Léodile   Bera (dite   André   Léo   -   1824-1900) Écrire, combattre, être femme (37)

dimanche 14 octobre 2012.
 

« Vive la Bourse, la France se meurt   ! » écrivait, pendant le siège de Paris, la journaliste, romancière et féministe qui prit une part active à la Commune, aux côtés de Louise Michel.

« On a flétri du nom d’assassins les assassinés, de voleurs, les volés, de bourreaux les victimes. » Le 27 septembre 1871 à Lausanne, au cinquième congrès de la Ligue de la paix et de la liberté, ces mots sont ceux de la romancière et journaliste André Léo, un pseudonyme littéraire, construit avec le prénom de ses deux enfants. Quatre mois après la Commune, dans son discours intitulé la guerre sociale, elle défend ses combattants et ses combattantes dont elle fut, elle fustige les versaillais. Elle dénonce un véritable complot contre le peuple jusqu’à ce qu’il se concrétise dans le massacre des Parisiens, transformant la capitale en « un immense abattoir humain ».

L’histoire officielle n’a jamais cessé de se venger de la Commune. Par la haine, par la caricature et par le silence. L’histoire révolutionnaire elle-même a laissé peu de place aux femmes. André Léo, pourtant, fut une belle et grande figure. Féministe qui se bat très tôt pour l’égalité des salaires mais aussi pour le droit des femmes à aimer librement, anarchiste qui n’hésite pas à critiquer Bakounine aussi bien que Marx, proche de Louise Michel avec qui elle fonde en 1869 la Société de revendication des droits de la femme. Collaboratrice également du journal le Droit des femmes, elle y combat les thèses de Proudhon qui a prétendu justifier de façon scientifique l’infériorité des femmes dans tous les domaines. «  Lorsque l’intelligence de la femme aura cessé d’être enfermée systématiquement dans les premiers moules de la conception humaine  ; quand on lui aura rendu l’air et la liberté  ; quand elle recevra une instruction semblable à celle de l’homme… Alors nos physiologistes pourront reprendre leurs balances et recommencer leurs calculs.  » «  On ne naît pas femme, on le devient  », écrira Simone de Beauvoir bien plus tard.

Léodile Bera naît le 18 août 1824 à Lusignan, dans la Vienne, lieu de résidence de la fée Mélusine qui a la particularité de se transformer le soir en serpent à l’abri des regards. Son grand-père fut un révolutionnaire, créateur en 1791 de la Société des amis de la Constitution, son père a été officier de marine puis est devenu juge de paix. Elle vit dans un milieu cultivé de la moyenne bourgeoisie, profite de la bibliothèque familiale. En 1851, elle publie son premier roman, Une vieille fille, qui sera suivi de nombreux autres qui vont lui assurer une réelle notoriété dans le monde des lettres. Son inspiration est à certains égards proche de celle de George Sand. Dans Une vieille fille, le jeune héros finit par épouser une femme plus âgée dont il est devenu amoureux, comme François le Champi chez Sand. Elle aime aussi les paysans, qu’elle pare de bon sens et de simplicité, d’une sorte de vérité dans leur proximité avec la terre. Elle les défendra à juste titre contre Bakounine et d’autres qui ne veulent voir en eux que des rustres et des lourdauds. La même année que paraît Une vieille fille, elle épouse Pierre Grégoire Champseix, un journaliste et intellectuel progressiste, rédacteur de la Revue sociale. Ils ont deux enfants donc, et vivent en Suisse, mais Pierre Grégoire meurt en 1863. André Léo vit de sa plume, comme romancière et journaliste. Dans la Coopération, elle publie, en 1867, des reportages sur le travail, comparant en particulier les salaires des hommes et ceux des femmes. Dans les campagnes, pour les hommes, un franc la journée avec la nourriture alors que «  pour les femmes, le prix varie de 40 à 50 centimes avec la nourriture. (…) Dans les villes, pour les ouvrières, la journée est la même que celle des pauvres femmes des campagnes, 40 à 50 centimes. Cela est dû au travail des couvents, qui jettent à prix réduit sur le marché d’énormes quantités de linge confectionné.  » Elle plaide et milite également pour la création d’associations ouvrières, à la fois pour de meilleures conditions de travail et pour la formation intellectuelle et morale des associés.

Revenue à Paris, elle assiste avec 200 000 personnes aux obsèques du journaliste Victor Noir, progressiste et républicain tué en duel. Le climat est tendu. Elle est avec Louise Michel. Elle est habillée en homme avec un poignard caché sous ses habits. Quelques mois plus tard, toujours avec Louise Michel, elle lance une pétition pour sauver des blanquistes condamnés à mort. Les exécutions seront renvoyées, deux jours avant la chute de l’empire. Pendant la guerre avec la Prusse, elle milite au sein du Comité de vigilance de Montmartre. Le 18 septembre 1870, toujours avec Louise Michel, elle manifeste à l’hôtel de ville pour demander des armes pour Strasbourg assiégée. Toutes deux sont arrêtées puis libérées. Elle fonde le journal la République des travailleurs et critique avec le culte des chefs «  le fétichisme politique  », conséquence «  du fétichisme religieux  ». Elle en appelle sans cesse au peuple face à ces belles fortunes «  pétries de tes misères, de la souffrance de ta femme, de la mort de ton enfant… Vive la Bourse  ! La France se meurt  »  !

Elle est évidemment avec la Commune dès le 17 mars, comme journaliste toujours, oratrice, membre du Comité des citoyennes du 17e arrondissement, de l’Union des femmes pour la défense de Paris et le soin aux blessés qui est aussi la section féminine française de l’internationale… Elle s’efforce de faire comprendre ce qui se passe à Paris à la province et publie, à 100 000 exemplaires, un appel «  Aux travailleurs des campagnes »  : «  Frère, on te trompe, nos intérêts sont les mêmes. (…) Si Paris tombe, le joug de la misère retombera sur votre cou.  » Dans les débats de la Commune même, elle se prononce pour la lutte armée, face aux versaillais : «  Il n’est aucune conciliation qui ne serait une trahison à la cause républicaine.  » Mais quand la Commune décide de supprimer les journaux d’opposition, elle demande le respect inconditionné de la démocratie  : «  Si nous agissons comme nos adversaires, comment le monde choisira-t-il entre eux et nous ?  »

En exil, elle poursuivra ses activités de journaliste et d’oratrice politique avant de reprendre, en 1876, une carrière encore plus intense de romancière, publiant également en feuilleton, dans le Siècle. Elle ne dérogera jamais de son engagement féministe et de gauche. Léodile Bera est morte le 20 mai 1900. Elle est enterrée au cimetière d’Auteuil, à Paris, près de son époux et de ses deux enfants.

par Maurice Ulrich, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message