Précariat, chômage et flexisécurité à la française

mardi 3 mai 2011.
 

Le chômage connaît une explosion sans précédent en France, avec un chiffre total officiel en 2011 de 4,2 millions de demandeurs d’emploi toutes catégories, avec près de 100 000 nouveaux chômeurs officiels par mois et un million de chômeurs en « fin de droits » courant 2010. Cette aggravation intervient sur fond de lente et profonde dégradation de la situation et des droits des chômeurs. En effet, en France comme ailleurs en Europe, et ce depuis l’adoption en 2000 de la stratégie de Lisbonne explicitement vouée à flexibiliser les flux de main d’œuvre, les gouvernements ont mis en place un modèle de flexicurité du marché du travail, qui détruit progressivement les droits des travailleurs et des chômeurs. Or, face à une telle aggravation de leur situation, les chômeurs restent isolés, inaudibles, impuissants et non entendus. Seules les jeunes générations précaires semblent en mesure de s’organiser et d’agir pour remettre chômage et précarité sur l’agenda politique.

La dégradation de la situation des chômeurs

Même lorsqu’en 2007-2008, le chômage semblait reculer en raison de l’évolution démographique et du départ à la retraite des classes du baby boom, il concernait encore 4,5 millions de personnes1 en France. Moins de la moitié de ceux officiellement recensés étaient alors indemnisés par l’assurance-chômage. Déjà, les sanctions mises en place à l’encontre des chômeurs par le Plan Borloo en 2005 conduisaient à une explosion des radiations (30 000 personnes par mois sur les catégories 3, 6, 7 et 8). Quant à la précarité, plus de 70% des embauches se faisaient en CDD d’une durée moyenne d’un mois et demi, ce qui attestait de l’importance de la discontinuité effective de l’emploi pour des millions de personnes. Le chômage et de la précarité étaient déjà une arme massive aux mains du patronat pour peser sur les salaires.

Cette situation dégradée a connu un approfondissement avec la crise. Le chômage a explosé, par suite de l’augmentation des fins de CDD et de missions d’intérim tout d’abord, et depuis le début 2009 par l’accumulation de plans massifs de licenciements dans de grandes entreprises, entraînant des fermetures et des licenciements en cascade chez les sous-traitants.

Ainsi, si l’on compte un actif sur dix environ au chômage, il faut prendre en compte en termes de flux qu’un actif sur quatre passe par le chômage à un moment ou un autre, et qu’un tiers des entrées au chômage sont dues à des fins de CDD et de missions d’intérim. La part des CDD augmente régulièrement dan,s les embauches, atteignant 78 % à mi-20092. Sur le marché du travail, pour 20 millions de personnes en contrat à durée indéterminée, on compte en 2008 presque 2 millions de personnes en contrat à durée déterminée, 550 000 intérimaires, 318 000 contrats aidés, 66 000 stagiaires. L’Insee évalue le nombre de personnes en sous-emploi en 2009 à 1,4 millions dont une majorité de femmes (1 million) et dont près de 400 000 jeunes entre 15 et 29 ans.

Beaucoup de chômeurs ne sortent des listes de Pôle emploi qu’en reprenant une activité réduite3. Si environ la moitié des chômeurs perçoivent une allocation de chômage, 30 % n’ont ni Assedic, ni allocation de solidarité spécifique, ni RSA. Les jeunes de moins de 25 ans, à qui a été ouvert l’accès au RSA (depuis l’été 2010) selon des conditions d’emploi antérieur extrêmement restrictives, n’ont été que 3000 à pouvoir en bénéficier en 2010.

Or, rien n’est fait par le gouvernement pour atténuer les conséquences de la crise ou renforcer la protection sociale contre le chômage. Bien au contraire, Sarkozy encourage en les défiscalisant le recours aux heures supplémentaires, prône le travail du dimanche et instaure en 2010 l’allongement de l’âge de la retraite, mesures parfaitement contra-cycliques. Or, dès 2008, la protection contre le chômage a subi de graves reculs avec la mise en place d’une flexisécurité - sans sécurité.

La loi sur la « modernisation » du marché du travail

De septembre 2007 à janvier 2008, les cinq syndicats dits représentatifs ont entamé avec le patronat une négocia-tion à marche forcée, sous la menace de la part du gouvernement d’un projet de loi, sur la « réforme » du marché du travail. L’objectif annoncé était de créer une « flexisécurité » en France, en augmentant la flexibilité pour les employeurs, mais également en améliorant la sécurité des salariés.

