Victorine ROUCHY-BROCHER (1838-1921) Une morte vivante (24)

dimanche 14 octobre 2012.
 

Morte vivante, Victorine Brocher fut un extraordinaire témoin de son temps  ! Elle le doit à son engagement entier pour la Commune de Paris. Lors de la semaine sanglante, plusieurs Victorine Brocher sont arrêtées et fusillées. Sa mère, même, reconnaît, à la demande des autorités, le cadavre de sa fille. En fait, Victorine est cachée à Paris, plus tard elle se réfugiera en Suisse. À son retour d’exil, elle épouse Gustave Brocher. Ils adoptent cinq enfants orphelins de la Commune.

Étrange vie, que celle de cette petite fille qui naît à Paris, près des Halles. Nous sommes en 1838. Elle est plongée dès l’enfance dans un milieu révolutionnaire. Son père, républicain, Pierre Malenfant, participe activement à l’instauration de la République. Victorine vit de grands moments de l’histoire révolutionnaire. Le père membre d’une compagnie de la garde nationale, hostile à l’empereur, est sur les listes de proscription. Des soldats se présentent à son domicile pour le saisir. Il ne les a pas attendus. La fillette est témoin de la brutalité de la troupe qui menace sa mère. Elle perd connaissance et reste foudroyée... impossible de parler, de bouger. Elle a dix ans  !

Son père revient mais elle est sans mémoire. Le médecin leur conseille de quitter Paris, et c’est à Orléans que la famille s’installe en 1849. Le militant retrouve là des amis républicains. Ils jurent, sur la tête de l’enfant, fidélité à la République. Un geste dont elle se souvint toute sa vie avec une grande émotion  ! La santé de l’adolescente s’améliore. Le père, toujours poursuivi, doit s’enfuir et s’exile en Belgique.

Elle précise : « On m’a mariée à Orléans le 13 mai 1861 », signifiant ainsi que ce n’est pas sa volonté mais celle de sa mère. Le couple Rouchy s’installe à Paris dans le 18e arrondissement. Leur fils naît le 14 janvier 1864. Victorine côtoie la misère des femmes du peuple. Dans son ouvrage Mémoire d’une morte vivante (*) elle relate : « J’ai vu de pauvres femmes travaillant douze à quatorze heures par jour pour un salaire dérisoire de 2 francs par jour. »

Elle adhère à l’Association internationale des travailleurs dès sa création, « plus que jamais  », dit-elle, « j’éprouvais le besoin de m’occuper des événements de mon pays ». Son mari, ancien officier de la garde impériale, est alcoolique. L’argent manque. Son gamin âgé de deux ans fait une chute qui lui brise les vertèbres. Lui aussi, comme elle enfant, se retrouve handicapé, immobilisé.

Elle participe à des réunions de l’Internationale, essayant d’y entraîner son mari pour « le détourner de ses habitudes dangereuses pour sa santé et pour notre tranquillité », dit-elle pudiquement. Elle y rencontre Fränkel, Delescluze…

En 1868, son fils meurt. Pour survivre malgré leur peine, les parents changent de quartier. Un nouvel enfant vient au monde. Lui aussi meurt en bas âge. Ils sont installés à Paris, boulevard Saint-Germain, lorsque le 18 mars ils apprennent la tentative de confiscation des canons à Montmartre. De ce côté de Paris, Victorine voit les troupes de Thiers se mettre en ordre de défilé pour quitter la capitale « si au premier moment d’effervescence ont avait fermé les portes de la capitale et empêché de dévaliser archives et monnaie… Thiers n’aurait pas eu le temps de tromper l’opinion publique », estime-t-elle.

Le 20 mars, un ami leur propose de faire partie de son bataillon pour tenir le mess des officiers  ; Victorine et son mari acceptent et s’installent à la caserne nationale.

Elle raconte, enthousiaste, la proclamation de la 
Commune, le 28 mars, devant une foule immense, joyeuse. Mais, déjà, le 3 avril, les nouvelles arrivent  : Flourens et Duval sont massacrés par les versaillais. Le 7, le bataillon de Victorine se met en marche vers Neuilly où se livre une violente bataille. Victorine est maintenant ambulancière, elle témoigne  : « À chaque étape sanglante nous criions  : vive la République  ! » Elle-même est enterrée par des retombées d’un obus. Ses compagnons de lutte la dégagent et c’est en chantant qu’ils prennent le chemin du retour. « Si nous mourons, disions-nous, mieux vaut mourir en chantant  ! »

Victorine est de tous les terribles combats  : à Issy, à Passy…  ! Le commandant la désigne, avec quelques compagnons, pour rendre un hommage aux victimes au cimetière du Père-Lachaise. Au retour, les tentatives pour retrouver le bataillon échouent. Avec ses compagnons, elle décide de revenir vers la rue Myrha. Alors, boulevard Magenta, elle croise un groupe portant le brancard sur lequel gît Dombrowski blessé à mort. « N’allez pas de ce côté, tout est fini  ! Vous seriez massacrés pour rien. Je vais mourir mais ne cherchez pas à me venger, pensez à sauver la République  ! » Ils ne savent plus où aller, retournent vers l’hôtel de ville. Un des fédérés qui l’accompagne, Milliet, lui remet le drapeau gardé lors des obsèques. Sur la barricade de la rue Saint-Antoine, elle plante son drapeau rouge frôlant une balle qui tue un fédéré. Ils restent à une dizaine  ! Un pharmacien leur propose des vêtements civils. Finalement ils acceptent et remontent vers Belleville pour continuer à se battre. Véronique fait couper ses beaux cheveux. Menue, de petite taille, elle a l’air d’un gamin. Dans les rues, on se bat encore mais il n’y a plus rien à faire  !

Victorine et son groupe se cachent à Belleville dans des baraquements. Les versaillais cernent le refuge, les minutes comptent, ils vont être pris  ! Elle enroule le drapeau sous ses vêtements, s’échappe par une petite fenêtre. Les rues sont jonchées de cadavres  ! Elle arrive au domicile de sa mère, on la croit morte. Elle apprend que, le 25 mai, la cour martiale du 7e secteur l’a condamnée à mort comme incendiaire. Après bien des péripéties, avec l’aide d’un fédéré de son bataillon, elle gagne la Suisse. Avant cela, il faut abandonner le cher drapeau et même le brûler pour ne pas compromettre la famille qui les héberge. La décision est prise. « Notre drapeau renaîtra de ses cendres, écrit-elle, alors l’idée renouvelée et plus vivace que jamais, mieux comprise, aidera à la marche du progrès vers un avenir social meilleur et plus humain. »

Souvenirs d’une morte vivante, de Victorine B. 
Éditions La Découverte, 19 euros.

Par Claudine REY
Journaliste honoraire Présidente des Amis 
de la Commune de Paris (1871).


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