Finlande 30 avril 1918 Ouvriers et métayers massacrés par les Gardes blancs et soldats allemands (Tampere, Helsinki, Vyborg)

mercredi 24 mai 2023.
 

A) La révolution finlandaise de 1917 (Jacques Serieys)

1) La Finlande de 1809 à 1917 : un grand-duché intégré à la Russie

De 1249 au début du 18ème siècle, les Finlandais sont assujettis par une aristocratie d’origine suédoise, parlant suédois (langue scandinave, indo-européenne) alors que le peuple (surtout des paysans) continue à parler le finnois (langue non indo-européenne appartenant à la famille ouralienne).

En 1809, la Finlande devient un grand-duché autonome au sein de l’empire tsariste russe. Pour conserver sa domination sociale, économique et culturelle, l’aristocratie et la bourgeoisie suédoise (de Finlande) prennent la tête d’un mouvement national finlandais revendiquant l’adoption du finnois comme langue officielle.

En 1905, le pouvoir absolutiste de Nicolas II se voit déstabilisé par des mouvements sociaux qui s’étalent de janvier à novembre avec une apogée lors de la grève des cheminots puis grève générale en octobre.

La lutte est particulièrement forte en Finlande où le Tsar accepte l’élection d’un Parlement au suffrage universel y compris par les femmes. Le grand duché de Finlande bénéficie dès lors d’une semi-indépendance avec sa propre constitution.

En fait, les élites russes et finlandaises comptent amuser le peuple par les élections mais sans rien changer de leur pouvoir économique et politique (l’exécutif reste en place). En 1907, les socialistes emportent les élections législatives ; cela ne fait qu’accentuer la terreur policière exercée contre toute force mettant en danger la puissance des grands propriétaires terriens et du patronat industriel.

Peu à peu, Nicolas II cède des revendications symboliques, en particulier nationales. En 1912, la Finlande participe sous ses propres couleurs aux Jeux Olympiques.

La répression tsariste du mouvement ouvrier et socialiste laisse la place à des divergences au sein de la classe privilégiées suédoise de Finlande entre :

- d’une part la bourgeoisie libérale attachée au type de système politique et social de la France et de la Grande Bretagne. Ces "moineaux" sont dirigés par Kaarlo Juho Stählberg.

- d’autre part l’aristocratie et la bourgeoisie plus conservatrices, tournées vers l’Allemagne dont le dirigeant se nomme Pehr Evind Svinhufvud af Qvalstad.

2) Vers une crise institutionnelle, sociale et révolutionnaire

L’année 1916 voit à nouveau le Parti social-démocrate obtenir une majorité absolue lors des élections législatives. C’est donc son dirigeant Oscar Tokoi qui négocie l’indépendance avec Kerenski, chef du gouvernement russe à majorité "socialiste" du printemps et de l’été 1917.

Les candidats du Parti social-démocrate finlandais ont bénéficié de la montée du mouvement de masse et ont surfé sur ses aspirations et ses revendications. Une fois élus, ils valident un objectif central de leur campagne législative : la journée de travail de 8 heures par jour. Ils ne veulent pas aller plus loin, ne se pressent pas pour en surveiller l’application, ne veulent en aucune manière changer l’ordre social existant, très inégalitaire en Finlande.

La déception populaire pousse alors à une radicalisation extra-parlementaire.

De plus, les négociations sur l’indépendance avec Kerenski n’ayant pas abouti, la droite retrouve une majorité au Parlement (Eduskunta). Sous la direction de PE Svinhufvud, dès son retour au pouvoir, sans se soucier de négociations, la droite proclame unilatéralement l’indépendance de la Finlande (6 décembre 1917).

Cette droite liée à la caste riche du pays, à l’Empire allemand et ses junkers, méprise les milieux populaires. Sa première décision d’importance est de recruter et organiser une armée de Gardes blancs (gardes de sécurité et civiques) pour préparer la guerre civile avec pour chef un boucher sanglant, le général Carl Gustaf Emil Mannerheim, qui ne parle même pas le finnois mais sait recruter les paysans aisés et diriger ses troupes pour balayer les militaires russes présents en Finlande.

3) Deux forces sociales se font face : les privilégiés (dont patronat, nobles, grands propriétaires terriens) d’un côté, le peuple de l’autre (principalement ouvriers et métayers)

L’effondrement institutionnel de la Russie tsariste entraîne en Finlande à partir de mars 1917 une évaporation du rôle habituel des forces de police.

Les milieux populaires d’un côté (dans leurs usines, quartiers, communes rurales), les riches de l’autre, créent leurs propres forces de sécurité, menant à l’émergence de deux corps militaires distincts et indépendants :

* d’un côté les Gardes Blancs (environ 40000).

* de l’autre, les Gardes Rouges recrutés par le parti social-démocrate (environ 30000).

Les milieux privilégiés constatent qu’ils ne pourront faire payer la crise (arrêt des commandes de guerre...) au peuple sans le casser militairement.

A ce moment-là, il est évident que la droite finlandaise au pouvoir prépare un coup de force contre le peuple mobilisé. Les provocations et répressions menées par les Gardes blancs laissent augurer d’un avenir bien sombre si les milieux populaires ne s’organisent pas pour se défendre.

4) Poussée ouvrière et populaire révolutionnaire. Que faire face au risque d’intervention massive des gardes blancs et de l’armée contre le mouvement populaire ?

Dans la deuxième moitié 1917, le milieu ouvrier finlandais connaît :

* une situation sociale très difficile ( licenciements, chômage, difficultés de ravitaillement, rapacité des propriétaires aux dépens des métayers pour compenser leurs pertes financières dans l’industrie...)