La négociation a abouti le 11 mars 2008 à un accord national interprofessionnel (ANI) signé par quatre organisa-tions syndicales sur cinq, soit la CFDT, la CFTC, la CGC et FO. La CGT a refusé de signer, jugeant l’accord trop déséquilibré, mais n’a guère mobilisé. Cet accord a été pour l’essentiel repris par une loi votée le 12 juin 2008.

L’ANI et la loi du 12 juin instaurent une flexibilité accrue par plusieurs dispositions, qui chacune constituent une remise en cause assez radicale des droits existants des salariés :

- les périodes d’essai sont considérablement allongées, jusqu’à 2 mois renouvelables une fois pour les ouvriers et employés et quatre mois renouvelables pour les cadres.

- Une possibilité de « rupture conventionnelle », ou séparabilité à l’amiable, est créée, par accord entre l’employeur et le salarié, ce dernier n’ayant ensuite plus de possibilité de recours juridique passée une période de 15 jours. Cette procédure qui permet de contourner les règles du licenciement a été largement utilisée par les employeurs.

- Un nouveau contrat à durée déterminée précaire est créé, dit « CDD à objet défini », ou contrat de mission, pour les cadres et ingénieurs (pour l’instant) ; il est compris entre 18 et 36 mois, mais peut être interrompu lorsque la mission est jugée terminée par l’employeur.

- D’autres dispositions de l’accord du 11 janvier créaient une régression du droit du travail, comme le retour du solde de tout compte libératoire, pour lequel les prud’hommes ne peuvent plus être saisis passés 6 mois, la légalisation du portage salarial, illégal jusqu’ici, qui fait porter le risque entrepreneurial sur le salariés, un recours plus difficile aux Prud’hommes, la possibilité pour l’employeur de modifier librement des clauses essentielles du contrat de travail…

Les avancées en terme de sécurité pour les salariés étaient quasi inexistantes dans la loi, et renvoyées soit à des négociations de branche, soit à la négociation sur l’assurance-chômage du second semestre 2008. Il s’agit de l’indemnité légale de licenciement, qui est portée du 1/10è au 1/5è du salaire par année d’ancienneté et est due au bout d’un an et non plus de deux (renvoi à un décret ultérieur) ; du droit individuel à la formation (DIF) qui peut désormais être mobilisé chez le nouvel employeur… s’il en est d’accord ; de la réduction à 7 jours du délai de carence avant le versement du complément de salaire en cas de maladie, après un an d’ancienneté au lieu de trois, et du maintien quelques mois de cette couverture complémentaire maladie en cas de perte d’emploi ; il était aussi question d’une prime forfaitaire unique pour les jeunes de moins de 25 ans privés d’emploi et ne pouvant bénéficier du chômage, prime remboursable sur les premiers droits aux indemnités de chômage… ; toutefois, cette disposition renvoyée à la future négociation UNEDIC a disparu par la suite. Certes, le CNE (« contrat nouvelle embauche » créé en août 2005) était supprimé, mais il était déjà condamné devant les tribunaux et par l’Organisation Internationale du Travail. Quant au CPE (contrat première embauche) créé par de Villepin en 2006, il avait été rejeté par la rue. Enfin, les dispenses de recherche d’emploi pour les chômeurs de plus de 57 ans et demi devaient être supprimées, les contraignant à accepter des salaires ridicules.

Au final, la flexibilité s’est vue sensiblement accrue pour les salariés : S’il y a sécurité, elle est plutôt pour les em-ployeurs, ceux-ci pouvant se séparer beaucoup plus facilement de leurs salariés. La nouvelle disposition de rup-ture conventionnelle a été plébiscitée par les employeurs, permettant d’échapper à la procédure de licenciement : on en a compté 500 000 en 2010 ! Il s’agit donc bien d’un nouveau régime de gestion du marché du travail, qui se met en place, et qui ne se propose plus comme objectif le plein emploi, mais une sorte de « plein emploi précaire » avec une rotation rapide de la main d’œuvre et l’institutionnalisation d’une condition précaire quasi-permanente.

