Demandez-nous la Lune !

vendredi 24 juillet 2009.
 

Cette semaine, ça ne vous aura pas échappé, c’est un quarantième alunissant qu’on arrose. On vous a déjà dit tout et le reste sur la chose, l’âge du capitaine, la veille et le lendemain de l’exploit, ce qu’ils ont mangé avant, après et pendant, comment s’appelaient leurs chéries, et ce qu’ils sont devenus ensuite, on a vu et revu les images un peu floues, les petits sauts de puces, le drapeau, les scaphandres comme dans Tintin, passé et repassé les mots historiques, qu’on en a même fait des blagues à deux balles, on a tout dit… Dans nos mémoires, que reste-t-il ? Vous vous souvenez, vous de ce que vous faisiez cette nuit-là ? Ce que cette aventure représentait dans vos maisons, dans vos familles ?

Chez moi, on avait fêté comme pas possible le vol de Gagarine, en avril 61. Il faut dire aussi que chez moi, la famille, c’est plutôt de ce côté-là du rideau qu’elle prenait ses valeurs. Déjà pour Spoutnik, puis pour Laïka, on ne la jouait pas vraiment modeste, alors, un gars dans le cosmos, un Russe, pensez donc… Et puis, il y avait eu la première femme, Valentina, elle s’appelait, qui prouvait au monde que par là-bas, aucun chemin n’était bloqué par des contingences masculin-féminin. Et puis, les années avaient coulé, et ma foi, du côté de Moscou, rien de bien neuf n’arrivait. Alors, on s’était mis bon gré mal gré à regarder ce qui se tramait de l’autre côté de l’Atlantique. Tout en restant persuadés que ce serait un Russe, encore, qui irait la décrocher, la Lune. Mauvaise pioche !

Ce jour de juillet 69, pour tout vous dire, j’étais enceinte, mais alors jusqu’aux yeux ! La preuve, c’est qu’elle est née trois semaines plus tard, la petite. Avec son papa, on était très très jeunes, et lui, il terminait une permission ce dimanche-là. Le train qui allait repartir pour la caserne, aux aurores du lundi, alors, on avait hâte que ces fichus Ricains, ils le posent leur premier pas là-haut, qu’on puisse en profiter ensemble, tant qu’à faire ! Déjà, c’était des Ricains, alors au moins, ils pourraient être à l’heure, non ? Ça n’en finissait pas cette attente. Ça fait quoi, une fille qui attend un bébé en 69, à votre avis ? Ça tricote ! Ça tricote même toute la nuit ! Sans arrêter.

Au bout de la troisième paire de chaussons, ils ont fini par en descendre de leur fusée, et finalement, ce n’était pas beaucoup plus mal que s’ils étaient nés natifs de Léningrad, ces gars-là. On a fait contre mauvaise fortune bon cœur. On a applaudi aussi, comme tout le monde. Le train des bidasses est parti à l’heure, avec le permissionnaire dedans, qui avait vécu son moment historique, et qui pourrait le raconter aux copains de chambrée, vu que la télé à la caserne, ça ne courait pas les champs (… de tir, bien sûr !) en ces temps immémoriaux.

Après ? Rien. Le monde a été partagé en deux : ceux qui s’étaient couchés trop tôt, ras-le-bol d’attendre, et ceux qui, comme nous, avaient tenu bon, et qui racontaient le film aux autres, les veinards. Notre bébé, on lui a raconté cette nuit-là mille fois ! Mais vous savez quoi ? Les tricots, elle n’a jamais pu les mettre. Trop grands, qu’ils étaient ! La tête ailleurs, la maman tricoteuse, probable ! Dans la lune, la petite maman rêveuse ! Ou peut-être, qui sait, une sourde vengeance du sort, parce que décidément, ça aurait eu plus de gueule si ça avait été les Russes…

brigitte blang pg57


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