* une poussée révolutionnaire aussi forte qu’en Russie avec la mise en place de conseils ouvriers et de gardes rouges. En novembre, le Comité central révolutionnaire lance une grève particulièrement suivie, soutenue par les nombreux chômeurs, fermiers et paysans pauvres mais celle-ci n’aboutit pas politiquement car la direction du Parti socialiste ne veut pas sortir d’une "légalité parlementaire".

Que faire ? Assumer un affrontement social ?

Les bolcheviks au pouvoir à Petrograd, tout proche, pensent que la social-démocratie finlandaise doit se préparer et préparer le peuple à un affrontement : ou répression sanglante ou révolution. Cependant, d’une part ils ont leurs propres problèmes face aux Blancs et face aux armées impériales, d’autre part ils respectent totalement l’autonomie de réflexion et de décision de la gauche finlandaise.

Les dirigeants du mouvement ouvrier finlandais ne sont pas prêts à se battre et ne souhaitent pas prendre de responsabilité dans l’affrontement social prévisible. L’un deux, Kuusinen, qui va devenir l’un des grands chefs du Komintern (3ème Internationale), résume ainsi, après coup, leur état d’esprit :

« Ne désirant pas risquer nos conquêtes démocratiques, et espérant d’ailleurs franchir, grâce à d’habiles manoeuvres parlementaires, ce tournant de l’Histoire, nous décidâmes d’éluder la révolution ... Nous ne croyions pas à la révolution ; nous ne fondions sur elle aucune espérance, nous n’y aspirions pas. »

Que faire ? Une grève générale ?

Face aux licenciements, aux baisses de salaire, aux besoins de ravitaillement, le milieu ouvrier et populaire a besoin d’agir. La Centrale Syndicale Finlandaise fournit une réponse réformiste inutile typique, sur le terrain seulement "social" : Grève générale de 5 jours.

Dans le contexte finlandais du moment, cela ne fait qu’épuiser le mouvement social et radicaliser l’ensemble du patronat aux côtés de la droite en faveur d’une solution militaire expéditive.

Le 12 janvier 1918, les Gardes blancs (gardes de sécurité) reçoivent de la majorité parlementaire de droite le statut de force de l’ordre étatique.

5) Commence la torpparikapina (rébellion des métayers) dite aussi luokkasota (guerre des classes)

Désignée par les historiens finlandais sous des noms qui rendent compte de la réalité mais aussi de leur position personnelle, cette guerre civile va montrer, la première, le prix du sang que les bourgeoisies nationales et internationales sont prêtes à payer pour conserver leur pouvoir.

Jouissant de leur nouveau statut comme force de police, les Gardes blancs prennent l’initiative les premiers et mettent les gardes rouges devant l’alternative : être écrasés ou se défendre. Le premier choc éclate à Vyborg. Bientôt, l’affrontement atteint Helsinki où l’engagement populaire permet aux gardes rouges de l’emporter et de maîtriser cette grande ville.

Cependant, la social-démocratie attend toujours. Elle laisse les Gardes blancs désarmer les troupes russes stationnées dans le nord du pays.

Un gouvernement blanc naît rapidement à Vasa de ce rapport de force dans le Nord. De fortes troupes de "volontaires" suédois vient lui prêter main forte.

Les insurgés autour d’Helsinki créent un Conseil des commissaires du peuple sous la direction de Kullervo Manner comprenant des sociaux-démocrates de gauche.

Les bolcheviks abandonnent leurs possibilités d’intervention en Finlande.

Conformément à son programme de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et conformément au souhait des socialistes du pays, le pouvoir bolchévique a reconnu l’indépendance de la Finlande le 4 janvier 1918.

Le 3 mars 1918, la jeune république russe envahie par les armées allemandes, accepte un traité de paix qui l’affaiblit territorialement, financièrement, militairement et ne lui permet pas d’intervention en Finlande, contrairement à ce que fait immédiatement l’Allemagne aux côtes des Blancs.

6) L’armée blanche finlandaise

Elle comprend :

- environ 1200 "volontaires" suédois dont un nombre important de cadres. Quatre-vingt-quatre de ces officiers volontaires ont joué un rôle important dès le début de la guerre civile.

- les jäger, volontaires finlandais combattant au sein des armées allemandes contre l’armée russe dans la Baltique sont présents au sein des Gardes blancs dès le début de la guerre civile (27 janvier 1918). Encadrés par des officiers issus de milieux aisés, les soldats proviennent de milieux plus populaires (30% d’ouvriers, 14% d paysans, 20% d’illétrés...) généralement natifs des provinces agraires les plus dominées par l’aristocratie (41 % en provenance d’Ostrobotnie, à 15 % d’Uusimaa et pour 12 % de Carélie). Cette troupe d’élite fournit des unités de choc, bien armées, bien dirigées, habituées aux combats ; elle apporte aussi à l’armée blanche de nombreux officiers et instructeurs pour les nouvelles unités.

- 2000 soldats finlandais ayant combattu dans l’armée russe durant la Première guerre mondiale (de 1914 au début 1918, la Finlande fait partie de l’empire du tsar) et ayant été fait prisonniers par l’armée allemande qui les libère en les intègrant immédiatement parmi les Blancs.

- les forces armées réactionnaires mises sur pied par la droite au pouvoir ainsi que par l’aristocratie et le patronat. Le baron Carl Gustav Emil Mannerheim, ancien officier de l’armée russe assume la direction des armées blanches.

- La droite majoritairement monarchiste et germanophile (elle va proposer la couronne finlandaise au kronprinz, fils du Kaiser, puis à Frédéric de Hesse) fait appel à l’armée allemande pour exterminer les Gardes rouges. Nous sommes en pleine première guerre mondiale et la révolution russe a libéré des unités allemandes.

