Loi Travail du dimanche - Motion de rejet préalable

samedi 18 juillet 2009.
 

Mme Martine Billard.

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, nous examinons une nouvelle proposition de loi sur le travail du dimanche puisque l’examen de la précédente, en décembre dernier, avait tourné court entre l’examen en commission et l’inscription à l’ordre de jour de la séance, malgré une réécriture dictée depuis l’Élysée... Nous nous souvenons des propos du président du groupe UMP, venu en séance nous annoncer : « Nous allons profiter de la trêve des confiseurs pour continuer d’y travailler ». Aucun texte n’était finalement réapparu en janvier mais nous en sommes aujourd’hui à la quatrième version de la même proposition de loi.

Nous pouvons nous interroger sur cette obstination qui pousse le Président de la République, le rapporteur, et derrière eux la majorité UMP, à imposer un texte dont ils sont seuls à être convaincus qu’il soit utile. De toute évidence, le Président de la République n’admet pas que ses désirs ne soient pas suivis d’effets.

Nous voyons ici l’application de la sentence présidentielle proclamée dernièrement à Versailles : « La crise nous rend plus libres d’imaginer un monde plus libre. » Entendons par là que nous n’en avons pas fini avec le renard libre dans le poulailler libre.

Au demeurant, une fois de plus, vous détournez l’esprit de la loi en recourant à la procédure de la proposition de loi d’initiative parlementaire plutôt qu’à celle d’un projet de loi du gouvernement, et ce pour vous affranchir de l’obligation de concertation avec les syndicats. La méthode est certes bien rodée, mais n’en reste pas moins une violation flagrante du principe de concertation que vous aviez encouragé et soutenu lors de l’examen de la loi de modernisation sociale en prévoyant une négociation préalable avec les partenaires sociaux. Ne venez pas me dire que vous vous êtes concertés avec eux : discuter et négocier, ce n’est pas la même chose. Si les deux mots sont différents, ce n’est pas un hasard.

Un fil conducteur apparaît dans l’ensemble des versions : l’impunité pour ceux qui sont hors la loi, comme à Plan-de-Campagne, à Éragny ou à Thiais, et le refus d’inscrire dans la loi des contreparties obligatoires en termes de salaire et de repos compensateur, malgré les grands discours sur le « travailler plus pour gagner plus ».

Le texte qui nous est soumis est construit autour d’une tromperie flagrante. En effet, il commence par proclamer à nouveau, dans le code du travail, le principe selon lequel « le repos hebdomadaire est donné le dimanche », enjolivé maintenant par la formule : « dans l’intérêt des salariés ». Or si le principe du repos dominical existe, tout travail le dimanche ne peut donc être qu’une exception et, comme toute exception, devrait donner lieu à contreparties pour les salariés. Mais vous videz ce principe de sa substance en ajoutant, dans le nouvel article L. 3132-25 du code du travail, l’expression « de droit » pour le repos hebdomadaire par roulement.

Cela signifie que dans les communes touristiques ou thermales, ainsi que dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, les salariés n’auront plus le choix : ils ne pourront plus refuser de travailler le dimanche, sous peine de licenciement, et leur entreprise n’aura plus d’obligation de contrepartie salariale ou de repos compensateur. Il y a donc bien tromperie, contradiction entre la préalable affirmation de principe et la réalité précisée ensuite. C’est une grande première parce que, jusqu’ici, le travail du dimanche n’était pas de droit dans le code du travail, y compris dans les communes touristiques.

Vous essayez d’expliquer qu’il y a une différence entre le code du tourisme et le code du travail quant à la définition des communes touristiques. Mais vous n’êtes pas si sûrs de vous puisque la commission des affaires sociales vient d’adopter, ce matin, un amendement tendant à substituer l’expression « commune d’affluence touristique » à celle de « commune touristique ».

