Mme Le Pen, le système médiatique et ses belles consciences

samedi 10 mars 2012.
 

Dès l’investiture de Marine Le Pen à la présidence du FN en janvier 2011, nous avons compris que la bataille avec le FN changeait d’époque. Bonne occasion d’en finir avec la stratégie du reproche moral qui a été non seulement inefficace mais aussi contre-performante. Nous avons alors opté pour une stratégie de « réplique argumentée ». Un changement d’époque pour nous aussi, hier partisans de la lutte pour l’interdiction du Front National. Nous nous sommes bien vite mis au travail. Nous avons décidé de lui tenir tête et de ne rien laisser passer à chacune de ses déclarations et propositions. C’est ce que nous appelions entre nous la ligne « Front contre Front » ! La première étape visible de cette stratégie d’affrontement fut le duel organisé le 14 février 2011 sur BFMTV et RMC entre elle et moi. Nous l’avons considéré comme un banc d’essai approfondi et travaillé dans une préparation minutieuse et fouillée. La rencontre a eu lieu. Elle fut honteusement méprisée par la bonne presse. « Match nul » avait titré « Libération » en page dix-huit. « Le Monde » avait fait un bref compte rendu renvoyant, lui aussi, tout le monde dos à dos. Tous les autres n’en tinrent aucun compte.

Ce fut une double leçon. D’abord celle du bilan du choc lui-même. Comme nous l’avions minutieusement préparé, nous étions en état de faire un bilan précis sur chaque point. Nous avons eu la conviction que madame Le Pen était très mal préparée et que ses faiblesses en économie et repères historiques lui joueraient des tours. De même nous avons clairement perçu chez elle une volonté de contourner les thèmes centraux de l’extrême-droite. Il est devenu évident que la dédiabolisation qu’elle visait affaiblissait l’impact du discours du Front National davantage qu’elle ne le renforcerait. On se promettait le moment venu d’y revenir. S’agissant des médias, c’était une surprise. Nous pensions qu’ils s’intéresseraient à l’approche nouvelle, c’est à dire argumentée, de notre combat. Nous avions tout à fait sous-estimé leur fascination pour la dame. Et encore moins une plus ou moins secrète banalisation de la haine des arabes et des musulmans qui infeste nombre de rédactions, plus ou moins consciemment. C’est là que se trouve la racine de la sidération, au sens littéral, qui a abaissé les défenses naturelles de l’organisme anti-raciste et républicain. Il culmina parfois avec des pics de grossièreté.

C’est dans « Télérama » du 7 janvier 2012, page 24, que j’ai trouvé l’illustration la plus éclatante de cet état d’esprit, sous la plume de Christine Angot. La rédaction de ce journal, pourtant loin de la réaction à gros sabot, n’a pas éprouvé le besoin de se mettre à distance des relents nauséabonds de cette prose. Lisez mes amis ! « J’aime son sourire, écrit Christine Angot. Ses petites dents bien rangées qui apparaissent sous les lèvres fines lui donnent une expression qui, c’est la définition du charme, n’appartient qu’à elle, même si, à y regarder de plus près, on dirait que ce sont les mêmes dents que son père, qui n’apparaissent que dans les rires. La spécialité de la famille, ce n’est pas le coup de gueule, c’est l’éclat de rire. Les yeux qui pétillent, le regard qui brille, de faire d’aussi bonnes blagues en empathie avec le public. Son père a toujours aimé emmerder le bourgeois, elle le reconnaît. Au Parlement européen, la fille rit encore des plaisanteries du père, elle ne peut pas se retenir. Les dimanches en famille ça ne devait pas être triste. Ce que les gens veulent en France, c’est ça, rigoler. Un débat à la télé avec Marine Le Pen on ne s’ennuie pas. La mode est aux humoristes féminines, aux clichés détournés, les codes ont changé, Marine Le Pen est de son temps, plus encore que la tradition familiale, elle suit le mouvement. Florence Foresti ose dire qu’elle s’ennuie au square quand elle y emmène sa fille, le nouveau code c’est inverser l’ancien, avec une seule constante : continuer d’éradiquer les nuances. Elle suit le mouvement : vous vous êtes trompés, c’est le contraire, le contraire absolu, je ne suis pas anti-juive, je suis anti-arabe, l’extermination était une abomination, point d’exclamation. Son père, tout le monde s’accorde maintenant à le trouver lourd comparativement, comique troupier, moins dangereux, les pères ne font plus peur quand on a compris leur dialectique. Il ne nous faisait pas peur, il nous faisait honte. Or, elle, elle veut le respect. Elle est « extrêmement » attachée à sa réputation, « extrêmement » fait trembler les murs tellement elle insiste. » Consternante prose. Et sans réplique, je veux le rappeler.