En face, les Gardes rouges disposent d’un effectif extrêmement courageux mais fluctuant (entre 20000 et 90000 hommes), plus proches de milices d’autoorganisation locale que d’une armée nationale.

Notons aussi la meilleure direction politique des Blancs par rapport aux Rouges. Alors que la Russie bolchévique avait reconnu l’indépendance de la Finlande avant le début de la guerre civile et alors qu’elle n’intervient pas militairement, les armées blanches vont se présenter sans cesse comme une force de libération nationale finlandaise contre les Russes représentés

7) La terreur blanche : 100000 morts, 20% des travailleurs finlandais massacrés

12500 soldats allemands (en particulier la 12ème division de la Baltique) débarquent sur la côte finlandaise. Ils sont dirigés par un fasciste avant l’heure, le général comte Rüdiger von der Goltz qui a déjà exercé ses talents dans les pays baltes.

Gardes blancs et troupes allemandes marchent d’abord vers le centre industriel de Tampere. Les Gardes rouges et le milieu populaire de la ville se battent farouchement, défendant rue par rue, maison par maison. Cependant, face à des troupes de l’armée régulière allemande et à des gardes blancs, bien mieux armés, la ville est prise et connaît la première vague d’extermination. Sur 11000 gardes rouges, la moitié est fusillée immédiatement, le reste va être dirigé vers les camps de concentration où les conditions de vie préfigurent les camps nazis des années 1930 qui joueront un rôle décisif dans le génocide de la gauche allemande. Aussitôt après, l’armée de Von der Golz et les spadassins de Mannerheim marchent sur la capitale Helsinki qu’ils prennent le 13 avril.

Enfin, Vyborg tombe le 30 avril 1918.

L’ordre règne en Finlande. Les pelotons d’exécution continuent leur oeuvre contre les militants ouvriers et sociaux-démocrates. 80000 anciens gardes rouges sont enfermés dans les premiers camps de concentration installés en Europe ; 12000 y décèdent rapidement de famine et de maladie (typhus). Quiconque est soupçonné d’être russe (en particulier les soldats, indépendamment de leurs opinions) se voit massacré.

Constitués à la mi-mai 1918, des tribunaux d’exception jugent à la va-vite 67788 Rouges ; 90% sont condamnés à l’internement ; 555 à la mort.

Les dirigeants de la social-démocratie finlandaise vont-ils enfin agir ? Oui, 21 dirigeants lancent un appel, diffusé par l’armée allemande, demandant aux derniers groupes de gardes rouges qui continuent à se battre (en particulier des métayers en zone rurale) de cesser le combat et de se rendre.

Les Finlandais donnent plusieurs noms à ce conflit :

* kansalaissota ou sisällissota (guerre civile),

* luokkasota (guerre des classes),

* punakapina (rébellion rouge),

* torpparikapina (la rébellion des métayers),

* vallankumous (révolution),

* veljessota (la guerre entre les frères).

* vapaussota (guerre de la liberté),

D’avril à mai 1918, des dizaines de milliers de travailleurs, de métayers et parfois leurs familles ont été passés par les armes. Leur auto-organisation par usine, par quartier, par zone rurale, parfois par ville, même concernant une grande majorité des ouvriers et de la population, s’est vue balayée par des troupes bien mieux armées, dirigées nationalement par des chefs expérimentés et déterminés.

7) Les premiers camps de concentration en Europe datent de la Terreur blanche en Finlande

Article de Wikipedia

" En janvier 1918, après trois mois de combat, la révolution en Finlande est finalement écrasée par les « blancs » du général Carl Mannerheim, aidés par les 12 500 soldats de la division allemande du général Von der Goltz. La répression est brutale. Les prisonniers rouges sont abattus à la mitrailleuse dans des fossés... Selon le général blanc Dénikine, « La haine pour les bolcheviques russes s’étendit à tout ce qui portait un nom russe. La répression s’abattit sur toute la population russe, qui n’avait rien connu de semblable pendant les jours du communisme finlandais. ».

Une série de camps de concentration sont ouverts pour interner les « rouges » vaincus pendant la guerre civile. Début mai 1918, on en compte 64 comprenant 81 000 prisonniers (soit 6 % de la population adulte finlandaise), essentiellement répartis au sud du pays. La difficulté énorme que représente le maintien d’un système carcéral aussi massif dans une Finlande détruite par la guerre civile amène rapidement le gouvernement d’Helsinki à mettre en place des lois d’amnistie. Début juin 1918, les camps sont regroupés en 26 lieux de détention puis progressivement démantelés si bien qu’en décembre, il ne reste plus que 6 100 prisonniers, considérés comme les plus dangereux. Fin 1921, il ne restera plus que 900 emprisonnés politiques. Au total, on estime à 12 500 le nombre de prisonniers décédés dans les premiers camps de la guerre civile – avec plus de 25 % de pertes pour certains (comme celui de Tammisaari) – chiffre auquel il faut ajouter les 268 exécutions capitales prononcées après la répression de l’insurrection bolchevique.

Les armées blanches polonaises créées par le gouvernement français vont suivre cet exemple des camps de concentration pour exterminer les "rouges" dès août 1918 puis ce sera le cas des nazis.

Conclusion

Le bilan de cette expérience finlandaise va lourdement peser sur le mouvement communiste en URSS et au niveau international dans les années 1918 à 1924.

Aujourd’hui, bien des historiens baratinent et bavent sur ce qui s’est passé en URSS et dans le mouvement communiste à cette époque sans prendre en compte la détermination et la cruauté des opposants au nouveau gouvernement de la Russie.

