Quand Marine Le Pen s’adresse aux travailleurs, elle ne leur propose rien

jeudi 1er mars 2012.
 

Dans la vie publique, le choix de certains mots, ou le non-choix, a son importance. Il éclaire toujours des faits et des actes à venir. La sémantique est aussi de la politique. Aussi, je crois utile de revenir sur le discours que Marine Le Pen a tenu à Metz.

A croire les médias présents, cette dernière aurait fait à cette occasion un discours social, volontairement donné sur des terres à forte tradition ouvrière, où c’est par les luttes sociales que les droits collectifs ont progressé. Dans son discours, elle voulait montrer, paraît-il, l’importance qu’elle accorde aux catégories populaires et à la classe ouvrière.

Vraiment ? Une étude un peu fine des termes choisis pour son discours démontre l’inverse.

Dimanche dans ce discours prétendument social donc, de plus d’une heure, et d’une quinzaine de pages, Marine Le Pen a réussi le tour de force de n’utiliser que deux fois le mot "ouvrier", deux fois également le mot "travailleur", deux fois le mot "précarité", mais jamais celui de "titulaire" ni de "titularisation", une seule fois le mot "salaire", mais jamais le mot "augmentation".

Quid des grèves, quid du Smic ?

Si le verbe "augmenter" est utilisé, ce n’est pas au sujet du pouvoir d’achat, des retraites ou d’un quelconque droit social, alors qu’il y a là des demandes fortes dans la population, mais c’est une seule fois, pour le regretter, à propos de l’immigration. Au FN, les présidents changent, mais pas les boucs émissaires.

Pendant une heure, la présidente du FN a prononcé une seule fois les mots "retraite" et "service public", deux fois le mot "logement", mais jamais celui de "loyer", alors que toutes les études démontrent qu’il y a là les principales priorités des catégories populaires. Jamais elle n’utilise les mots "grèves", "licenciement", "SMIC", et "riche". Si le mot de "syndicat" est employé une fois, c’est pour le critiquer bien évidemment de façon violente. Elle reconnaît elle-même vouloir représenter "ceux qui ne manifestent pas".

Le FN rêve d’un pays sans syndicat qui proteste, avec des travailleurs bien sages, qui ne se mettent jamais en grève à l’appel de leurs organisations syndicales. On le sait, Marine Le Pen veut des syndicats exclusivement nationaux qui ne défendent que les travailleurs français en concertation étroite avec les patrons français. En d’autres temps, on appelait cela du corporatisme.

Dimanche, dans le vocabulaire de la candidate d’extrême-droite, il n’y a eu que quatre fois le mot "banque" mais il n’y avait pas de "patrons", pas de "profit", pas de "capitalisme" ni de "libéralisme". Ces oublis sont assez incroyables. Cela n’empêche pourtant pas la Présidente du FN d’affirmer : "je serai la présidente du retour à la réalité de ce que vivent les Français." C’est pourtant l’inverse. Ses discours sont l’archétype des grandes généralités et des grandes banalités, où le quotidien des gens modestes n’est jamais vraiment abordé de façon précise, où aucun engagement social précis n’est pris en faveur des plus modestes.

Par contre, au cours de ce long discours, les mots "France" et "Français" sont utilisés soixante et seize fois, et le mot "peuple" quinze fois ! La présidente de FN saoule son public et l’enivre de "cocoricos" ronflants vides et sans contenus qui tombent à plat. L’exaltation d’un nationalisme xénophobe sans dimension sociale n’est qu’un dangereux attrape-nigaud.

Le partage nécessaire en période de crise

L’enjeu majeur, en ce début du 21e siècle, dans un pays qui n’a jamais été aussi riche, où les inégalités n’ont jamais été aussi profondes, est celui du partage. Et sur ce point, Marine Le Pen est silencieuse depuis des mois et le mot de "partage" ou le verbe "partager" n’est jamais présent dans aucun de ses discours.

Peut-on aimer la France, la France républicaine belle et rebelle, et ne pas voir que sa première identité c’est cette passion de l’égalité et du partage qui a servi de moteur à tant de combats collectifs pendant des siècles ? Selon moi, non. On peut donc répéter soixante-seize fois un mot et ne pas le comprendre dans sa dimension profonde. Marine Le Pen nous en a fait une nouvelle démonstration.

Loin d’un "retour à la réalité", la campagne du FN et les discours de sa présidente sont ceux au contraire des grandes planantes soporifiques, toujours opposés au progrès social, où les coupables désignés ne sont pas toujours les vrais responsables. Il est temps que Marine Le Pen réponde clairement à une question : que propose-t-elle aux travailleurs ? La réponse est claire : rien. A la différence du Front de Gauche qui veut le SMIC à 1700 euros, elle refuse toute augmentation réelle du SMIC qu’elle considère comme une "mesurette" indigne de sa hauteur de vue.

Quelle avancée sociale ?

Quand le Front de gauche propose la mise en place d’un salaire maximum dans l’entreprise n’excédant pas un écart de un à vingt, elle dénonce immédiatement "une fausse bonne idée, version soviétique". Elle s’indigne encore face à toute idée d’un encadrement des loyers. D’autres exemples équivalents existent et ils illustrent tous combien le FN ne propose aucune avancée sociale matérielle pour les travailleurs de notre pays, mais à l’inverse se moque de toutes propositions concrètes sitôt qu’elles sont portées dans le débat public notamment par le Front de Gauche et Jean-Luc Mélenchon.

Pour contourner cette question majeure, la candidate à la présidentielle est fidèle aux vieilles techniques de son père, agite les mots de "voyous", qui revient quatre fois dans ce discours, accolés à celui "d’immigration" et même celui de "barbares".

Enfin, concernant la laïcité, terme parfois kipnappé par le FN, il faut souligner que le même jour où se tenait ce meeting à Metz, une manifestation d’intégristes catholiques se déroulait à Paris, pour interdire une représentation théâtrale qui leur déplaisait, sans que le FN n’y trouve rien à redire. On sait même que de certains responsables du FN soutiennent activement ces rassemblements d’exaltés qui veulent réhabiliter le délit de blasphème pourtant inconcevable dans une république laïque. Sur ce point aussi, dans les silences de la candidate d’extrême droite, on constate une fois de plus sa fausse conception de la laïcité à géométrie variable.

Pour lutter contre les idées du Front national, il importe d’écouter d’abord ce qu’elle dit réellement et de faire appel à la raison pour lui répondre. Trop souvent, des commentaires approximatifs sans reculs de certains médias renforcent la campagne de "communication" de Marine Le Pen. C’est regrettable. Il faut dire les choses clairement : le "tournant social" du FN n’existe pas et aucun travailleurs de notre pays n’a d’intérêt à voter pour cette formation. Bien au contraire.

Le seul candidat qui refuse la rigueur, qui veut engager le partage des richesses et la transition écologique, qui propose une relance économique et qui avance des mesures sociales concrètes qui changeraient la vie, vraiment, c’est Jean-Luc Mélenchon. Sa campagne est la plus efficace pour faire reculer le FN.

Alexis Corbière


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