Lettre à Jean Pierre Chevènement, président du MRC, par Karel Kostal, socialiste franco-tchèque, membre de PRS

mardi 19 février 2008.
 

Monsieur le président du MRC,

Citoyen tchèque, ancien réfugié en France après l’écrasement du « printemps de Prague » en 1968, membre du PS, du Parti social-démocrate tchèque et de l’association PRS, je m’adresse à vous dans une affaire qui concerne tous les démocrates français, tous les démocrates européens.

Le samedi 2 février j’étais présent à la réunion tenue au hall Carpentier à Paris. J’ai écouté très attentivement toutes les interventions. Vous avez été le seul intervenant à poser la question de la soumission de l’Union Européenne à l’OTAN et aux USA, à travers le Traité de Lisbonne. J’estime que les militants français ne sont pas sensibles à ce problème. Est-ce parce que la France a quitté les structures militaires de l’OTAN il y a 42 ans déjà ? Ou est-ce parce que les militants français voient, à juste titre d’ailleurs, la politique de l’Union Européenne uniquement sur le terrain des conséquences sociales ? C’est en tout cas préjudiciable à notre lutte pour une Europe démocratique et indépendante, car avec le gouvernement tchèque actuel, c’est une présidence européenne non seulement ultralibérale et antisociale qui se prépare, mais également atlantiste et américaniste.

L’administration Bush installe actuellement un système de défense antimissile en République Tchèque, avec l’accord et le concours actif du gouvernement de ce pays, malgré l’hostilité massive de 70% des citoyens. En ouvrant le territoire tchèque aux bases militaires américaines, le gouvernement Klaus-Topolanek foule aux pieds les droits élémentaires des citoyens tchèques et européens. La République Tchèque fait partie de l’Union Européenne depuis 2004. Aucun peuple d’Europe n’a été ni consulté ni informé. La Commission de Bruxelles se tait. Les médias européens se taisent.

Officiellement, le dispositif américain n’est même pas destiné à protéger le sol européen. Il est destiné à protéger le territoire des Etats-Unis contre la « menace terroriste » des « Etats voyous », l’Iran et la Corée du Nord. Le gouvernement Bush et le gouvernement Klaus nous expliquent sans rire que les missiles tirés du territoire iranien ou nord-coréen en direction de l’Alaska ou des Iles Salomon sont susceptibles de survoler la banlieue de Prague.

Le gouvernement tchèque, appelé à présider l’Union Européenne en 2009, a établi un traité militaire bilatéral secret avec les Etats-Unis, dans le dos des peuples d’Europe. La droite ultralibérale a soigneusement caché ses intentions bellicistes et n’a commencé à dévoiler ses projets qu’après avoir remporté de justesse les élections législatives en juin 2006. La direction du Parti civique démocratique, (ODS), dont Vaclav Klaus est le président d’honneur, agit comme un véritable agent secret américain infiltré dans le pays. C’est par Internet que les citoyens tchèques ont appris l’existence de la « lettre d’invitation » du gouvernement Klaus à Bush, sur le modèle de la fameuse « lettre d’invitation » que la clique stalinienne de Prague avait envoyée à Brejnev, en août 1968. Décidément, le gouvernement Klaus-Topolanek était à bonne école. La ministre de la défense a fait composer une chanson qui reproduit la musique de la fameuse chanson à la gloire du premier cosmonaute soviétique : à la place de « Bonjour commandant Gagarine », c’est « Bonjour radar américain ». Quant à l’ancien président Havel, ancien dissident, ancien démocrate, il estime qu’ « il faut être borné mesquinement pour ne pas saisir la grandeur de la proposition américaine ».

Le fanatisme et la précipitation avec lesquels la droite tchèque veut imposer la présence militaire américaine en République Tchèque, malgré l’hostilité massive de l’opinion démocratique nationale, m’amène à croire qu’elle a l’intention de présider l’Union Européenne avec le concours actif de l’armée américaine. Leurs richesses matérielles accumulées, dans les conditions que l’on sait, sont trop précieuses pour qu’ils puissent risquer de les perdre un jour. Il n’est pas vain de signaler que ceux qui profitent des récentes « réformes » ultralibérales du gouvernement Klaus, largement favorables aux riches, sont « favorables » aux bases militaires américaines sur le sol tchèque.

