Azad a chanté sa dernière chanson, pour sa mère, avec sa belle voix. « Maman, tu me manques »

MAMAN, TU ME MANQUES !

Ta fille, Narine.

Lettre traduite par Nuray Ucar


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