Voilà un nouveau concept qui va dans le sens de la simplification et de la clarification de la loi : nous aurons donc dorénavant les communes touristiques au regard du code du tourisme, et les communes d’affluence touristique ! Cela voudrait dire qu’il y a en France des communes touristiques qui n’ont pas d’affluence touristique. C’est une grande nouveauté ! (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Le travail du dimanche est donc banalisé, d’autant que les dérogations ne seront plus accordées au cas par cas par l’autorité administrative, mais seront de droit pour tout commerce de détail inclus dans le zonage.

Mais la notion de communes touristiques ne répondant pas à toutes les situations, vous inventez, après diverses versions, une nouvelle catégorie : les PUCE, dans les zones urbaines de plus d’un million d’habitants. Cela prouve, là aussi, que l’on ne s’inscrit pas dans une logique de simplification. Les nouvelles zones qui avaient été proposées en mai 2008 regroupaient l’Île-de-France et les Bouches-du-Rhône. Il s’agissait de régulariser des zones qui n’étaient pas conformes à la loi. Dans la version de novembre, Lyon et Lille ont été ajoutées. Aujourd’hui, on nous dit que Lyon ne sera pas concernée, mais il reste une ambiguïté dans la mesure où le rapporteur indique qu’il n’y aurait pas, à ce jour, d’usages constatés de consommation exceptionnelle de fin de semaine alors que dans le Vieux-Lyon, déclaré en zone touristique, le repos hebdomadaire par roulement sera dorénavant de droit.

Par ailleurs, dans l’agglomération lyonnaise, il existe plusieurs enseignes de l’ameublement qui peuvent décider d’ouvrir à tout moment le dimanche depuis l’amendement Debré du 20 décembre 2007, et ce sans contrepartie pour les salariés.

Le rapporteur a expliqué en commission - on retrouve son argumentation en page 89 du rapport - que la notion de fin de semaine n’est pas « une définition juridique, mais une définition lexicale qui peut en l’occurrence désigner le samedi et le dimanche, ou le dimanche seul ». Mais comme même ses collègues de l’UMP étaient quelque peu sceptiques sur la notion de définition lexicale, la commission vient de réduire, par un amendement voté ce matin, la fin de semaine au dimanche. C’est un peu mieux ou moins pire, il faut le reconnaître.

À Paris, par un artifice de rédaction qui ne s’applique qu’à cette ville, c’est le préfet, et non le maire, qui décidera soit de classer Paris entièrement en ville touristique, soit de délimiter des zones touristiques précises dans la capitale.

Qu’en est-il du respect du suffrage universel à Paris ? Dorénavant, le conseil de Paris n’aura plus son mot à dire alors que, jusqu’ici, il émettait tout de même un avis avant la décision du préfet de Paris. Celui-ci décidera tout seul si Paris doit être une commune touristique dans sa totalité ou quelles seront les zones touristiques situées dans la capitale.

Compte tenu de « l’indépendance » du préfet de Paris par rapport au Président de la République et des déclarations de ce dernier sur la nécessité d’ouvrir tout Paris au travail du dimanche, on ne peut que s’inquiéter. A Paris, il s’agit clairement de permettre aux grands magasins et aux commerces des grandes avenues d’imposer le travail du dimanche toute l’année à leurs salariés, même si leur activité ne relève ni du domaine culturel ni de l’accueil des touristes. Comme si, le dimanche à Paris, les touristes n’avaient pas assez de possibilités de s’épanouir au cours de promenades ou de visites dans des sites culturels variés et splendides, et comme s’il fallait absolument les envoyer dans les temples de la consommation de biens matériels de peur qu’ils ne sachent pas comment s’occuper et boudent la capitale.

De plus, à l’heure actuelle, sept zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente existent dans Paris, dont trois d’ailleurs dans la circonscription dont je suis l’élue.

Relevant de l’article L. 3132-25, le travail dominical sera dorénavant de droit dans ces zones, donc sans contrepartie. Au regard du nouvel article L. 3132-25-2 des périmètres d’usage de consommation exceptionnel pourront donc être délimités par le préfet de région à Paris. Dans ces nouveaux périmètres, des contreparties pour travail du dimanche seront dues aux salariés.

