Il y a 50 ans mourait Gérard Philippe. Mais, non, Perdican n’est pas mort.

samedi 3 décembre 2011.
 

C’était un matin d’avril en 2002. En passant à Ramatuelle, il avait fallu chercher le cimetière, et la tombe. Une tombe envahie d’herbe folle, et une pierre blanche, où déjà l’inscription ne se devinait qu’à peine. Mais l’émotion était intacte. Et les souvenirs aussi.

Au panthéon des inoubliables fulgurances, il reste quelques figures comme la sienne, ange blanc chez Vilar, éternel amoureux sur les écrans, et puis cette collection qui habitait les Teppaz : Pierre et le Loup, Mozart raconté aux petits, et surtout, surtout, le Petit Prince, qu’on faisait tourner en boucle, tellement qu’il en est devenu complètement inaudible. En classe, ces années-là le prof, un de ceux qui t’ont filé à jamais le virus des mots et des tréteaux, sortait le disque de sa pochette cartonnée et nous écoutions, au bord de la syncope, la voix qui disait :

« Percé jusques au fond du cœur, d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle…

Misérable vengeur… »

On appelait ça les stances de Rodrigue, et nous les connaissions par cœur. Et le charme du récitant n’y était pas pour rien. Certains, qui avaient la chance d’aller au ciné, et j’en étais, savaient qu’en plus d’être Le Cid, il pouvait aussi être un alcoolique magnifique dans la chaleur d’une Amérique latine fièvreuse et moite, un lieutenant cynique, un idiot anthologique, un Faust comme on n’en fera plus. Un acteur, capable de jouer les amants passionnés et aussi Fanfan la Tulipe, bondissant et mutin. Faut-il dire que grâce à lui, j’appris qui était Modogliani ?

Mais le plus beau paraît-il, c’était Avignon, la cour du Palais et les textes sublimés par sa seule présence. Alors, bien sûr, il fut un temps où l’admirer ne fut plus de bon ton. Mieux valait ne pas avouer qu’on aimait cet homme-là, pour ses engagements aussi, ce n’était plus tendance de déclamer Corneille et d’être Perdican.

Un acteur engagé, un vrai, qui voulait que le théâtre soit permis aussi aux travailleurs et à tous ceux que la culture avait laissés sur le bord de la route. Un acteur qui parlait de syndicat, de Cuba, d’URSS. Lui qui était né avec une petite cuiller en argent dans la bouche. Comme on dit maintenant, ça le faisait !

C’était il y a tout juste 50 ans. Un jeune homme mourait. Une légende allait s’écrire. On se demande toujours, et si Marylin n’était pas morte à 36 ans… Eh bien, elle en aurait 83. Et aujourd’hui, Gérard Philipe, il aurait quel âge, dîtes ?

Qu’est-ce que ça peut bien faire, l’âge qu’il aurait. Comme tous les êtres partis trop tôt, il sera à jamais le jeune homme éperdu du Diable au Corps, et pour toujours Fabrice et Julien. On dit qu’il a été enterré dans le pourpoint de Rodrigue. Que vive donc Rodrigue, à jamais, pour les yeux de Chimène !

brigitte blang

À la mort de Gérard Philipe, Aragon fut de ceux qui eurent le mot juste pour saluer le long sommeil de Perdican.

Dans France Nouvelle du 03 Décembre 1959, l’auteur des Cloches de Bâle, d’Aurélien écrivait :

« Les siens l’ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer, pour qu’il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards, et qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde.

Et le passant, tant il fera beau sur sa tombe, dira : non, Perdican n’est pas mort !

Simplement, il avait trop joué, il lui fallait se reposer d’un long sommeil. »

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