Une nouvelle loi sanctionnant les chômeurs

La loi sur « les droits et devoirs des demandeurs d’emploi » a suivi immédiatement, l’été 2008, la loi sur la « mo-dernisation du marché du travail », donnant une nouvelle définition de l’offre valable d’emploi, très restrictive : Il a en effet été créé une obligation de retour à l’emploi non choisi, avec la mise en place de l’ « offre raisonnable d’emploi » : les demandeurs d’emploi se voient sanctionnés de radiation s’ils refusent à deux reprises une offre d’emploi rémunérée à 95% de leur salaire antérieur au bout de trois mois de chômage, au bout de 6 mois à 85% et au bout d’un an à hauteur de leur revenu de remplacement (soit l’allocation ASSEDIC de 57% de l’ancien salaire, soit l’allocation de solidarité spécifique de 14 euros par jour). On voit la pression considérable qui s’exerce sur les demandeurs d’emploi. Bien que toutes les organisations syndicales représentatives aient rejeté le projet de loi et sa définition de l’offre raisonnable d’emploi, la loi a été votée en juillet 2008. Cette loi, qui ressemble aux lois Hartz prises en Allemagne par le gouvernement Schröder, est dans le droit fil des orientations européennes décidées entre chefs d’Etat, ou « stratégie de Lisbonne », visant à accroître la fluidité sur le marché du travail en préconisant un « workfare », ou retour forcé à l’emploi pour les chômeurs. La mise en place de la flexisécurité s’est poursuivie avec la convention sur l’assurance-chômage négociée au second semestre 2008 entre les partenaires sociaux, et dont l’essentiel des dispositions semble devoir être repris pour la nouvelle convention actuellement en cours de négociation début 2010.

Les reculs de droits sur l’assurance-chômage

L’accord du 11 janvier 2008 encadrait d’ores et déjà la future négociation de l’assurance-chômage ; en effet, il postulait que le régime d’assurance-chômage devrait permettre la prise en charge de nouveaux publics (on a souligné que de nombreux chômeurs aujourd’hui n’étaient pas indemnisés), garantir l’indépendance des partenaires sociaux, et répondre à quatre objectifs :

- s’adapter aux nouvelles caractéristiques du marché du travail, notamment pour les jeunes en difficulté d’insertion ;

- prévoir de meilleures indemnisations mais pour des durées plus courtes

- allonger la durée d’activité des seniors

- permettre une plus grande simplicité et transparence du dispositif.

Derrière ces objectifs affichés, l’enjeu pour le patronat était de se retirer d’une large partie de l’indemnisation du chômage en la transférant à l’Etat, qui devrait assurer à tous les demandeurs d’emploi une indemnité de base, l’assurance-chômage payée par les cotisations sociales ne venant qu’en complément. Soit une indemnisation du chômage à deux vitesses. Quant à l’Etat, l’UNEDIC dégageant des excédents, son objectif est de transférer une partie des cotisations d’assurance-chômage vers le financement des retraites.

Il est à noter que dans la négocia-tion actuelle de 2011, le patronat a d’abord avancé la proposition de créer un troisième étage d’assurance privée.

La convention négociée entre les « partenaires sociaux »4 en décembre 2008 et mise en œuvre début 2009 (en pleine crise économique et sociale), chose inouïe jusqu’ici, n’a reçu l’aval que d’un syndicat de salariés, la CFDT, syndicat le plus droitier. Les quatre autres confédérations l’ont refusé, mais n’ont pas fait jouer leur droit d’opposition. La convention a donc été approuvée. Elle comporte une maigre avancée, l’accès à l’indemnisation dès quatre mois de travail – au lieu de six auparavant - ; mais elle introduit un principe assurantiel nouveau de concordance entre la durée travaillée et la durée d’indemnisation qui réduit considérablement la durée d’indemnisation pour une majorité de chômeurs ; celle-ci passe en effet de 23 mois à 16 pour 16 mois de travail. Enfin, la convention prévoit, en pleine période d’explosion du chômage, la diminution des cotisations des em-ployeurs en cas du moindre excédent du régime.

L’amélioration promise des droits et de l’indemnisation n’a donc pas été retenue, pas plus que la prime pour les moins de 25 ans, et l’indemnisation des chômeurs, de 57 % de l’ancien salaire, reste très inférieure à ce qu’elle est dans d’autres pays européens comme le Danemark, alors même que le « modèle danois » avait été agité pour justifier les bienfaits de la réforme. .

La convention UNEDIC est en ce début 2010 en cours de renégociation entre les partenaires sociaux, dans le plus grand silence médiatique, et en l’absence de mobilisation des chômeurs. Les principales dispositions de la précé-dente convention seront maintenues, sans amélioration notable pour les chômeurs.