À moins que M. le ministre ne nous précise la manière dont le Président de la République envisage les choses pour Paris, nous allons nous retrouver avec deux types de situation : des périmètres où des contreparties seront accordées pour le travail du dimanche, et des périmètres relevant de la loi précédente où il n’y en aura pas.

Concrètement, lorsque les commerces du quartier des Halles seront ouverts le dimanche, dans le cadre du nouveau dispositif de PUCE, les salariés recevront des contreparties obligatoires. En revanche, dans les sept zones délimitées précédemment - relevant de l’article L. 3132-25 -, il n’y aura pas de contreparties. Ainsi, dans la circonscription dont je suis l’élue, certains salariés auront droit à des contreparties, d’autres non. On peut donc douter de la pérennité des contreparties en salaire et en repos pour le travail du dimanche quand il y aura concurrence entre les deux types de dispositif.

La majorité veut nous faire croire qu’elle aurait finalement trouvé un texte de consensus après la cacophonie de décembre dernier, et qu’elle agirait au nom de la modernité à laquelle tout le monde serait sommé de s’adapter alors que ce n’est qu’un bégaiement de l’histoire du XIXe siècle.

À ce titre, l’avis de la commission des affaires économiques est un florilège d’arguments fumeux, partant du constat de l’étalement urbain et de la perte de temps lors des trajets professionnels avant de conclure sur une statistique qui laisse coi : selon une étude du CREDOC de novembre 2008, 36 % des Français déclarent manquer de temps pour faire ce qu’ils ont à faire.

En quoi cela justifie-t-il la remise en cause du principe du repos dominical sur lequel repose l’ordre public social ? Si la question est un problème de temps libre, ce n’est certainement pas en mettant de plus en plus de personnes au travail le dimanche que vous dégagerez du temps. La meilleure solution est de rétablir les 35 heures !

S’il s’agit d’un problème de pouvoir d’achat, augmentez les salaires, à commencer par le SMIC qui n’a pas connu de coup de pouce depuis trois ans. En outre, tous nos concitoyens n’ont pas besoin de consommer plus : certains consomment déjà beaucoup trop pour ce que peut supporter notre planète !

Dans l’opinion, les oppositions au travail du dimanche dépassent les positionnements gauche-droite. Saisi par le Premier ministre Dominique de Villepin en 2007, le Conseil économique et social avait rendu un avis négatif sur l’ouverture dominicale. Il s’était dit opposé à toute généralisation et avait adopté une posture de prudence extrême sur un sujet dont il expliquait qu’il est d’abord celui d’un choix de société.

La majorité des Français refusent de travailler le dimanche, alors que vous prétendez de manière récurrente qu’ils souhaitent une ouverture des magasins ce jour-là. L’enquête du CREDOC de l’automne 2008 n’est pas aussi simpliste et affirmative que vos propos. Vous n’en avez retenu que ce qui vous arrangeait pour travestir la réalité. Tant que l’élargissement du travail du dimanche n’était qu’une vague perspective, les réponses de nos concitoyens étaient en partie contradictoires. Tout en souhaitant à une très courte majorité l’ouverture le dimanche - 52 % selon le CREDOC en septembre 2008 -, ils étaient dans le même temps opposés massivement au fait de devoir eux-mêmes travailler le dimanche - 61 % selon la même enquête.

Selon une enquête de l’institut IPSOS, publiée en décembre dernier, une écrasante majorité de nos concitoyens - 84 % - est attachée au repos du dimanche, notamment les salariés du secteur privé qui, évidemment, sont les premiers concernés. Les deux tiers estiment qu’ils n’auront pas la possibilité de refuser si l’employeur leur demande de travailler. Vous leur avez déjà fait le coup avec les heures supplémentaires qui devaient être des « heures choisies » ; ils ne vous croient plus !