Le temps viendra où la rigueur historique retrouvera ses droits par delà les stipendiés de la CIA et du grand patronat. Je ne serai plus là mais je n’en doute pas.

Jacques Serieys

Post scriptum :

J’ai surtout rédigé cet article à partir de notes personnelles (comprenant quelques faits) datant de 1971 pour un plan de rapport . Si un lecteur peut compléter ou donner des références bibliographiques (en plus du livre de Jean-Jacques Marie La guerre civile russe),

MERCI

B) La révolution finlandaise de 1917, par Eric Blanc

Source Alencontre : http://alencontre.org/societe/histo...

(Cet article fait partie de la série de textes publiés à l’occasion du centenaire de la révolution russe par le site américain Jacobin, traduction A l’Encontre)

Au cours du siècle dernier, les récits sur la révolution de 1917 se sont habituellement centrés sur Petrograd et les socialistes russes. L’Empire russe était toutefois majoritairement composé de non-Russes – les bouleversements à la périphérie de l’Empire étaient d’ailleurs aussi explosifs qu’au centre.

Le renversement du tsarisme en février 1917 lâcha une vague révolutionnaire qui a emporté toute la Russie. La révolution finlandaise fut sans doute le soulèvement le plus exceptionnel. Un chercheur l’a baptisé « la guerre de classe d’Europe la plus claire du XXe siècle » [1].

L’exception finlandaise

Les Finlandais étaient, en tant que nation, différents parmi toutes les nations sous la domination tsariste. Annexée par la Suède en 1809, la Finlande jouissait d’une autonomie gouvernementale, de libertés politiques et finalement de son propre parlement élu démocratiquement [2]. Bien que le tsar ait tenté de limiter cette autonomie, la vie politique à Helsinki ressemblait bien plus à celle de Berlin qu’à celle de Petrograd.

En un temps où les socialistes étaient contraints, dans les autres territoires de la Russie impériale, de s’organiser au sein de partis clandestins et qu’ils étaient poursuivis par la police secrète, le Parti social-démocrate finlandais (SDP) agissait ouvertement et légalement. A l’instar de la social-démocratie allemande, les Finlandais bâtirent, à partir de 1899, un parti de la classe laborieuse de masse ainsi qu’une dense culture socialiste disposant de ses maisons du peuple, de ses groupes de femmes travailleuses, de ses chœurs ainsi que de ses ligues sportives.

Le mouvement ouvrier finlandais était attaché à une stratégie parlementaire visant à éduquer et à organiser patiemment les travailleurs. Initialement, son orientation politique était modérée : les débats sur la révolution étaient rares et la collaboration avec les libéraux chose commune.

Le SDP était toutefois unique parmi les partis légaux de masse européens en ce qu’il est devenu plus militant au cours des années qui précédèrent la Première Guerre mondiale. Si la Finlande n’avait pas fait partie de l’Empire tsariste, il est probable que la social-démocratie finlandaise aurait évolué le long du même chemin de modération que la plupart des partis socialistes occidentaux, au sein desquels les radicaux étaient marginalisés de façon croissante face à l’intégration parlementaire et à la bureaucratisation.

La participation de la Finlande dans la révolution de 1905 fit changer le parti de cap. Il se dirigea vers la gauche. Au cours de la grève générale de novembre 1905, l’un des dirigeants socialistes finlandais s’émerveillait devant la flambée populaire : « Nous vivons une époque merveilleuse […] Des gens qui étaient humbles et satisfaits de porter le fardeau de l’esclavage ont subitement rejeté leur joug. Des gens qui, jusqu’à maintenant, mangeaient de l’écorce de sapin, exigent désormais du pain. »

Dans le sillage de la révolution de 1905, les parlementaires socialistes modérés, les dirigeants syndicaux et les fonctionnaires [du parti] se sont retrouvés en minorité au sein du SDP. Cherchant à appliquer l’orientation développée par le théoricien marxiste du SPD allemand, Karl Kautsky, la majorité du parti, à partir de 1906, infusa la tactique légale et parlementaire d’une approche politique fondée sur une lutte de classes aiguë. « La haine de classe doit être accueillie comme une vertu », proclamait une publication du parti.

Seul un mouvement ouvrier indépendant, annonçait le SDP, pouvait promouvoir les intérêts des travailleurs, défendre et étendre l’autonomie finlandaise face à la Russie et aboutir à une démocratie politique pleine et entière. Une révolution socialiste sera à l’ordre du jour à terme, mais en attendant le parti doit développer sa force et éviter tout affrontement prématuré avec la classe dominante.

Cette stratégie social-démocrate révolutionnaire – avec son message militant et ses méthodes lentes mais constantes – s’est révélée spectaculairement fructueuse en Finlande. A partir de 1907, plus de 100 000 travailleurs avaient rejoint le parti, faisant de celui-ci la plus grande organisation socialiste (en ratio par habitant) du monde. En juillet 1916, la social-démocratie finlandaise entra dans l’histoire en devenant le premier parti socialiste au monde à remporter une majorité au Parlement. En raison de la politique récente de « russification », menée par le pouvoir tsariste, le pouvoir d’Etat était toutefois en grande partie aux mains de l’administration russe. Ce n’est qu’en 1917 que le SDP a dû faire face aux défis que représentait la disposition d’une majorité parlementaire socialiste au sein d’une société capitaliste.