La fusion ANPE-UNEDIC

Alors même qu’il est percuté de plein fouet par l’explosion du chômage et des licenciements, le service public de suivi des demandeurs d’emploi (ANPE) se voit brutalement fusionné avec l’UNEDIC, sous statut privé, qui gère les fonds de l’assurance chômage et assure l’indemnisation des chômeurs. Cet organisme est géré par les organisa-tions syndicales de salariés et le patronat, mais du fait de l’alignement de certains syndicats sur les positions patronales, le MEDEF5 y est de fait majoritaire. Cette fusion, opérationnelle dès 2009, bouleverse totalement l’organisation, les objectifs et les missions du service public de l’emploi, en entérinant sa privatisation rampante par une fusion avec un organisme paritaire privé.. En outre, intégrer dans un organisme unique l’indemnisation des chômeurs et leur contrôle, c’est-à-dire les sanctions, revient à placer les demandeurs d’emploi sous le contrôle direct du patronat et à ce que le payeur contrôle le droit à l’indemnisation. Cette fusion va placer les agents du nouveau service, dénommé Pôle Emploi, sous la pression de rentabilité en matière de placement rapide des chô-meurs selon les diktats du patronat. Aucun effort nouveau ne sera fait en matière de formation des chômeurs6, poussés à reprendre un emploi au rabais dans les métiers dits en tension.

D’ores et déjà, des deux côtés du guichet de Pôle emploi, la souffrance et le harcèlement des chômeurs et des salariés s’accroissent terriblement, avec des tentatives de suicide répétées et parfois des suicides. La machine infernale de Pôle Emploi broie usagers et agents, ces derniers multipliant les grèves. Le médiateur de Pôle emploi en vient même à démissionner en dénonçant la gestion inhumaine de l’organisme.

La faiblesse des réactions syndicales et politiques face à ces attaques

Si l’on prend en considération l’ampleur et la gravité des attaques lancées coup sur coup contre les salariés et ceux d’entre eux qui sont en recherche d’emploi – sachant qu’un salarié sur deux passe par la case chômage - , on ne peut que s’étonner de la faiblesse de la mobilisation sociale qui lui a fait écho. Certes un front constitué depuis 2006 d’associations de chômeurs, de précaires, d’intermittents du spectacle, de droits des femmes, d’ACT-UP, de la Confédération Paysanne, du DAL, de diverses autres associations et de l’Union syndicale Solidaires, le Collectif Droits Nouveaux, a tenté d’organiser l’information des salariés et leur mobilisation au fur et à mesure de la négociation de l’assurance-chômage, dans le silence des médias. Mais les syndicats peinent à défendre la cause des chômeurs – le veulent-ils vraiment ? -, et en dehors du NPA et du Parti de Gauche, les partis politiques sont absents au rendez-vous. Quant aux associations de chômeurs, elles connaissent des difficultés sans précédent.

Plusieurs raisons à la faiblesse de la mobilisation. Tout d’abord, ces quatre organisations de chômeurs et de lutte contre le chômage et la précarité – AC !, APEIS, CGT-privés d’emploi et MNCP – , si elles font un travail irrempla-çable, et ce depuis le début des années 90, se heurtent à des difficultés de recrutement et de renouvellement con-sidérables ; il est en effet difficile aujourd’hui pour un salarié se retrouvant entre deux emplois précaires de s’identifier comme « chômeur ».Il s’identifiera plus facilement comme salarié ou précaire en lutte7, et cherchera des appuis du côté des organisations syndicales, qui ont jusqu’ici constitué peu d’instances pour les chômeurs (à l’exception de la CGT, et du soutien apporté par Solidaires à AC !). Quant à la grande masse des chômeurs de longue durée, devenus malgré eux éloignés de l’emploi, la plupart sont cassés psychologiquement, très isolés et ne sont pas en état de se mobiliser. La nouvelle gestion qui leur est imposée par Pôle emploi, basée exclusive-ment sur des relations téléphoniques et par internet et des rendez-vous sporadiques, les empêche de se retrouver devant les guichets.

Ensuite, la succession accélérée d’attaques tout azimut de la part du gouvernement soumet les militants du mou-vement social à une pression continue pour être présents sur tous les fronts à la fois. A peine une attaque est-elle lancée qu’une autre suit, avant même que la résistance à la précédente ne se soit organisée. Or, alors que l’attaque est globale, les syndicats et associations de chômeurs n’y répondent que par une succession de journées de mobilisation ponctuelles et sectorielles, sans lien entre elles.