Si les Français sont contre ces mesures, c’est aussi le cas des syndicats. Ainsi, la CGT, la CGC, l’UNSA, la CFDT, la CFTC, FO et les Solidaires sont contre toute déréglementation du travail dominical, en raison des répercussions négatives qu’elle aurait sur l’économie et la société françaises.

L’opposition à ce texte vient également des syndicats patronaux. Ainsi, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises dénonce cette proposition de loi. Elle analyse l’ouverture du dimanche comme un facteur de destruction d’emplois. C’est également le cas de la Confédération des commerçants de France, du Club des managers de centre-ville, de la Fédération nationale des centres-villes et de la Fédération française des associations de commerçants. Ils renouvellent leur opposition à cette dernière mouture de la proposition de loi Mallié.

Depuis sept ans que vous êtes au pouvoir, vous n’avez eu de cesse de réduire les droits sociaux - particulièrement ceux des salariés - et de démanteler le code du travail. Cette politique n’a fait que s’aggraver depuis deux ans. Ce n’est plus de la régression sociale, mais une véritable dépression sociale que vous imposez au pays, et qui touche en premier lieu nos concitoyens les plus modestes. Après avoir déplafonné les heures supplémentaires, mis fin aux 35 heures, aux RTT de même qu’aux repos compensateurs, c’est la possibilité du travail jusqu’à soixante-dix ans que vous avez introduite.

Cette liste n’est hélas pas exhaustive. Mais les mauvais coups que vous avez portés n’étaient sans doute pas suffisants pour satisfaire vos a priori idéologiques. Votre plan anti-crise en est une preuve supplémentaire. Il n’apporte aucune réponse à nos compatriotes frappés de plein fouet par les licenciements ou le chômage partiel. Pour eux, vous avez comme seule proposition : ouvrir le dimanche les magasins des chaînes de la grande distribution spécialisée.

Vous affirmez que cette mesure devrait créer des emplois et augmenter le pouvoir d’achat. Ce n’est pas l’analyse des organismes, dont le CREDOC, qui ont étudié les effets positifs comme négatifs de l’ouverture du dimanche.

En réalité, votre objectif n’est pas de stabiliser et encore moins de réduire le chômage ni d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, mais seulement de régulariser les violations répétées de la loi, enfin sanctionnées par les tribunaux, notamment dans le Val-d’Oise (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC), dont se sont rendues coupables certaines enseignes qui ne supportent plus de devoir attendre et, qui sait, de devoir payer les amendes qui leur ont été infligées.

C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a urgence : cette loi doit passer avant la date limite de paiement des amendes, fixée à ces enseignes.

Par la même occasion, vous permettez une extension-banalisation du travail du dimanche.

Au passage, il est profondément choquant que des ministres aient fait l’éloge de ces chaînes commerciales qui développent leur activité en toute illégalité. II est encore plus choquant de rendre légal ce qui est illégal au lieu de sanctionner les tricheurs (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Quand il s’agit des salariés ou des chômeurs, vous n’hésitez pas à renforcer les sanctions. C’est une fois de plus la loi du « deux poids, deux mesures ».

Il faut dire que votre méthode est désormais bien huilée. Une première loi propose une expérimentation ou un champ limité d’application. Puis, dans un second temps, avant même que les effets produits par les premières dispositions ne soient quantifiables, vous généralisez ce qui n’était au départ qu’une expérimentation. C’est ainsi que vous démantelez chaque jour un peu plus le droit du travail dont le droit au repos dominical est un symbole devenu pour vous inacceptable, comme l’est le droit aux arrêts maladies et aux arrêts maternité pour le porte-parole de l’UMP (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Votre loi constitue donc une prime aux tricheurs, à ceux qui ne respectent pas la loi, aux délinquants en cravate. Vous cherchez sans cesse à criminaliser les chômeurs, les bénéficiaires des minima sociaux ou de la sécurité sociale, les salariés, les syndicalistes. En revanche, à chaque fois que se présente l’occasion de dépénaliser les conduites frauduleuses des entreprises et de leurs dirigeants, vous n’hésitez pas. L’utilisation des expressions « usages constatés » et « habitudes de consommation de fin de semaine » ne fait que renforcer le caractère d’amnistie générale pour les patrons fraudeurs. C’est choquant et inacceptable.

