L’extrême-droite française fantasme sur un coup d’Etat militaire

lundi 24 juin 2013.
 

Un groupe royaliste qui se revendique du Printemps français appelle à un « coup de force » de la part d’officiers catholiques, sans crainte de donner des noms.

Un magazine largement diffusé sur Internet par un groupe maurrassien baptisé « Lys Noir » cite le nom de généraux de premier rang, connus pour leur position « catho-tradis ». Leur appel intervient alors que les esprits s’échauffent dans les milieux militaires sur fond de rumeurs faisant état d’un fichage par les franc-maçons des officiers et de leurs familles engagés dans la Manif pour tous.

C’est le retour de « l’Appel au soldat », façon Maurice Barrès. Dans le sillage du Printemps français, ce mouvement informel apparu avec la Manif pour tous, des militants d’extrême-droite s’adressent aujourd’hui aux militaires en des termes inquiétants. « Ceux qui évacuent d’un revers de main toute possibilité de coup d’Etat militaire en France feraient bien de réviser leurs classiques », lit-on dans un journal diffusé sur Internet. Selon les animateurs du groupe Lys Noir, qui viennent de publier le premier numéro du magazine

Arsenal, « un coup de force est à nouveau imaginable ». Fantasme  ? Assurément. Mais un fantasme nourri d’un malaise palpable dans une partie minoritaire de l’institution militaire. Le coeur de cible de cette extrême-droite, ce sont les officiers « cathos-tradis », choqués à la fois par la « rupture anthropologique » que constituerait le mariage gay et par le poids des francs-maçons dans l’entourage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Béatrice Bourges, l’animatrice du Printemps français, affirme « ne pas connaître » le Lys Noir, qui se situe explicitement dans sa « mouvance ». « Nous ne sommes pas une organisation structurée. C’est un peu désagréable de voir certaines personnes se revendiquer de notre esprit de résistance non-violent. Certains Identitaires le font déjà… », dit-elle.

Arsenal ne prend pas de gants pour désigner ses héros  : les généraux Benoît Puga, Pierre de Villiers et Bruno Dary. Ils forment le casting de leur « junte » Ce n’est pas n’importe qui  : le premier est le chef d’état-major particulier du président de la République, le deuxième est le numéro deux des Armées, le troisième l’ancien Gouverneur militaire de Paris. Le top de la hiérachie militaire. Pourquoi eux  ? Benoit Puga est le frère de l’abbé Denis Puga, un prêtre intégriste qui officie à Saint-Nicolas-du Chardonnay. Pierre de Villiers est le frère cadet du vendéen Philippe de Villiers. Quant à Bruno Dary, qui n’est plus en activité depuis 2012, il s’est engagé avec la Manif pour tous, pour « donner un coup de main » en matière d’organisation. Représentant de la sensibilité « catho-tradi », ces trois officiers n’ont évidemment rien à voir avec le groupuscule du Lys Noir et n’ont pas encore réagi à cette feuille.

Au ministère de la Défense, on prend très au sérieux cette publication bien informée et dont l’appel au coup d’Etat est une première : « la libération de la parole peut entrainer des comportements déviants » met-on en garde.

Joint par L’Opinion, un responsable du Lys Noir, qui ne souhaite s’exprimer que sous le pseudonyme de « Netchaev », assure que « Puga parle évidemment de cette fracture civilisationnelle (le mariage gay, NDLR) avec son frère lefebvriste. Et les officiers en discutent à table avec leurs enfants qui se font arrêter par la police » lors des actions de la Manif pour tous. Si l’on ne dispose pas de chiffres fiables, les policiers ont en effet été surpris par le nombre important de fils et de filles de militaires interpellés. Dans un milieu plus habitué aux Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ) qu’aux confrontations musclées avec les CRS, l’affaire fait sensation. « La police de Valls se comporte comme en Allemagne de l’Est », s’affole-t-on dans l’Ouest parisien.

Dans les popotes militaires, « les esprits s’échauffent », reconnaît une source bien informée. Une rumeur court : les officiers dont les enfants ont été arrêtés seraient fichés et risqueraient de voir leur carrière freinée. Le ministère de la Défense dément officiellement l’existence d’une telle liste. En revanche, il confirme qu’une enquête a bien été demandée à la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la Défense) au sujet du mouvement intégriste Civitas, où se retrouvent des familles de militaires.

Cela n’empêche pourtant pas un officier général de raconter que « la liste est sur le bureau du ministre  ! ». « C’est le retour de l’affaire des fiches », explique un autre, faisant référence au scandale qui secoua la IIIe République laïcarde  : en 1902, le ministère de la Guerre s’appuyait sur les loges franc-maçonnes pour ficher les officiers catholiques pratiquants. Franc-maçons  ! Le mot est lâché. Pour le Lys Noir, « le Grand Orient a pris le contrôle de l’armée » et « Netchaev » estime qu’un conflit « pour l’avancement » oppose « les officiers catholiques et les loges ». Un officier souligne que « la méfiance mutuelle croît ».

Une autre « affaire » nourrit les conversations sur les « violences policières ». Une lettre d’un jeune officier de réserve au président de la République circule sur Internet, massivement relayée par la communauté militaire. Cet officier, anonyme, affirme avoir été « arrêté arbitrairement lors de la Rafle des Champs-Élysées le 25 mai 2013 et détenu pendant 24 heures ». Il « prie » le chef de l’Etat de vouloir bien (lui) retirer (ses) décorations militaires ». En haut lieu, on s’inquiète d’une « tentation liguarde qui fait penser aux années 30 ». Et de citer la banderole de la Manif pour tous qu’il a fallu faire retirer de la Tour des Généraux - un immeuble militaire du XVème arrondissement. Ou le cas du colonel Ruffiers d’Epenoux, filmé dans une bagarre contre les Femen et dont la sanction éventuelle est devenu un casus belli pour de nombreux officiers.

Sur fond de nouvelles réductions d’effectifs prévues par le Livre blanc de la Défense, d’un coup de frein sérieux aux avancements et de difficultés dans le versement des soldes à cause du logiciel Louvois, l’ambiance n’est pas au beau fixe. « On sent une profonde lassitude », témoigne un militaire. Dans un milieu où les familles nombreuses sont légion, la baisse du plafond du quotient familial est très mal vécue. D’où la tentation des extrémistes de souffler sur les braises. Le Lys Noir, qui trouve que « l’OAS est un mouvement extrêmement estimable », en appelle ainsi à une « révolution des œillets » à la française, en référence au coup d’Etat de l’armée portugaise en 1974. Un mouvement de capitaines qui mit fin, lui, à une dictature d’extrême-droite… Mais pour mieux brouiller les cartes, les maurrassiens rêvent que « l’armée sorte des casernes pour imposer une solution politique, qui ne viendra ni des urnes, ni de la rue ». Et installer une « union nationale » de tous les souverainistes, de gauche ou de droite, dont Jean-Pierre Chevènement serait le « père de la Nation »...

Jean Dominique Merchet


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