La répression contre les syndicalistes s’aggrave (étude de la confédération syndicale internationale)

lundi 20 juin 2011.
Source : Le Monde
 

En 2010, la Confédération syndicale internationale a recensé près de 100 syndicalistes tués. Un tableau sombre, qui ne semble pas devoir s’améliorer cette année

Jeudi 26 mai, Idar Joel Hernandez Godoy reçoit plusieurs balles tirées depuis une moto par des assaillants non identifiés. Le secrétaire des finances du syndicat des travailleurs bananiers d’Izabal, au Guatemala, se rendait au siège de son organisation, dans la ville de Morales. Le 10 avril, le corps d’un autre dirigeant du même syndicat, Oscar Humberto González Vázquez, avait été retrouvé criblé de 35 balles.

En Colombie, 2 000 kilomètres plus au sud, les assassinats se sont aussi multipliés, entraînant une réaction du syndicalisme mondial. Dans son rapport 2011 sur les " violations des droits syndicaux " , présenté vendredi 10 juin à Genève, la Confédération syndicale internationale (CSI) recense les violences dans 143 pays : près de 100 syndicalistes tués en 2010 (49 pour la seule Colombie), des dizaines de tentatives de meurtres ou de menaces, des emprisonnés par milliers, sans oublier tous ceux qui sont licenciés à cause de leur engagement. Ce tableau sombre est intercontinental et ne semble pas devoir s’améliorer en 2011.

En avril, la répression contre les mobilisations au Swaziland a entraîné des protestations internationales. Le gouvernement a procédé à des centaines d’arrestations et menacé de ne plus autoriser les activités syndicales. Le président de la Fédération des syndicats du Swaziland (SFTU), Sibanesenkhosi Dlamini, témoigne : " Les syndicats sont autorisés par la loi, mais dès que nous nous réunissons, les policiers interviennent durement. J’ai moi-même été arrêté avec d’autres responsablesle 14 mai. "

Au Zimbabwe, la répression menée par le régime de Robert Mugabe est quotidienne. Le 6 juin, la police a interdit, à Harare, au Congrès des syndicats zimbabwéens (ZCTU) de commémorer la catastrophe qui, en 1973, avait tué 427 mineurs.

Globalement, analyse la CSI, derrière les violences les plus évidentes et malgré le fait que, durant la crise économique, beaucoup de chefs d’Etat s’étaient félicités de l’existence de syndicats aptes à favoriser le dialogue et à empêcher les explosions sociales, le climat antisyndical n’a jamais été aussi vif. " La crise n’est pas terminée et les mesures d’austérité prises un peu partout, notamment en Europe, ne seront pas temporaires, analyse Nadine Thévenet, chargée pour la CSI des libertés syndicales. Les systèmes de protection sociale sont sous pression et la tendance est à réviser à la baisse les législations du travail. "

Les mouvements sociaux se multiplient alors, et le syndicat devient l’ennemi. Si on tue en Amérique centrale, en Asie ou en Afrique, on arrête et on licencie aussi beaucoup de syndicalistes, comme au Mexique, au Cambodge, au Bangladesh, en Turquie, aux Philippines ou au Nigeria. Même en Belgique, pointée par la CSI, et dans d’autres pays européens, les mesures d’intimidation se multiplient.

A l’est de l’Europe, en Russie, en Géorgie, en Biélorussie... tout est fait pour réduire l’influence et l’implantation des syndicats indépendants. Rakli Petriaswhili, président de la Confédération des syndicats géorgiens (GTUC), témoigne de la violence du climat. " Les syndicalistes sont effrayés, menacés, licenciés, dit-il. Les pressions, illégales, sont quotidiennes et les décisions de justice prises contre les syndicalistes encouragent la répression. "

Syndicats " maison "

Quand la législation ou les jugements dérangent, les gouvernements n’hésitent pas à agir illégalement. Ils essayent de prendre le contrôle des organisations syndicales ou encouragent le développement de syndicats " maison " plus accommodants. Maia Kobakhidze, présidente du Syndicat national des enseignants et des scientifiques de Géorgie, a vu son élection à la tête de l’organisation contestée par une fraction dissidente, animée par le ministère de l’éducation. " Ils m’ont demandé de démissionner en me proposant, en contrepartie, un poste généreusement rémunéré au sein du ministère " , raconte la jeune femme. Depuis son refus, le syndicat est asphyxié financièrement. " Même une législation corrompue comme celle de la Géorgie est en train d’être violée par le gouvernement " , résume Maia Kobakhidze.