Au fond, le FN relooké par la séduction et les bonnes manières féminines de Marine Le Pen, c’était devenu un objet fréquentable et peut-être même profitable pour la bonne société et ses bouffons déjantés. Frédéric Joignot dans « Le Monde magazine » de cette semaine, fait une révélatrice récapitulation de ce qu’a été cet état d’esprit, sous le titre : « Je ne pense qu’à ça ». En commençant par citer « Libération » où l’on a pu lire « Allons au nœud du problème, au plus dur : la sympathie qu’inspire Marine Le Pen » Et de citer Patrick Besson qui la décrit : « Elle m’attendait lente et patiente ses longs cheveux blonds encadrant son visage d’une beauté sévère, carrée, presque militaire ». Joignot conclut : « Tous, fin janvier, semblaient rêver de danser avec elle à Vienne au bal des néo-nazis du FPÖ, l’extrême-droite autrichienne ». Je le voyais bien, en effet. Coté mâle, la sidération n’a pas hésité à s’habiller de prétextes plus lourdingues. Ainsi quand, selon Joignot qui le rapporte, Régis Jauffret écrit : « C’est exactement le genre de fille qu’on a envie de sauter entre deux portes ». Cette version féminine érotisée du fascisme n’est pas un hasard. Le journal « Marie-Claire » a fait une superbe enquête sur ce thème pour constater comment dans toute l’Europe et dans le nouveau monde, l’extrême-droite a mis en avant des visages féminins pour donner au mal la force rendue banale de la suavité féminine. C’est d’ailleurs dans ce registre qu’a été organisée la ligne de défense du lendemain de la déroute télévisée de Marine Le Pen face à moi sur France 2. Sur internet, les trolls et les partisans ouverts, ont lourdement chargé sur mon agressivité masculine et ainsi de suite. Ce n’est pas un hasard si le père Le Pen a fait mine de s’étrangler dans le même registre en m’accusant d’être « un voyou » qui « s’attaque une femme ». Et Jean-Michel Aphatie, sans innocence, aussi relaya l’offensive en dénonçant ma « mysoginie » révélée selon lui par ma boutade sur la « semi-démence » de la madame. Naturellement rien ne révèle mieux la distance qui sépare tous ces gens du féminisme que leurs réflexes de protection à l’égard des « faibles femmes », un classique du machisme ordinaire.

Ce qui me paraît remarquable depuis que tout ceci a eu lieu c’est l’extrême décalage que j’ai observé dans les réactions. Décalage des réactions des sommets et ceux de la base. Les retours de terrain sont très clivés. Ils nous parlent d’un choc entre l’enthousiasme des nôtres et du désarroi des autres. Les gens sont très nombreux à nous témoigner de la sympathie et à venir vers nous. A l’inverse, au sommet, dans les commentaires médiatiques l’essentiel va du côté d’un renvoi dos à dos, sur le mode « match nul entre nuls ». La croûte n’est pas percée. Le registre dominant reste la mise au même sac des populismes. Plantu est passé par là et il a réitéré ses saletés dans le dernier numéro de l’Express. Celui-là même où une brève interroge : « Marine Le Pen, nouvelle icône féministe ? » AAAAH ouiii ! Ça, c’est du journalisme ! La garde est totalement baissée. Au prix d’une incroyable cécité. Ainsi quand le père Le Pen en appelle à la solidarité des journalistes avec leur « confrère » Brasillach ! Pas une réaction. Consternant. Mais réagir aurait obligé à tout reconsidérer depuis le début. Me donner raison si peu que ce soi est, pour certains, plus répugnant qu’être assimilé à un criminel antisémite ! On connaît ! C’est la ligne « Plutôt Hitler que le Front populaire » qui fut le slogan de la droite anti-communiste avant la débâcle de 1940.