Cette proposition est aussi une aberration économique. Vous annoncez que l’ouverture du dimanche permettrait une augmentation du chiffre d’affaires de 30 %. D’où vient ce chiffre extraordinaire ? Par quel miracle le pouvoir d’achat des ménages ferait-il un bond aussi soudain ? Vous faites comme si le pouvoir d’achat des Français était extensible à l’infini. À pouvoir d’achat constant, les Français seraient en mesure de dépenser plus et auraient donc besoin d’effectuer leurs achats le dimanche ? Donnez-nous votre recette !

Si les entreprises qui ne respectent pas la loi présentent des chiffres d’affaires flatteurs, cela tient au fait qu’étant les seules à ouvrir, elles se retrouvent sans véritable concurrence. Si l’ouverture du dimanche devait se généraliser, le chiffre d’affaires comme les marges de ces entreprises se réduiraient mécaniquement.

Vous prétendez aussi que le travail du dimanche créerait des emplois. Les études à notre disposition contredisent cet argument.

Tout comme la croissance, l’emploi ne sera pas au rendez-vous. L’effet majeur sera avant tout de déplacer l’activité de la semaine vers le dimanche, et donc des centres villes vers les zones commerciales des chaînes de magasins ou, dans les grandes agglomérations comme Paris, Lille ou Marseille, de mettre en danger le commerce des communes périphériques au profit des centres villes. Le comble pourrait d’ailleurs être qu’à terme, les enseignes de Plan-de-Campagne préfèrent revenir à Marseille pour échapper aux contreparties salariales, si Marseille devait être classée commune touristique. L’enquête du CREDOC, pourtant commandée par Bercy, est très claire sur le sujet.

De plus, si l’on tient compte des effets sur le commerce de proximité, cette proposition de loi est même alarmante pour l’emploi. En effet, son adoption signerait l’acte de décès des artisans et des commerçants des centres-villes. Ils sont bien souvent l’âme des quartiers, grâce à l’animation qu’ils permettent. À chiffre d’affaires égal, ils emploient trois fois plus de personnel que les grandes enseignes. Cette destruction d’emploi que certains estiment à plus de 30 000 emplois ne sera pas compensée. D’ailleurs vos statistiques n’indiquent jamais le nombre exact de salariés travaillant le dimanche dans le commerce non alimentaire, le seul qui serait significatif sur le sujet.

Enfin, l’ouverture du dimanche, c’est la certitude d’une augmentation des prix. Pour de multiples raisons, le coût d’une ouverture dominicale est estimé trois fois plus élevé que celui d’une ouverture en semaine : les charges de fournisseurs sont plus élevées, tout comme les frais de communication.

Ainsi, dans un article paru le 18 novembre dans le journal Le Monde, Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, expliquait : « L’impact théorique de l’ouverture dominicale est ainsi ambigu (...) Ceux qui travaillent le dimanche perdent des heures en semaine ; au total, l’impact sur leur salaire est très faible. » S’il n’y a pas de contrepartie, il est encore plus faible, bien évidemment ! « C’est probablement ce qui amène l’UMP à préconiser un paiement double de la rémunération de base le dimanche », suppute Philippe Azkenazy. Mais cette préconisation est tout de suite bafouée par la réalité de ce texte. « Or déjà, sans un tel doublement, les études nord-américaines sont unanimes : l’ouverture dominicale se traduit par une augmentation des prix de l’ordre de 4 % », indique Philippe Azkenazy.