Vu de France, ce tableau apocalyptique rendrait la situation des pays occidentaux idyllique. Mais, pour la CSI, le climat antisyndical est général. " L’individualisation des relations du travail, la précarité grandissante, tout cela contribue à freiner l’action des syndicats, estime Nadine Thévenet. Certes, il y a peu ou pas d’action violente, mais on assiste à une érosion permanente des droits des salariés. "

Le secrétaire général de la CGT française, Bernard Thibault, rappelle souvent que la principale raison de la faiblesse des effectifs syndicaux - moins de 10 % des salariés en France - repose en premier lieu sur la peur des salariés. " L’engagement syndical est d’abord perçu dans les entreprises comme une déclaration de guerre au patron , nous explique-t-il. On ne peut plus désigner un délégué seul dans une "boîte", surtout dans les petites entreprises : il faut que ce soit un mouvement collectif. Se syndiquer est pourtant un droit individuel. " Les violences physiques du XXe siècle se sont muées en harcèlement, en contraintes horaires ou en vexations professionnelles.

Pour le syndicalisme mondial, tout se passe comme si les leçons des crises tunisienne et égyptienne n’avaient pas été tirées. " Du bassin minier de Gafsa, en Tunisie, aux zones industrielles d’Egypte, la contestation sociale grandissante, révélée par le rapport, éclaire la désespérance sociale et les causes des révolutions et des aspirations au changement qui continuent de balayer toute la région " , écrit la CSI. Ce bilan de l’année 2010, plus qu’un inventaire macabre des violences antisyndicales, résonne comme un avertissement.

Rémi Barroux, Le Monde

Mexique Vers une criminalisation

" Le gouvernement veut modifier le droit social et fait tout pour briser les syndicats : il mène contre nous une campagne de criminalisation " , affirme, d’une voix tendue, Martin Flores Esparza, le secrétaire général du Syndicat mexicain de l’électricité. Tout a basculé pour lui le samedi 10 octobre 2009. A 22 heures, des milliers de soldats et de policiers investissent les installations de la compagnie nationale d’électricité, et 44 300 salariés voient leur entreprise liquidée, par décret du président Felipe Calderon. Depuis, Martin Flores Esparza et son syndicat, vieux de 93 ans, résistent. Son camarade, Napoleon Gomez Urrutia, dirigeant du Syndicat national des mineurs du Mexique, a dû s’exiler durant plusieurs années au Canada. Accusé de corruption, il a depuis été innocenté par la justice. Dans son rapport 2011, la CSI résume : " Les militants syndicaux mexicains sont arrêtés, blessés et poursuivis pour avoir exercé leurs activités, y compris par les forces de l’Etat, en particulier dans les secteurs minier, pétrolier et électrique. "

Le syndicat unique, un frein aux libertés

Un seul pays, officiellement, ne reconnaît pas la liberté d’association : l’Arabie saoudite. Dans de nombreux autres pays, il existe néanmoins un monopole syndical qui se traduit par une interdiction de toute possibilité de s’organiser de manière indépendante.

La Confédération syndicale internationale (CSI) les a recensés : Birmanie, Chine, République populaire démocratique de Corée, Cuba, Egypte, Emirats arabes unis, Iran, Irak, Koweït, Laos, Libye, Oman, Qatar, Soudan, Syrie, Vietnam, Yémen.

58 pays recensés comme très répressifs envers le syndicalisme en 2010

Un inventaire relatif

Chaque année, la Confédération syndicale internationale (CSI) recense les atteintes aux libertés syndicales. Meurtres, tentatives d’assassinat ou menaces de mort, blessures, arrestations et emprisonnements ou encore licenciements sont comptabilisés d’après les déclarations des syndicats adhérents à la CSI, qui rassemble 305 organisations de 151 pays. Dans le rapport 2011 (300 pages, consultables sur www.ituc-csi.org), de nombreux pays n’ont pas répondu ou, quand ils l’ont fait, n’ont pas transmis de statistiques. Mais, prévient Nadine Thévenet, chargée des libertés syndicales à la CSI, " les chiffres peuvent être trompeurs et ne reflètent qu’assez mal les réalités dans les pays " . Là où les meurtres sont fréquents, les blessures et les licenciements de syndicalistes sont jugés moins importants et peuvent n’être même pas recensés.


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