Enfin, l’absence de grande campagne d’information et de mobilisation de la part des syndicats représentatifs, et le défaut de reprise par les grands médias de ces attaques (ou alors de façon très euphémisée par un journal comme Le Monde) ont contribué à la faiblesse ou au caractère largement minoritaire de la riposte, tandis que le Parti Socialiste restait relativement inaudible sur ces questions.

Or, la défense des droits des chômeurs, et en l’occurrence du libre choix de leur emploi (garanti par la Constitution) ne concerne pas les seuls chômeurs, mais devrait être portée par tous les salariés dans leur intérêt bien compris. En effet, toute pression accrue sur les demandeurs d’emploi pour les contraindre à accepter des emplois à des conditions dégradées ne peut qu’exercer un « dumping social » sur les salaires et conditions de travail de TOUS les salariés.

Or, la prise de conscience des salariés en poste, notamment ceux du secteur public, qui sont davantage syndiqués, reste insuffisante, car le chômage joue comme un épouvantail sur les salariés. Tout l’enjeu est de réunir dans une même lutte salariés en poste et privés d’emploi.

Face à la crise, ce n’est pas le Revenu de Solidarité Active (RSA) mis en place en juin 2009 qui peut répondre à l’explosion de la précarité, car au contraire il a pour effet pervers de l’encourager en favorisant le retour contraint à des miettes d’emploi8 Il semble être un relatif échec, peu de chômeurs et précaires le demandant au vu des con-traintes et contrôles afférents. Le modèle proposé est celui d’une précarité subie et généralisée à terme. Quant à l’allocation exceptionnelle de crise mise en place de juillet à décembre 2010 par le gouvernement pour certains des chômeurs en fin de droits, (prime de 460 euros et de six mois), elle a touché finalement 8000 chômeurs…

Ce qui s’impose, c’est une politique de grande ampleur contre le chômage, les licenciements, et pour créer des emplois. Cela exige la reprise du mouvement de réduction du temps de travail, pour aller vers les 30H afin d’assurer un emploi pour tous, et une politique de relance de l’emploi par des créations de postes, notamment dans les services publics et la reconversion écologique de l’économie. Cela passe par un service efficace et hu-main d’accompagnement des chômeurs et précaires et par l’indemnisation correcte de ceux-ci. Cela nécessite des plans de reprise des industries en crise avec sécurisation des parcours professionnels et vastes plans de forma-tion, et une politique fiscale qui accentue la taxation des richesses et des capitaux, pour aboutir à une autre répartition de cette richesse, au bénéfice des salariés.

Or, pour le moment, les salariés qui se battent contre les plans de licenciements et les chômeurs qui souhaitent une meilleure couverture par l’assurance-chômage mènent leur lutte séparément. De même des sans papiers, des mal logés, des travailleurs précaires, mal défendus et représentés par les syndicats. L’enjeu est de réunir ces luttes et de faire émerger un projet commun de transformation sociale et écologique, de faire aboutir la rupture avec ce système mortifère.

La montée du mouvement des précaires

Dès 2006, le Collectif Droits nouveaux a élaboré une plate-forme unitaire pour une garantie de revenu ou un statut de vie sociale et professionnelle, largement inspirée des propositions de « sécurité sociale professionnelle » de la CGT9 et de Solidaires (et même de la CFTC), mais les poussant plus loin. En effet, cette plate-forme exige des avancées nettes :

- garantie de revenu pour tous, avec ou sans emploi, d’un niveau égal ou proche du SMIC, y compris pour les primo-demandeurs d’emploi, les temps partiels imposés, les stagiaires, les travailleurs indépendants ;

- continuité des droits sociaux pour tous, à la retraite, à une formation qualifiante10, à la santé, à un logement décent, à des titres de séjour.

- Création d’un fonds national interprofessionnel et mutualisé, pour assurer le financement de ce statut de vie sociale et professionnelle, essentiellement financé par les cotisations sociales et basé sur une nouvelle répartition des richesses.