Qu’en sera-t-il en France en cas de doublement de la rémunération ? Nous ne disposons d’aucune étude d’impact, d’aucune donnée officielle sur la question. La hausse sera-t-elle de 5 %, de 6 %, de 7 % ? Aussi Philippe Askenazy invite-t-il à « poser aux Français une question complète : souhaitez-vous une ouverture dominicale des commerces quitte à subir une hausse des prix ? »

Je crains que vous ne connaissiez pas d’avance la réponse, ce qui vous a incités à ne pas poser la question.

Venons-en à la supposée liberté de ceux qui veulent travailler le dimanche. Franchement, je trouve cette affirmation quelque peu cynique. Les arguments que vous avancez traduisent votre méconnaissance profonde de la condition salariale (Protestations sur les bancs du groupe UMP) que vivent au quotidien les salariés du privé. Le lien de subordination, que vous niez régulièrement, non seulement existe dans la loi, mais il est bien concret.

Qui embauche ? Qui impose ou accorde des heures supplémentaires ? Qui autorise les dates de congés ? Qui licencie ?

La liste des éléments de subordination s’arrête d’autant moins là que vous n’avez cessé de réduire les droits des salariés au bénéfice de leurs employeurs. Dans Le Parisien du vendredi 3 juillet, un article rappelle les conditions dans lesquelles les salariés du fabricant d’ampoules électriques OSRAM se sont vus contraints d’accepter des baisses de salaires. Ils ont été obligés d’accepter sous la menace d’être licenciés. Et vous osez essayer de nous faire croire que des salariés pourront refuser de travailler le dimanche !

La liberté de travailler le dimanche est du même ordre que celle d’accepter une baisse de salaire, de travailler à temps partiel, de se retrouver avec des horaires décalés, de choisir ses dates de vacances ou d’utiliser ses droits à RTT. Dans les enseignes à succursales multiples, une grande partie du personnel - souvent féminin - est non seulement au SMIC, mais aussi à temps partiel. Les salaires sont donc souvent de l’ordre de 750 euros mensuels quand le seuil de pauvreté est à 880 euros. Ce sont souvent des mères de famille qui n’auront pas le choix.

Alors oui, c’est la loi du plus fort qui s’impose : celle de l’employeur qui a la liberté de mettre fin au contrat de travail. En la matière, il n’y a pas de volontariat qui tienne, mais la perspective de se retrouver au chômage qui contraint.

Si vous souhaitez augmenter le pouvoir d’achat, ce n’est certainement pas en ouvrant les magasins le dimanche ou en généralisant les heures supplémentaires que vous y parviendrez, mais c’est en revalorisant les petits salaires de manière significative et en portant le SMIC à 1 500 euros nets (« Très bien ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Votre proposition conduit également à une désorganisation de la vie sociale. Vous n’avez à aucun moment pris en compte cet élément dans le texte que vous présentez. Les professions touchées seraient beaucoup plus nombreuses que les seules professions commerciales. Avez-vous par ailleurs quantifié les besoins - en gardes d’enfant, en crèches ou en transports publics - ainsi créés ?

Pour cette seule raison, le texte doit être réexaminé après qu’une étude d’impact sérieuse aura été fournie à l’ensemble des parlementaires, comme la réforme de la Constitution l’a d’ailleurs prévu pour les projets de loi. Il est vrai qu’en choisissant la forme de la proposition de loi, vous éludez cette obligation.

À terme, c’est pourtant l’organisation de toute la société qui sera touchée, mais aussi les choix de vie. Faut-il consacrer son temps libre à la seule consommation pour faire tourner le système ? Tourner le dos aux activités sportives ou culturelles ? Comme j’ai déjà eu l’occasion de le demander à M. le ministre - qui s’est bien gardé de me répondre -, que deviendront les dizaines de milliers de rencontres sportives du dimanche si l’on fait disparaître le repos dominical et le bénévolat qu’il permet ?

La remarque vaut aussi pour les activités culturelles, les concerts amateurs qui, ce jour-là, se tiennent par milliers, ou même les sorties entre amis, les visites aux grands-parents, les anniversaires en famille. Que deviendra la vie familiale quand l’un travaillera le dimanche et l’autre pas, et que chacun aura des jours de repos différents ?