Le gouvernement Klaus-Topolanek est le seul gouvernement de l’Union au pouvoir à l’heure actuelle à aller jusqu’à dénigrer ouvertement la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le président Klaus dénonce régulièrement le caractère « inutile » et « nuisible » de ce document, il lui plaît de comparer les droits de l’homme à de la « mauvaise herbe qui nuit à l’économie qu’elle envahit ». Le gouvernement Klaus n’a pas ratifié la Charte sociale européenne. La Commission de Bruxelles a « omis » de nous signaler ces « détails ». Le gouvernement tchèque est le seul gouvernement de l’Union Européenne qui utilise publiquement l’expression « l’Etat privé ». Pour la droite ultralibérale au pouvoir en République Tchèque, il ne s’agit plus seulement de « supprimer l’Etat social », il s’agit de « privatiser l’Etat ». « Nous avons toutes les raisons de penser que tout peut et doit être privatisé », annonce la profession de foi du Parti civique démocratique au pouvoir, « parti du président Klaus ». Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

On annonce la privatisation « prochaine », « complète » et « définitive » des services publics : santé, éducation, eau, gaz, électricité, transports en commun, services municipaux. Le programme du gouvernement prévoit la fin prochaine de l’école gratuite, « à partir de la maternelle ». La nouvelle franchise médicale, par un rapport de comparaison, est déjà cinq fois plus élevée en République Tchèque qu’en France. Dans les couloirs des ministères on entend : « Ceux qui ne pourront pas payer ne se soigneront pas. » Cela s’appelle « contracting out ». La privatisation des prisons existantes est annoncée, les prisons sont « une source potentielle importante de profit », et on apprend la construction en catimini de nouvelles prisons privées. La privatisation des fonctions de juges et de procureurs est « envisagée », par l’achat de leurs charges. La création d’une « justice privée » progresse à huis clos rapidement. La question de la privatisation de la police et son remplacement par des « détachements privés d’hommes armés » est âprement discutée dans les ministères concernés, toutes portes fermées. Les ministères compétents s’interrogent publiquement : « comment privatiser la culture ? ». La protection de la nature sera confiée aux « entreprises privées outsourcing ». Les élites libérales tchèques parlent à présent tchéco-américain.

Le nouveau traité, depuis la réunion au sommet de Lisbonne en décembre 2007, a la faveur de la droite ultralibérale tchèque. Le gouvernement Klaus-Topolanek a soudainement cessé d’être « eurosceptique », et pour cause, il se prépare à soutenir le nouveau traité « simplifié », certes « un peu compliqué » à ses yeux, mais fondamentalement antisocial, antidémocratique et atlantiste. Le gouvernement tchèque s’apprête à présider l’Union Européenne en 2009, en s’appuyant sur l’article 27 du traité, qui stipule que la politique de défense et de sécurité se réalise « dans le cadre de l’OTAN », malheureusement de fait approuvé par le congrès de Versailles, le 4 février dernier. Voilà le gouvernement que les puissants ont désigné pour présider l’Union Européenne en 2009.

L’arrivée à la présidence européenne de ce gouvernement belliciste, antisocial et antidémocratique, par le procédé de simple alternance, révèle en effet au grand jour que le déficit démocratique de la communauté européenne n’est pas qu’un simple défaut de construction facilement réparable par des méthodes administratives. Cet événement révèle au grand jour une faille majeure dans laquelle s’engouffrent les pires adversaires de l’Europe des Lumières. Les récents élargissements « globalement positifs » se conjuguent avec l’arrivée des fauteurs de guerre d’outre-Atlantique .

Avec la présidence tchèque de 2OO9, la militarisation de l’Europe, sous la conduite des Etats-Unis, est en marche forcée. L’accélération de la militarisation de l’Europe commence déjà avec les préparatifs de la présidence tchèque. Les gouvernements européens laissent faire ainsi que la commissions de Bruxelles. L’intégration européenne est virtuellement rompue.

Nous sommes en effet à un tournant de notre histoire et vous avez eu raison de rappeler dans votre intervention l’épisode aujourd’hui célèbre des 87 députés qui ont refusé d’accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, sauvant par là même l’honneur de la République et posant un acte fondateur de résistance. Je suis persuadé, vis-à-vis des autres forces constitutives du CNR et plus généralement des citoyens, que vous avez un rôle à jouer important dans les efforts destinés à refonder la construction européenne sur d’autres bases, démocratiques et sociales.

Je suis entièrement à votre disposition pour toute information complémentaire, y compris en liaison avec le parti social-démocrate dans mon pays, en liaison également avec le mouvement démocratique contre la militarisation de l’Europe et contre l’installation en cours de bases militaires américaines de l’OTAN en République Tchèque. Ce mouvement prend actuellement de l’ampleur et 70% des citoyens demandent un référendum sur la présence américaine. Ce référendum est refusé par le gouvernement Klaus.

Veuillez recevoir, monsieur le président, mes salutations de militant socialiste.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message