En mai 2009, le Collectif Droits Nouveaux a organisé des Etats Généraux du Chômage et de la Précarité qui ont réuni 200 personnes et débouché sur un Appel à des Marches régionales chômeurs-précaires-salariés en lutte- mal logés- sans papiers, en octobre-novembre 2009. Ces mobilisations ont permis de reconstruire et de renouveler le mouvement des chômeurs en le transformant en un mouvement de chômeurs et précaires, avec la constitution de nouveaux collectifs assez hétérogènes, allant de AC ! à l’Appel et la Pioche du NPA, en passant par les inter-mittents du spectacle et de jeunes précaires autonomes.

En avril et mai 2010, ce nouveau terreau de résistance fait émerger le mot d’ordre de « grève des chômeurs », ou résistance collective contre le harcèlement culpabilisateur et les sanctions de Pôle emploi, avec une multiplication des occupations d’agences dans une vingtaine de villes de France. Ce mouvement porté par de jeunes précaires met en œuvre le refus de l’assignation à l’ « employabilité » à tout prix et revendique une reprise de contrôle sur nos vies, notre temps, nos projets. Il rassemble un lot de revendications comme la suppression du suivi mensuel, des radiations, l’accès aux droits et au revenu, le libre choix de son emploi ou de sa formation.

Bien que non reconnu par les syndicats et associations de chômeurs historiques, qui le perçoivent comme une concurrence –et de fait ce mouvement a des composantes libertaires fortement anti-syndicales - , le nouveau mouvement des précaires qui se construit aujourd’hui représente sans conteste le mode d’organisation et de lutte des jeunes générations pour l’avenir. Il ne se fonde pas sur l’impératif de l’emploi à n’importe quel prix, car ces jeunes précaires qui ont toujours connu la précarité, même avec un niveau d’études élevé, remettent en question plus profondément le système économique actuel, la soumission intrinsèque qui caractérise aujourd’hui l’emploi salarié, et sa marchandisation. Ils sont à la recherche de modes d’activité et de vie plus autonomes.

Comme l’a montré l’énorme manifestation contre la politique d’austérité organisée le 12 mars 2011 à Lisbonne, mouvement spontané lancé par quatre jeunes blogueurs sans parti ni syndicat, nous allons vers des formes nou-velles d’organisation, permettant l’expression des subjectivités des générations grandies dans la précarité, se percevant comme sans avenir, et qui veulent construire un autre monde, et redéfinir le travail.


Notes :

1 Nous nous appuyons sur le remarquable travail de contre-information effectué par le Collectif ACDC (Autre chiffres du chômage) créé par des économistes et statisticiens spécialistes de ces question.

2 DARES Analyses, N° 026, mai 2010.

3 C’est le cas de la moitié des demandeurs d’emploi de la catégorie A (sans activité) en 2009. Cf. DARES Ana-lyses, N° 008, février 2011

4 Soit le patronat et les cinq organisations syndicales considérées comme « représentatives ».

5 Mouvement des Entreprises de France, syndicat patronal.

6 Depuis la mise en place en 2001 du Plan d’Aide au Retour à l’Emploi (PARE), le droit des demandeurs d’emploi d’accéder à des formations longues et qualifiantes a été supprimé, et ils n’ont plus droit qu’à des formations courtes et professionnalisantes, en relation étroite avec les besoins du marché du travail local.

7. Les salariés précaires de la restauration rapide et du commerce ont ainsi multiplié les grèves au début des an-nées 2000. Cf. Evelyne PERRIN, Chômeurs et précaires au cœur de la question sociale, Paris, La Dispute, 2004.

8 Le RSA, qui remplace le RMI et l’API et est au minimum du même montant, mais est complété en cas de retour à l’emploi, oblige les anciens allocataires du Revenu minimum d’insertion (RMI) et de l’Allocation de parent isolé (API) à reprendre une formation ou un emploi, sous peine de radiation. De plus, Il exclut les jeunes de moins de 25 ans, discrimination illégale, laissant ceux-ci sans aucun revenu social.

9 La proposition de « Nouveau Statut du Travail Salarié » portée par la Confédération CGT depuis plusieurs an-nées est très complète et novatrice. La Confédération a toutefois beaucoup de mal à la faire approprier par la base, qui y voit un accommodement avec la flexibilité, comme le montrent les analyses de Bernard FRIOT. Cf. Paul BOUFFARTIGUE, rapport de recherche pour la DARES sur « Syndicalisme et précarité » et ouvrage collectif à paraître.


BIBLIOGRAPHIE

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Sophie BEROUD, Paul BOUFFARTIGUE (dir.), Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, Paris, La Dispute, 2009

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Loïc WACQUANT, Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etat, Paris, La Découverte, 2006


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