De tout cela nous avons tiré les leçons de longue main. En examinant le bilan de notre assaut sans effet de janvier dernier, j’ai imaginé comment je m’y prendrais pour recommencer sitôt que nous en aurions les moyens. Deux raisons à cela. D’abord ne pas renoncer à vouloir stopper la promenade de santé du Front National sur sa ligne soit disant « dédiabolisée ». Ce n’est pas le plus dur à imaginer. Mais pour le faire c’est l’occasion qui ferait le larron, je le savais bien. Cette dédiabolisation n’est pas une tactique qui résiste au choc, compte tenu de comment est faite la composition de cette mouvance. La victoire de Marine Le Pen au congrès du FN de janvier dernier est une apparence trompeuse. Sa ligne et sa candidature ne l’ont emporté qu’au prix d’une grosse, très grosse brutalisation du Front National réel. Le pari de Marine Le Pen serait un pari perdu d’avance selon moi sitôt qu’une résistance sérieuse se ferait jour. Mais elle s’y cramponnera car elle a tout misé là-dessus. Le deuxième objectif était d’obliger le large espace de l’opinion progressiste et anti-raciste à se réveiller, bon gré mal gré. Comme il ne fallait rien attendre du système médiatique et des belles consciences, la partie se jouerait autrement. L’idée était qu’aussitôt atteint un point de crédibilité, la force acquise serait projetée sur la cible pour provoquer la bagarre qui l’obligerait à sortir de sa coquille. Ce que je n’imaginais pas c’est qu’elle se cramponnerait à la stratégie de la « respectabilité outrée » jusqu’au point de s’enfermer dans la bouderie absurde de l’autre soir. Notre offensive a commencé dès le lendemain de l’émission de France 2 en janvier. Dès que nous avons constaté, avec le succès imprévu du meeting de Nantes, que nous tenions le bon bout, j’ai attaqué dans tous mes meetings. A Metz et Besançon ce fut la grosse artillerie. Mais une seule étincelle : « semi démente », mis le feu à la plaine médiatique. Vous connaissez la suite jusqu’à cette semaine.

Depuis un an, nous n’avons cessé de travailler à mettre au point les munitions de la bataille. La réplique par le débat argumenté a fait l’objet de nombre de séances de formation et d’escarmouches bien analysées ensuite. Un grand nombre de dirigeants et militants du Front de Gauche se sont mobilisés pour décrypter les positions et les propositions de Marine Le Pen. Parmi mes proches deux responsables de premier plan se sont mis au travail le stylo à la main. Il s’agit d’Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche et de mon directeur de cabinet Laurent Maffeïs. Mafféïs a opéré la collecte systématique de nos arguments et en a présenté une version clef en main dans un livre d’accès facile : « Les cinq mensonges du Front national – Réplique à Marine Le Pen », publié en septembre dernier aux éditions Bruno Leprince. Fort de ce travail minutieux de décryptage, ce livre démonte méthodiquement les principaux rayons du fond de commerce lepéniste. On y découvre comment le "tournant social" mis en scène par Marine Le Pen n’est qu’un simple vernis sur un programme dont le fond reste particulièrement libéral. Au point de dessiner un véritable programme commun de l’UMP et du FN. La dernière proposition de Nicolas Sarkozy de baisse des cotisations salariales pour augmenter le salaire net étant d’ailleurs un copié-collé d’une proposition de Marine Le Pen. Ce livre démonte enfin quelques refrains médiatiques sur lesquelles le FN surfe depuis un an. De la dynamique électorale très relative de Marine Le Pen à son pseudo ancrage ouvrier du FN en passant par sa dimension de "femme" candidate. Ce livre ne s’arrête pas au démontage argumenté des propositions du FN. Il leur oppose à chaque fois les propositions alternatives portées par le Front de Gauche. Il porte un message d’optimisme de combat : il n’y a pas de dynamique Le Pen qu’une gauche claire et décomplexée ne puisse stopper et faire reculer. Dans les têtes et dans les urnes.

L’onde de choc de l’émission « Des paroles et des actes » n’a pas cessé de produire ses effets. Trois jours plus tard, le père Le Pen a désavoué sa fille en proposant le débat avec moi. Les grossièretés qui entourent cette offre ne font pas perdre de vue l’essentiel du propos. C’est un désaveu de la fille. Et un démenti à l’information relatée le soir même par les amis plus ou moins avoués du clan selon lequel le père aurait appelé sa fille dès le soir pour la féliciter. Je note que la réplique de ladite fille n’a pas tardé. Dès le lendemain aux « 4 Vérités » elle a pris ses distances avec lui à propos de ses déclarations sur le collabo antisémite Brasillach. Le feuilleton commence.


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