Les premiers mois

Les nouvelles de l’insurrection de février 1917 dans la ville proche de Petrograd frappèrent la Finlande par surprise. Une fois que les rumeurs furent confirmées, les soldats russes stationnés à Helsinki se mutinèrent contre leurs officiers. L’épisode est décrit par un témoin :

« Dans la matinée, les soldats et les marins marchaient dans la rue avec des drapeaux rouges, défilant en chantant La Marseillaise pour certains, pour d’autres en foules séparées, distribuant des rubans rouges et des pièces de vêtement. Des patrouilles armées de marins du rang déambulaient dans toute la ville, désarmant tous les officiers qui, au moindre signe de résistance ou de refus de prendre un sigle rouge, étaient abattus et laissés là. »

Les administrateurs russes furent chassés, les soldats russes stationnés en Finlande déclarèrent leur allégeance au soviet de Petrograd et la police finlandaise fut détruite depuis le bas. Le premier compte rendu de la révolution, rédigé en 1918 par l’écrivain conservateur Henning Söderhjelm – un témoignage inestimable sur les opinions des élites finlandaises – déplorait la disparition du monopole étatique de la violence :

« La destruction complète de la police était une politique voulue par la direction [SDP]. La police, qui a été expulsée par les soldats russes dès le début de la révolution, n’a jamais été reconstituée. Le “peuple” ne ressentait aucune confiance envers cette institution ; à sa place des corps locaux pour le maintien de l’ordre ont été mis sur pied, une “milice”, composé d’hommes membres du parti travailliste. »

Par quoi devait être remplacée l’ancienne administration locale russe ? Certains radicaux poussaient pour un gouvernement rouge, mais ils représentaient une minorité. A l’instar de ce qui se passait dans le reste de l’Empire, la Finlande fut traversée en mars par les appels à « l’unité nationale ». Dans l’espoir d’obtenir du nouveau gouvernement provisoire russe une vaste autonomie, une aile modérée de dirigeants du SDP rompit avec l’ancienne position du parti et joignit une administration de coalition avec les libéraux finlandais. Divers socialistes radicaux dénoncèrent cette décision, considérant qu’il s’agissait d’une « trahison » et une violation grossière des principes marxistes du SDP. D’autres dirigeants de premier plan, cependant, acceptèrent l’entrée au gouvernement afin d’empêcher une scission du parti.

La lune de miel politique de Finlande ne dura pas longtemps. Le nouveau gouvernement de coalition se trouva rapidement pris dans le feu croisé de la lutte de classes dès lors qu’un activisme sans précédent explosa au sein des entreprises, des rues et des zones rurales. Certains socialistes finlandais concentrèrent leurs efforts dans l’organisation de milices ouvrières armées. D’autres promurent des grèves, un syndicalisme combatif et un activisme au niveau des ateliers. Söderhjelm décrit ainsi cette dynamique :

« Le prolétariat ne mendiait et ne priait plus, il affirmait et revendiquait. Jamais, je pense, le travailleur, mais en particulier la canaille, n’avait pas été aussi entiché de pouvoir qu’en cette année 1917 en Finlande. »

Les élites finlandaises espéraient initialement que l’entrée des socialistes modérés dans un gouvernement de coalition obligerait le SDP à abandonner sa ligne « lutte de classes ». Söderhjelm se lamentait devant l’échec de ses espoirs :

« La loi de la populace se rependit à une vitesse inattendue […] Les tactiques du Parti travailliste sont en premier lieu et principalement [responsables de cela] […] Même si le Parti travailliste observait une certaine dignité dans sa conduite la plus officielle, il continuait sa politique d’agitation contre la bourgeoisie avec un zèle inlassable. »

Tandis que les socialistes modérés du nouveau gouvernement, ainsi que leurs alliés syndicalistes, cherchaient à freiner la rébellion populaire, l’extrême gauche du parti appelait sans cesse à une rupture avec la bourgeoisie. Oscillant entre ces deux pôles, un courant centriste amorphe offrait un soutien limité à la nouvelle administration. Bien que la plupart des dirigeants du SDP continuaient à prioriser l’arène parlementaire, la majorité soutenait – ou, pour le moins, acceptait – la vague d’en bas. Devant cette source inattendue de résistance, la bourgeoisie de Finlande devint toujours plus belliqueuse et intransigeante. L’historien [français] Maurice Carrez [auteur d’un ouvrage en deux volumes sur l’évolution vers le communisme du dirigeant social-démocrate, puis membre du Bureau politique du PC de l’Union soviétique, Otto Kuusinen (1881-1964) La fabrique d’un révolutionnaire. Otto Ville Kuusinen (1881-1918). Réflexion sur l’engagement d’un dirigeant social-démocrate finlandais à la Belle-Époque] note que la bourgeoisie finlandaise n’accepta jamais de « partager le pouvoir avec une formation politique qu’elle voyait comme le diable incarné. »

Polarisation de classes

L’implosion de la coalition finlandaise débuta au cours de l’été. En août, l’approvisionnement alimentaire de l’Empire s’était effondré et le spectre de la famine s’empara des travailleurs finlandais. Des émeutes de la faim éclatèrent au début du mois et l’organisation d’Helsinki du SDP dénonça le refus du gouvernement de prendre des mesures décisives pour faire face à la crise. « Les masses laborieuses affamées perdirent rapidement toute confiance envers le gouvernement de coalition », nota Otto Kuusinen, le principal théoricien de gauche du SDP, qui fonda l’année suivante le mouvement communiste finlandais.

L’intransigeance socialiste dans la lutte pour la libération nationale provoqua une escalade de la polarisation de classe. Les socialistes finlandais se battirent durement pour stopper les interférences en cours du gouvernement russe dans la vie interne de la nation. Ils avaient l’espoir qu’en gagnant l’indépendance, ils pourraient utiliser leur majorité parlementaire – ainsi que le contrôle qu’ils exerçaient sur les milices des travailleurs – pour implanter un programme ambitieux de réformes politiques et sociales.

