Besson Sarkozy La dérive pétainiste

mercredi 28 octobre 2009.
 

Après avoir ouvert la chasse aux migrants, revoilà "l’identité nationale". Plus que jamais, Eric Besson se fait le rabatteur de Nicolas Sarkozy sur les terres électorales de l’extrême droite.

L’initiative du ministre de l’Immigration sur « l’identité nationale » et « la fierté d’être français » relance le débat dans le pays sur les fondements idéologiques du sarkozysme. Décryptage.

République contre « identité nationale », accueil et droit d’asile contre « immigration choisie », codéveloppement contre Europe forteresse, égalité contre discrimination… Et si, finalement, l’offensive de la droite menée au pas de charge par Éric Besson se retournait contre elle, en contribuant à une clarification idéologique salutaire sur les fondamentaux de la République ?

Après le tollé provoqué dans la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par la résurgence de la notion même d’identité nationale, puisée dans les tréfonds de la droite la plus réactionnaire, la création inédite en République d’un ministère en charge de cette question semblait s’être banalisée avec le temps.

Besson, fantassin d’une offensive ultraréactionnaire globale

Tout le monde donnait du « Monsieur le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale » à Éric Besson sans que cela ne choque plus grand monde. Les réactions à son annonce d’un « grand débat » sur « l’identité nationale » et « la fierté d’être français », le 2 novembre prochain, montrent que ce concept n’est pas rentré dans les mœurs. L’immigration vécue comme une menace L’immigration menace-t-elle « l’identité nationale » ? Qu’est-ce, d’ailleurs, que l’« identité nationale » ? Y a-t-il une bonne façon d’être français et une mauvaise, comme le sous-entend le lancement d’une campagne d’« instruction civique » pour les adultes et l’obligation faite aux mineurs de « chanter la Marseillaise » ?

Autant de questions qui refont surface à la suite de l’initiative du ministre. Sans parler du port de la burqa présenté comme « contraire » à « l’identité nationale » par Éric Besson, s’écartant de l’interrogation légitime qu’il soulève sur la condition des femmes. Premier présupposé que la gauche et nombre d’intellectuels s’attachent à démonter : l’association des termes d’« immigration » et d’« identité nationale », comme si la première constituait en soi un « problème » qui menacerait la seconde. « Jamais la France n’a lié sa nature au rapport aux étrangers. Elle a toujours considéré l’apport des autres nationalités comme une chose positive (…) avec une condition simple : l’adhésion à des valeurs communes », commente Vincent Peillon (PS) dans Libération d’hier. Les artifices de Besson évoquant le « vivre ensemble », les « principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité », et son rappel de « l’apport de l’immigration à l’identité nationale » ne font pas illusion : c’est bien une conception restrictive et exclusive de la nation et de son « identité » qu’il promeut, où l’étranger est désigné comme un corps à « intégrer » et à « assimiler », avec la proposition « un contrat d’intégration républicaine pour les étrangers entrant et séjournant sur notre territoire » et celle d’un « entretien d’assimilation » préalable aux naturalisations.

L’historien Patrick Weil, auteur du livre Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution (Éditions Grasset, 2002), s’élève contre cette présentation, conteste vigoureusement qu’il n’y ait « qu’une seule façon d’être français ». Le chercheur du CNRS dénonce une « volonté d’encadrer quelque chose qui a toujours été très divers et très fluide ». Au-delà, c’est la résurgence même du concept d’« identité nationale » qui est récusée, comme l’a fait Gérard Noiriel, président du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) dans son livre Á quoi sert l’identité nationale ? (Éditions Agone, 2007). « Résurgence et non apparition », commentait dans nos colonnes l’historien Alain Ruscio (l’Humanité du 10 novembre 2007). « Ce discours et cette pratique ont des racines, de Barrès à Vichy. Il s’agit donc bien, avec les thématiques actuelles, d’un discours réactionnaire. » Pour Gérard Noiriel, l’identité nationale correspond au syllogisme suivant : « L’identité française, c’est l’identité des Français, et l’identité nationale, c’est l’identité de la nation. Tout ce qui est beau, bon, intelligent et humain est français. CQFD. » L’autre versant du raisonnement « est que tout ce qui n’entre pas dans ce cadre est mis en danger », souligne Alain Ruscio.

Avec pour corollaires les expulsions massives et la mise en place de quotas d’« immigration choisie » sur des critères économiques aux relents néocoloniaux, mais aussi la notion de droit d’asile vidée de son sens, confondue avec l’immigration ordinaire, qui a « pour effet de tirer les critères de l’asile vers ceux, restrictifs, de la police administrative de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière, ce qui est inadmissible » (Anicet Le Pors, auteur de Que sais-je ? Le droit d’asile. Éditions PUF).

Effacer l’héritage républicain

Un traitement sécuritaire de la question migratoire se met ainsi en place, qui participe d’un mouvement plus vaste de la mise au pas de pans entiers de la société englobée dans une nouvelle « classe dangereuse », comme le montre la « criminalisation » du mouvement social. « L’identité nationale ne se joue plus sur des gènes bleu-blanc-rouge. Est étranger aujourd’hui celui qui n’est pas culturellement et économiquement calibré sur le parfaitement intégré. (…) Je parlerais plus de “prolétariophobie” à l’échelle mondiale que de xénophobie », expliquait Jean-Pierre Alaux, du Gisti, dans l’Humanité du 5 avril 2008. Plus fondamentalement, cette campagne lancée par Éric Besson, à l’instigation du chef de l’État, s’inscrit dans une offensive idéologique globale ultraréactionnaire qui vise à effacer l’héritage républicain forgé depuis la Révolution française par les forces progressistes et les luttes populaires.

Un héritage fondé sur une conception ouverte de la nation, fondée sur la citoyenneté, l’égalité, la laïcité, la paix et le codéveloppement, et dans lequel s’inscrivent la résistance contre le nazisme, les acquis sociaux du Conseil national de la résistance (CNR) qui entendaient assurer à tous les moyens d’une existence décente sans conditions de revenus ni d’origine, le combat pour la décolonisation et, plus récemment, la lutte pour la régularisation des sans-papiers et pour la mémoire de l’esclavage.

Illustration de cette régression gravissime, Nicolas Sarkozy ne vient-il pas d’exalter, à Poligny (Jura), « l’identité nationale » au travers du « rapport des Français à la terre » ? Une phrase aux relents inquiétants, de celles de Pétain et son « la terre ne ment pas »…

Avec Sarkozy à sa tête, la droite parachève un remodelage du pays qu’elle pare du nom de République, mais qui s’en éloigne dans les faits et dans l’idéologie, et dont les jalons les plus symboliques sont la loi de février 2005 sur l’aspect « positif » de la colonisation, le discours de Dakar du chef de l’État prétendant que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », les entorses à la laïcité, ou encore la liquidation méthodique des conquêtes sociales de la Libération.

Sébastien Crépel


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