Nathalie Le Mel (1826-1921) « Toutes au combat ! 
Il faut écraser Versailles » (10)

dimanche 14 octobre 2012.
 

Par Claudine Rey, Présidente 
de l’association des amis de la commune

À la tête de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, elle est une militante de tous les combats pour la République, pour la justice sociale. Et pourtant, l’histoire l’a oubliée !

Cette petite Bretonne, reconnaissable sur les photos d’époque à sa coiffe blanche, est une grande dame. Nathalie Duval, femme Le Mel, est fille d’un ouvrier corroyeur. Elle naît le 26 août 1826, à Brest, et sur son acte de naissance la profession de sa mère n’apparaît pas. Elle tient pourtant un débit de boisson qui sera, pour Nathalie enfant, un lieu d’apprentissage des malheurs des pauvres.

Nathalie découvre, à travers les récits des hommes et des femmes du peuple, la grande misère du monde du travail. Ses parents lui donnent, contrairement aux habitudes de l’époque vis-à-vis des filles, une bonne instruction. À dix-neuf ans elle se marie avec Adolphe Le Mel, ouvrier relieur. Ils quittent Brest pour ouvrir une librairie à Quimper. Trois enfants naissent de leur union et le couple change plusieurs fois de librairie. Nathalie est signalée comme une grande lectrice de journaux socialistes, ce qui choque la bourgeoisie locale.

Le couple Le Mel décide de s’installer à Paris avec leurs enfants de douze, sept et deux ans. Nathalie trouve du travail dans des ateliers de reliure proches de la gare Montparnasse, quartier où se regroupent les Bretons. Elle se fait remarquer par son engagement politique. Elle fréquente les clubs qui fleurissent dans la capitale. Déjà un rapport de police signale « qu’elle s’occupe de politique et lit à haute voix les mauvais journaux » ! Ses compagnons de travail l’élisent au comité de grève et, avec Varlin, responsable du syndicat des relieurs, elle obtient, en 1865, l’égalité des salaires hommes-femmes dans cette profession.

Cette même année, l’Association internationale des travailleurs est créée en France ; Nathalie y adhère aussitôt. Varlin met en place un restaurant associatif, la Marmite, « afin d’assurer à tous la nourriture ». Il en confie la gestion à Nathalie Le Mel. Très vite d’autres succursales s’ouvrent mais ce sont aussi de véritables clubs révolutionnaires.

Son mari l’empêche de militer. Elle lui reproche de s’être mis à la boisson et le quitte. Elle part avec ses enfants et s’installe dans un premier temps à la Marmite, rue Larrey. Pour cette époque, dominée par les idées misogynes de Proudhon, c’est un acte de courage remarquable.

Les femmes sont nombreuses dans la 
production à Paris. Elles subissent de dures conditions de vie. Elles sont méprisées et exploitées. Elles gagnent moitié moins que les hommes. Durant le siège de Paris par les Prussiens, elles ont fait face au rude hiver de 1970. Il faut nourrir la famille, faire la queue dans le froid pour assurer la pitance. Malgré cela, elles refusent la capitulation décidée par le gouvernement de Thiers ! Dès le début de la Commune, le 18 mars, elles la protègent. C’est en effet elles qui s’opposent à la confiscation, par les troupes de Thiers, des canons achetés par souscription par les Parisiens pour défendre la capitale.

Thiers s’enfuit à Versailles avec toutes les forces administratives. Les femmes réagissent, veulent marcher sur Versailles. Elles sont dans les réunions de clubs, alors apparaît l’impérieuse nécessité de s’organiser.

Le 11 avril, deux femmes, Nathalie Le Mel et Élisabeth Dmitrieff, prennent la tête d’une association, l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Nathalie y assure le poste de secrétaire. Elle déploie une grande énergie. L’association se structure, des statuts sont rédigés et l’article 4 précise qu’elle demande «  du pétrole et des armes ». Les femmes veulent se battre pour défendre Paris. Elles proclament aussi « qu’elles veulent du travail... pour en garder le produit. Plus d’exploiteurs, plus de maîtres » ! Comme pour la grève des relieurs, les textes de l’Union des femmes reprennent la revendication de l’égalité de salaires. Fin avril, Nathalie Le Mel est nommée à la 
« commission d’enquête et d’organisation du travail », dirigée par Léo Fränkel. Elle réclame du travail pour les femmes et gère, avec son association, la réquisition des ateliers abandonnés par les patrons. Durant toute la Commune, elle dirige remarquablement l’Union des femmes, menant une action féministe et révolutionnaire. Laïque, elle incite les femmes à tout mettre en œuvre pour remplacer les religieuses dans les écoles et les hôpitaux.

Le 12 mai, au Club de la délivrance, elle déclare selon un témoin : « Il faut savoir mourir pour la patrie. Toutes au combat ! Il faut écraser Versailles ! » Lors de la Semaine sanglante, poursuivant son engagement, elle entraîne les femmes sur les barricades. Nous la retrouvons place Blanche, à la tête d’un bataillon d’une cinquantaine de femmes. Elles tiennent en échec pendant quelques heures les troupes versaillaises. C’est la fin, le repli ! De désespoir, Nathalie tente de se suicider. Elle est arrêtée le 21 juin 1871.

Condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie, elle embarque avec vingt femmes, dont Louise Michel, sur la frégate la Virginie. Un voyage de plus de cent jours ! Elle veut que soit respectée sa qualité de déportée politique et refuse une affectation différente de ses compagnons hommes. Avec Louise Michel, elles menacent toutes les deux de se jeter à l’eau. Devant leur détermination, le commandant cède.

Malade, pratiquement grabataire, elle rentre de déportation en 1879, lors de l’amnistie partielle. À Paris, elle reprend contact avec le combat syndical des relieurs. Rochefort, compagnon de déportation, lui procure un travail. Elle est trop malade pour continuer. Par amitié, il lui verse une pension, mais Nathalie la refuse le jour où Rochefort choisit le camp du général Boulanger. Elle reste fidèle à son idéal d’internationaliste.

Sans ressource aucune, elle meurt dans la misère le 21 mai 1921, à l’hospice d’Ivry.

Une vie de militante révolutionnaire qu’il faudra bien, un jour, réhabiliter en la sortant de l’ombre.


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