Un dirigeant socialiste expliqua en juillet 1917 que « nous avons été obligés de combattre sur deux fronts : contre notre propre bourgeoisie et contre le gouvernement russe. Si nous voulons que notre guerre de classe soit victorieuse, si nous voulons être en mesure de rassembler toute notre force sur un front, contre notre propre bourgeoisie, nous avons besoin de l’indépendance, la Finlande est déjà mûre pour cela. »

Pour des raisons qui leur étaient propres, les conservateurs et les libéraux finlandais désiraient également un renforcement de l’autonomie finlandaise. Ils ne voulaient toutefois pas employer des méthodes révolutionnaires pour atteindre cet objectif – et, dans l’ensemble, ils ne soutirent pas l’effort du SDP en faveur d’une indépendance complète.

L’affrontement se produisit finalement en juillet. La majorité socialiste du parlement finlandais proposa l’adoption de la loi historique valtaki (loi sur le pouvoir) qui proclame unilatéralement l’entière souveraineté finlandaise. Au milieu de l’opposition vigoureuse de la minorité parlementaire conservatrice, la valtaki fut approuvée le 18 juillet. Le gouvernement provisoire russe, à la tête duquel se trouvait Alexandre Kerensky, en rejeta toutefois immédiatement la validité et menaça d’occuper la Finlande si la décision gouvernementale n’était pas respectée.

Lorsque les socialistes finlandais refusèrent de reculer ou de renoncer à la valtaki, les libéraux et les conservateurs saisirent l’occasion. Espérant isoler le SDP et mettre un terme à sa majorité parlementaire, ils soutinrent cyniquement et légitimèrent la décision de Kerensky de dissoudre le Parlement finlandais élu démocratiquement. De nouvelles élections furent appelées au cours desquelles les partis non-socialistes remportèrent une légère majorité.

La dissolution du Parlement finlandais marqua un tournant décisif. Jusque-là, les espérances demeuraient élevées parmi les travailleurs et leurs représentants que le parlement pourrait être utilisé comme un véhicule pour l’émancipation sociale. Kuusinen expliqua que : « notre bourgeoisie n’a pas d’armée, elle ne peut pas même compter sur la police […] il semblait donc que tout concourait pour que la social-démocratie reste sur le sentier battu de la légalité parlementaire, laquelle permettrait, ainsi paraissait-il, de récolter les victoires les unes après les autres. »

Il devenait toutefois clair pour un nombre croissant de travailleurs et de dirigeants du parti que le Parlement avait fait son temps.

Les socialistes dénoncèrent le coup anti-démocratique et fustigèrent la bourgeoisie pour la collusion de cette dernière avec l’Etat russe contre les droits nationaux et les institutions démocratiques de Finlande. Pour le SDP, les nouvelles élections parlementaires étaient illégales et c’est une vaste fraude électorale qui est à l’origine de résultat. A la mi-août, le parti exigea que tous ses membres démissionnent du gouvernement. Tout aussi significativement, les socialistes finlandais s’allièrent toujours plus étroitement avec les bolcheviques, le seul parti russe qui soutenait leur effort en faveur de l’indépendance. Chaque camp avait jeté son gant. La Finlande qui était restée, jusqu’ici, pacifique se dirigeait vers une explosion révolutionnaire.

La lutte pour le pouvoir

En octobre, la crise qui traversait l’Empire russe atteignit son point d’ébullition. Les travailleurs finlandais des villes et de la campagne exigeaient avec véhémence que leurs dirigeants prennent le pouvoir. Des affrontements violents éclatèrent en différents endroits de la Finlande. Une partie importante de la direction du SDP continuait pourtant de croire que le moment de la révolution pouvait être retenu jusqu’à ce que la classe laborieuse soit mieux organisée et qu’elle soit armée. D’autres craignaient l’abandon de l’arène parlementaire. Fin octobre, le dirigeant socialiste Kullervo Manner déclara : « nous ne pouvons éviter la révolution très longtemps […] La foi en la valeur de l’activité pacifique est perdue et la classe laborieuse commence à n’avoir confiance qu’en sa propre force […] Je serais ravi que nous nous trompions sur l’approche rapide de la révolution. »

Après la prise du pouvoir par les bolcheviques en octobre 1917, il semblait que la Finlande serait le prochain pays en lice. Privé du soutien militaire du gouvernement provisoire russe, l’élite finlandaise se trouvait dangereusement isolée. Les soldats russes – dont plusieurs dizaines de milliers étaient stationnées en Finlande – soutenaient de manière générale les bolcheviques et leur appel à la paix. « La vague victorieuse du bolchévisme apportera de l’eau au moulin de nos socialistes, et ils sont probablement capables de les faire tourner », observa un libéral finlandais.

La base du SDP et les bolcheviques à Petrograd imploraient les dirigeants socialistes finlandais de prendre immédiatement le pouvoir. Cependant, la direction du parti tergiversa. Personne ne pouvait savoir si le gouvernement bolchevique se maintiendrait plus de quelques jours. Les socialistes modérés s’accrochaient à l’espoir qu’une solution parlementaire pacifique pourrait être trouvée. Certains radicaux affirmaient que la prise du pouvoir était à la fois possible et urgente. La majorité des dirigeants oscillaient entre ces deux options.

