La grande menace de la finance de l’ombre (article Le Monde)

vendredi 15 juillet 2011.
 

La nouvelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, est assise sur un véri-table baril de poudre : le "shadow banking" ou la banque de l’ombre. La crise de la dette, le renforcement des fonds propres des banques et la mise en place d’une régulation digne de ce nom ont occulté l’engin infernal qui constitue une grave menace de création de nouvelle bulle financière. Même le lobby bancaire traditionnel s’émeut de l’expansion sans entraves d’une nébuleuse qui avance masquée.

Quand Christine Lagarde était ministre de l’économie et des finances, la France a fait du thème l’une des grandes priorités de sa présidence actuelle du G20. Mais jusqu’à présent, les représentants des principales puissances de la planète se sont montrés indifférents face à un problème qui présente pourtant un réel danger pour une écono-mie mondiale qui demeure fragile.

De quoi s’agit-il ? Aujourd’hui, la finance peut être illustrée par deux cercles à la fois séparés et imbriqués l’un dans l’autre. Le premier représente le coeur du système bancaire, essentiellement la banque de dépôt et une partie de la banque d’affaires, soumis à un certain nombre de ratios prudentiels comme de contrôles. Ce pôle est mieux régulé ou en passe de l’être.

Le second est le "shadow banking", la finance de l’ombre qui accueille des flux financiers à l’abri des regards par le truchement de l’optimisation fiscale, des places offshore, du hors-bilan, des conflits d’intérêt et des connivences politiques. Par son intermédiaire, des risques qui se trouvaient dans le système "en clair" sont en train d’émigrer à l’insu de tous à la périphérie "obscure".

Dans cette sphère qui se joue des interdits figurent les constructions de style SPV (Special Purpose Vehicules), la titrisation sauvage, les marchés dérivés et les fonds de matières premières. Certains ajoutent à cette liste noire les hedge funds, les fonds d’investissement qui animent la spéculation internationale ou le secteur du capital-investissement qui collecte l’argent auprès des investisseurs institutionnels pour prendre part au capital des entre-prises.

D’autres incluent les activités spéculatives des banques d’affaires ou la gestion de fortune la plus sophistiquée. En résumé, ce label couvre toutes les institutions financières qui ne sont pas des banques de dépôt mais font du crédit ou ont recours à l’endettement.

De nos jours, le "shadow banking" joue à armes égales, voire est plus fort que le secteur financier réglementé. En franchissant trop souvent la ligne jaune de la morale, en "flirtant" parfois avec la ligne rouge de l’illégalité, ce pou-voir occulte tient les Etats, les entreprises, le consommateur en otage.

La crise grecque, le raid du géant du luxe français LVMH sur son rival Hermès et la flambée des prix alimentaires démontrent l’actualité et la capacité de nuisance de ce phénomène. En quoi la faillite d’un hedge fund peut-elle provoquer un séisme similaire à ce qui s’est passé en 2008 et en 2009 avec les banques ? Après tout, ces entre-prises à vocation spéculatrice sont régulées.

Si les investisseurs y laissent leur chemise c’est leur problème. Reste qu’en raison de l’effet de levier (endette-ment) toujours excessif, de l’interconnexion des marchés et du comportement moutonnier des opérateurs, si ces acteurs font défaut en grand nombre au même moment, c’est l’ensemble du système qui est menacé.

Pris isolément, les hedge funds ne constituent pas un péril. Mais "en groupe, en ligue, en procession", comme disait Jean Ferrat, par des contreparties diverses et variées, l’effet domino peut se répandre aux banques prê-teuses. La mondialisation et l’innovation technologique informatique accroissent le danger.

Il en est de même du capital-investissement. Pour payer le moins d’impôts sur leurs opérations, ces entités créent des sociétés spéciales immatriculées dans des "trous noirs" incontrôlables que sont les paradis fiscaux tels les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques, Hongkong ou Singapour.

Monté par une armée de complices - avocats, comptables, bureaux-conseils et communicants -, le dispositif per-met de court-circuiter les contre-pouvoirs que sont les actionnaires minoritaires, les syndicats, les pouvoirs publics. Avec le recours massif aux procédés comptables du hors-bilan, l’opacité sur la réalité des risques s’accroît. Les paquets de titrisation de crédits à risques subprime faits par les banques américaines avant la crise financière, c’était du hors-bilan. Tout comme les scandales Worldcom, Tyco ou Enron...

C’est aussi toute la question de l’évasion fiscale au niveau mondial qui est posée. En recourant au "shadow ban-king", les multinationales et les grosses fortunes paient en toute légalité un minimum d’impôts. Au même moment, les Etats sont financièrement exsangues, les classes moyennes sont surtaxées et les classes populaires sont les premières victimes des politiques d’austérité et des coupes sombres dans les dépenses publiques.

Malgré une série de dysfonctionnements, en particulier l’application délicate et incertaine d’une réglementation trop complexe, le capitalisme "de la lumière" reste le meilleur régime économique qui soit, à l’image de la démocratie en politique.

Ce système ouvert est globalement efficace pour l’enrichissement collectif. Il y a urgence, en revanche, à en ré-glementer la face cachée en raison de l’importance des risques encourus et de la nécessité de protection du public contre un nouveau crash.

Au tennis, il vaut toujours mieux servir que de recevoir la première balle.


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