Le travail du dimanche fait donc peser une réelle menace sur la vie familiale, mais aussi sportive, culturelle et associative.

La civilisation que vous nous proposez se limite à la consommation pour la consommation ; le consommateur y prévaut sur le citoyen. Chacun s’accorde pourtant à dire que la société a besoin de retisser les liens sociaux, qu’il existe un mouvement général en faveur d’une amélioration des conditions de vie ; or vous nous proposez d’aller en sens contraire.

C’est d’autant plus absurde que vous tournez ainsi le dos aux objectifs du Grenelle de l’environnement, le présent texte étant également une aberration pour la planète : le fait d’ouvrir des grandes surfaces et des galeries marchandes une journée supplémentaire a un impact environnemental et énergétique indiscutable, qu’il s’agisse de l’éclairage artificiel, du chauffage ou de la climatisation, ou encore des déplacements émetteurs de gaz à effet de serre. Cette surconsommation énergétique inutile, supérieure aux économies réalisées grâce au changement d’horaire entre hiver et été, est, je le répète, en totale contradiction avec le Grenelle de l’environnement. Il est vrai que nous nous habituons à l’idée que ce dernier, après avoir fait beaucoup de bruit, accouche de bien peu d’avancées.

Vous tournez aussi le dos à un développement du territoire inscrit dans le cadre du Grenelle. Le schéma du commerce en grande surface des années soixante-dix est un non-sens écologique, et il est complètement dépassé. C’est en grande partie le développement anarchique de ce type de commerces à la porte de nos villes qui a conduit au « tout voiture », au détriment des transports collectifs. Leur concentration toujours plus importante pousse à la désertification croissante des territoires ruraux mais aussi de certaines zones urbaines de banlieues. Elle défigure les entrées de nos villes par des zones toutes identiques, toutes aussi laides et sales, et s’oppose à un développement équilibré du territoire.

C’est d’autant plus vrai que vous ne donnez pas aux collectivités locales le droit de décider, in fine, de l’opportunité des dérogations. La réalité est que, à tout moment, l’autorité administrative, c’est-à-dire le préfet, aura le dernier mot. Or, qui est mieux à même que les élus locaux d’apprécier et d’ajuster les besoins des salariés et des consommateurs, bref, des citoyens, sur un territoire donné ?

En dehors des actionnaires des chaînes de magasins spécialisés dans l’ameublement, le jardinage ou les articles de sport, les partisans du travail le dimanche ne sont décidément pas nombreux.

Après avoir proposé de s’abstenir de prendre ses RTT, de faire des heures supplémentaires et de reporter l’âge de la retraite à soixante-dix ans, votre nouvelle trouvaille est d’imposer le travail le dimanche aux salariés modestes. C’est bien peu face à la crise et au regard de l’échec des précédentes dispositions, et ce n’est pas rassurant.

Ce texte de casse sociale est détestable en son principe, tant il sape les fondements de notre ordre public social en tentant insidieusement de ne reconnaître comme relations humaines dignes de ce nom que les échanges marchands et les réflexes conditionnés de la consommation. Loin de simplifier les choses, elle les complexifie, introduit des distorsions de concurrence et de nouvelles possibilités de contournement de la loi, et prépare de futurs contentieux.

Au nom de la majorité de nos concitoyens qui refusent cette banalisation du travail le dimanche, je vous le répète : nos dimanches ne sont ni à vendre ni à acheter ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

En réalité, tout est fait pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. Votre slogan n’est plus « travailler plus pour gagner plus », car il faut désormais travailler pour un salaire de misère. C’est le modèle américain que vous voulez nous imposer, avec les dégâts qui s’ensuivront - on voit en effet où ce modèle a conduit !

Cette proposition de loi est donc une aberration économique, sociale et environnementale et, au nom des députés, Verts, communistes, du parti de Gauche et des DOM-TOM, du groupe GDR, je vous demande de voter son rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)


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