Kuusinen se souvient de l’indécision du parti en ce moment critique : « nous, sociaux-démocrates, “unis sur la base de la guerre de classe”, oscillâmes tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, nous nous dirigeons tout d’abord avec force en direction de la révolution seulement pour reculer à nouveau. »

Incapable d’aboutir à un accord sur un soulèvement armé, le parti lança à la place un appel à la grève générale pour le 14 novembre en défense de la démocratie contre la bourgeoisie, en faveur de la satisfaction des besoins urgents des travailleurs ainsi que pour la souveraineté finlandaise. La réponse d’en bas fut écrasante : en réalité, elle alla bien plus loin que l’appel relativement prudent à la grève.

La Finlande s’arrêta. Dans plusieurs localités, les organisations locales du SDP et les gardes rouges prirent le pouvoir, occupèrent les édifices stratégiques et arrêtèrent les politiciens bourgeois.

Il semblait que ce schéma insurrectionnel se répéterait bientôt à Helsinki. Le 16 novembre, le Conseil de la grève générale dans la capitale vota la prise de pouvoir. Mais lorsque les dirigeants syndicaux et socialistes modérés dénoncèrent cette décision et démissionnèrent de cet organe, le Conseil recula le même jour. Il résolut : « comme une minorité aussi importante s’est opposée, le Conseil ne peut commencer à prendre le pouvoir en faveur des travailleurs, il continuera toutefois d’agir de sorte à accroître la pression sur la bourgeoisie ». Peu après, la grève fut interrompue.

L’historien finlandais Hannu Soikkanen a souligné l’énorme occasion manquée que représenta la grève de novembre : « On ne peut douter que cela était le meilleur moment pour la prise de pouvoir par les organisations de travailleurs. La pression d’en bas était énorme, et la volonté de combattre à son niveau le plus élevé […] La grève générale convainquit toutefois la bourgeoisie, à peu d’exceptions près, du danger pressant que représentaient les socialistes. Ils mirent à profit le temps qui s’écoula jusqu’à l’éclatement de la guerre civile ouverte pour s’organiser sous une direction ferme. »

Remarquant l’hésitation du SDP de se tourner vers une action de masse, Anthony Upton considéra que « les révolutionnaires finlandais étaient dans l’ensemble les révolutionnaires les plus misérables de l’histoire ». Une telle qualification pourrait tenir la route si notre histoire se terminait en novembre. Les événements qui suivirent montrent cependant que le cœur révolutionnaire de la social-démocratie finlandaise devait finalement l’emporter.

Suite à la grève générale, les travailleurs, frustrés, cherchèrent toujours plus à s’armer et à s’engager dans des actions directes. La bourgeoisie, de même, se prépara à la guerre civile en formant sa milice, la « garde blanche », et en s’adressant au gouvernement allemand pour obtenir une aide militaire.

En dépit de l’effondrement rapide de la cohésion sociale, de nombreux dirigeants socialistes continuèrent à s’engager dans des négociations parlementaires stériles. Cette fois-ci, l’aile gauche du SDP s’arc-bouta sur sa colonne vertébrale et déclara que tout nouveau retard à l’action révolutionnaire ne pourrait que conduire au désastre. A la suite d’une longue série de batailles internes, en décembre et au début du mois de janvier, les radicaux finirent par l’emporter.

En janvier, les paroles révolutionnaires du SDP se transformèrent finalement en actes. Pour marquer le début de l’insurrection, les dirigeants du parti allumèrent, au soir du 26 janvier, une lanterne rouge sur la tour de la Maison du peuple d’Helsinki. Au cours des jours suivants, les sociaux-démocrates et les organisations de travailleurs qui y étaient affiliés prirent plutôt facilement le pouvoir dans toutes les grandes villes de Finlande. En revanche, le nord rural resta aux mains des classes dominantes.

Les insurgés finlandais publièrent une proclamation historique annonçant que la révolution était nécessaire dès lors que la bourgeoisie finlandaise, en liaison avec l’impérialisme étranger, avait mené un « coup » contre-révolutionnaire contre les conquêtes des travailleurs et la démocratie : « le pouvoir révolutionnaire en Finlande appartient à partir de maintenant à la classe laborieuse et à ses organisations […] La révolution prolétarienne est noble et sévère […] sévère envers les ennemis insolents du peuple, mais prête à offrir son aide aux opprimés et aux personnes marginalisées. »

Bien que le nouveau gouvernement rouge tentât dans un premier temps de définir un cours politique relativement prudent, la Finlande sombra toutefois rapidement dans une guerre civile sanglante. Le retard dans la prise du pouvoir eut un coût élevé pour la classe laborieuse finlandaise car, à partir de janvier 1918, la plupart des troupes russes étaient retournées en Russie. La bourgeoisie tira avantage des trois mois qui s’écoulèrent suite à la grève de novembre pour constituer ses propres troupes en Finlande et en Allemagne. Plus de 27’000 rouges finlandais trouvèrent la mort au cours de la guerre. Après l’écrasement par la droite de la République socialiste finlandaise des travailleurs, en avril 1918, 80’000 travailleurs et socialistes supplémentaires furent jetés dans des camps de concentration.

