Le Parti de l’étrangère, Marine Le Pen contre l’histoire républicaine de la France

vendredi 2 mars 2012.
 

Sous ce titre, Alexis Corbière vient de publier aux Editions Tribord (6euros), un livre qui dénonce la réalité du Front National. Ci-dessous, entretien avec lui.

"Ses pistes sont alléchantes pour un certain patronat. Marine Le Pen ne conteste pas le système, elle en est la béquille."

Vous présentez votre livre comme une « plongée sous Marine », dans l’histoire 
de France fantasmée 
qu’elle met en scène.

Alexis Corbière. Le Front national a un problème avec ses propres racines. Il vient d’un courant contre-révolutionnaire et doit nier cette filiation. Donc, il a besoin d’en créer une nouvelle, piochant des références dans l’histoire de la gauche. C’est grossier, mais cette négation de l’histoire pour cacher ses véritables idées fonctionne en partie parce qu’une certaine gauche, le Parti socialiste, a abandonné cette histoire et ses grandes figures. Si la gauche ne montre plus l’histoire ouvrière – une vision non consensuelle, faite de rapports de forces et de combats –, l’extrême droite se la réapproprie. C’est le sens de la réhabilitation que, avec Jean-Luc Mélenchon, nous entreprenons.

Marine Le Pen oublie volontairement un certain nombre d’événements…

Alexis Corbière. Dans son premier discours de présidente du Front national (juin 2011), elle fait du baptême de Clovis, privilégiant un certain courant du catholicisme, l’élément fondateur de la nation française. Parallèlement, elle fait l’impasse sur la Révolution française, qui a instauré la notion de peuple souverain et promet l’égalité entre les citoyens.

Elle a pourtant failli prononcer 
le nom de Robespierre lors 
de son élection à la présidence 
du FN, en juin 2011 (figurant dans 
le discours imprimé, il a disparu 
au prononcé, remplacé par « un grand révolutionnaire » – NDLR).

Alexis Corbière. Robespierre déclarait que tout étranger « domicilié en France depuis une année, qui y vit de son travail (...) ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard (et) qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité est admis à l’exercice des droits de citoyen français ». Une preuve que ce n’est pas la nation qui fonde la République, contrairement à ce qu’explique Le Pen, mais précisément l’inverse  : l’existence de notre peuple en tant que nation est basée sur un contrat politique signé, entre autres, à la Révolution.

Marine Le Pen n’a pourtant pas hésité à kidnapper d’autres grands noms à droite, comme celui du général de Gaulle. Mais c’est surtout dans le camp progressiste qu’elle pioche, comme celui de Jean Jaurès…

Alexis Corbière. Un pacifiste, qui croyait que « la patrie est une idée qui se transforme et s’agrandit », « un devenir plutôt qu’un héritage »  : tout le contraire de la vision figée de Le Pen.

Roger Salengro…

Alexis Corbière. Le FN l’a embrigadé au nom d’une loi sur la « priorité nationale » votée en août 1932. Or, ni le groupe socialiste ni lui n’en étaient à l’initiative  : elle était portée par Pierre Laval, futur dauphin du maréchal Pétain, et Lionel de Tastes, émeutier de 1934 avec les ligues d’extrême droite, qui dénonçaient « les métèques qui viennent manger le pain des Français »  ! Socialistes et communistes demandaient au contraire l’égalité de salaire entre travailleurs étrangers et français.

Et même George Marchais  !

Alexis Corbière. Avec une citation trafiquée et tronquée d’une lettre parue dans l’Humanité, le 6 janvier 1981  ! Certes, il y parle d’immigration, mais quand le FN fait rimer « cote d’alerte » avec étrangers, c’est faux  : il parlait de cote d’alerte atteinte dans le mal-logement des travailleurs immigrés… C’est du bidonnage. Le poison du FN, c’est de nier l’égalité des droits entre travailleurs, quand le PCF et Georges Marchais l’ont toujours appuyée. Aujourd’hui encore, si le Front de gauche réclame la régularisation des travailleurs sans papiers, c’est pour établir l’égalité de traitement entre tous.

Le détournement de ces grandes figures peut-il être considéré comme un épisode de plus dans l’enfumage de l’électorat populaire  ?

Alexis Corbière. Ça ressemble à ce que faisait le Parti populaire français de Jacques Doriot dans les années 1930, une tentative de fascisme à la française. Le Front national prend une partie des habits de la gauche, met en avant des syndicalistes comme (l’ex-cégétiste) Fabien Engelmann, pour montrer son implantation dans le monde ouvrier. En réalité, il n’a aucun lien avec le salariat. Ses cadres et élus sont issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. En 2010, 17% de ses élus étaient des commerçants, 18% des cadres, 0% des ouvriers.

Marine Le Pen a un positionnement économique et social à géométrie variable  ?

Alexis Corbière. En 2007, elle dirige la campagne de son père et fait imprimer sur le matériel de campagne une photo de lui avec Ronald Reagan  : ils prônaient le « choc libéral » avant la crise. En 2012, le FN, opportuniste, a modifié son discours  : pour la retraite à soixante-cinq ans, puis pour la retraite à soixante ans parce que Sarkozy est contre et que Marine Le Pen veut susciter une opposition forte aux yeux des Français. Et quand elle ne veut pas augmenter le Smic et propose aux salariés 200 euros de prise en charge de cotisations par l’État, ses pistes sont alléchantes pour un certain patronat. Elle ne conteste pas le système, elle en est la béquille.

Béquille qui mise sur l’effondrement et la recomposition de la droite…

Alexis Corbière. Elle attend avec gourmandise la possible défaite de Sarkozy. La Droite populaire, même si pour l’instant elle joue la carte Sarkozy, constituera une passerelle vers le FN. Dans ce groupe, Xavier Lemoine ou Christian Vanneste demandent déjà ce rapprochement. Le discours de Grenoble, les sorties de Guéant ont préparé le terrain… Et que dire de prétendus intellectuels, comme Éric Zemmour, qui ont fait un travail de sape idéologique  ? La tendance s’accélérera si Sarkozy est battu. L’UMP exploserait et une cassure au sein de la droite pourrait créer une nouvelle alliance, avec comme force centrale le Front national, à l’image de ce qu’a fait Silvio Berlusconi en Italie. Un danger qui ne s’effacerait pas si accédait au pouvoir une gauche qui s’adapte à l’austérité.

(1) Le Parti de l’étrangère, Marine Le Pen contre l’histoire républicaine de la France. Éditions Tribord, 192 pages, 6 euros.


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