Les historiens sont divisés sur la question de savoir si la révolution finlandaise aurait pu être victorieuse si elle avait débuté plus tôt et adopté une approche militaire et politique plus offensive. Certains affirment que le facteur décisif en dernière instance fut l’intervention militaire impérialiste allemande en mars et en avril 1918. Kuusinen tire un bilan similaire :

« L’impérialisme allemand prêta l’oreille aux lamentations de nos bourgeois et il se lâcha aussitôt pour avaler l’indépendance nouvellement acquise, laquelle, sur requête des sociaux-démocrates finlandais, avait été accordée à la Finlande par la République soviétique de Russie. Le sentiment national de la bourgeoisie ne souffrit à cet égard pas un seul instant. Le joug d’un impérialisme étranger ne représentait pour eux aucune terreur dès lors qu’il semblait que leur “patrie” était sur le point de devenir la patrie des travailleurs. Ils étaient disposés à sacrifier un peuple entier au grand bandit allemand à condition qu’ils puissent conserver leur position déshonorante d’esclavagiste. »

Des enseignements tirés

Que devons-nous faire de la révolution finlandaise ? Le point le plus évident est qu’elle indique que la révolution des travailleurs n’était pas uniquement un phénomène propre à la Russie centrale. Même dans la Finlande pacifique et parlementaire, les travailleurs se convainquirent toujours plus du fait que seul un gouvernement socialiste pouvait frayer la voie permettant de sortir de la crise sociale et de l’oppression nationale.

De même, les bolcheviques n’étaient pas le seul parti capable de conduire les travailleurs au pouvoir. De bien des façons, l’expérience du SDP finlandais confirme l’opinion traditionnelle de la révolution épousée par Karl Kautsky : au moyen d’une éducation et d’une organisation patiente de classe, les socialistes remportèrent une majorité au parlement, conduisant la droite à dissoudre l’institution, ce qui déclencha une révolution sous-direction socialiste.

La préférence du parti pour une stratégie parlementaire défensive ne l’empêcha finalement pas de renverser la domination capitaliste et de s’engager vers le socialisme. En revanche, la social-démocratie allemande bureaucratisée – qui avait abandonné depuis longtemps la stratégie élaborée par Kautsky – respecta activement la domination capitaliste en 1918-19 et écrasa avec violence les efforts visant à la renverser.

La Finlande indique non seulement les forces mais aussi les limitations potentielles de la social-démocratie révolutionnaire : une hésitation devant l’abandon de la scène parlementaire, une sous-estimation de l’action de masse ainsi qu’une tendance à se plier aux socialistes modérés au nom de l’unité du parti.

Notes :

[1] Dans la présentation de l’article de Maurice Carrez sur la révolution finlandaise, l’éditeur des Cahiers du mouvement ouvrier publiés par le CERMTRI souligne : « Si la révolution finlandaise est souvent occultée, Victor Serge y consacre 13 pages dans son An I de la révolution russe. Ce sous-chapitre commence par les lignes suivantes : « Le traité de Brest-Litovsk consommait le sacrifice du prolétariat finlandais, sur lequel les révolutionnaires russes fondaient avec raison de grands espoirs. Si, en effet, la Russie était, ce que Lénine souligna maintes fois, l’un des pays les plus arriérés de l’Europe, la Finlande était un des pays les plus avancésdu monde » (pp. 241-242). Il caractérise ainsi la révolution dirigée par les sociaux-démocrates : « Ils entendaient établir, sans expropriation des classes riches ni dictature du travail, une démocratie parlementaire au sein de laquelle le prolétariat eût été la classe politiquement dirigeante » (p. 245). Il conclut son récit de la révolution et de son écrasement sanglant par les partis bourgeois finlandais sur ces lignes, qui soulignent l’influence de cet événement sur la révolution russe : « Les tueries de Finlande ont lieu en avril 1918. Jusqu’à ce moment, larévolution russe a, presque partout, presque toujours fait preuve vis-à-vis de ses ennemis d’une grande magnanimité. Elle n’a pas usé de la terreur. Nous avons mentionné quelques sanglants épisodes de la guerre civile dans le Midi, ils sont exceptionnels. La bourgeoisie victorieuse d’un petit pays qui compte parmi les plus éclairés de l’Europe rappelle la première au prolétariat russe que malheur aux vaincus est la loi des guerres sociales » (p. 254). L’article de Maurice Carrez est à la fois un récit des principales péripéties de cette révolution et une analyse de ses origines et de son développement. (Introduction à l’article Maurice Carrez dans le numéro 23 des Cahiers du mouvement ouvrier. Nous le publierons sur le site alencontre.org)

Nous consacrerons quelques lignes au rôle du général Carl Gustav Mannerheim, un des militaires qui commanda la répression massive contre les travailleurs et les masses populaires en 1918 et assura la jonction entre la réaction finlandaise, les forces militaires internationales (les alliés) visant à écraser de même la révolution russe, de concert avec les généraux russes blancs, comme le décrit (entre autres, p. 213-214) C. Jay Smith Jr dans son ouvrage Finland and the Russian Revolution, 1917-1922, University of Georgia, 1958. Faut-il rappeler que la ville de Montreux a élevé un monument imposant en l’honneur de ce massacreur. La commune de Montreux présente ainsi, en germanisant son nom, ce héros régulièrement fêté : « Celui qui devait devenir l’homme-clé de l’indépendance finlandaise commença sa carrière militaire comme officier de cavalerie au service du Tsar Nicolas II à St-Petersburg. Pendant les remous consécutifs (sic) à la Révolution bolchevique de 1917 il sut agir pour transformer la modeste autonomie du Grand-Duché de Finlande en une pleine indépendance. Mais comme son principal appui lui était venu d’Allemagne, son pays se trouva, en 1939, du mauvais côté de la barrière. (sic). » (Réd. A l’Encontre)

[2] Jusqu’en 1906 la Finlande disposait d’une Diète, de type d’ancien régime avec une représentation fondée sur quatre ordres ou états. En octobre 1906, dans le sillage de la révolution, fut établi un Parlement monocaméral, de 200 députés. A la même date fut instauré le suffrage universel pour toutes les personnes âgées de plus de 24 ans, y compris les femmes, qui jouissaient aussi de l’éligibilité. C’est l’un des premiers pays au monde à avoir introduit le suffrage féminin dans une démocratie représentative « moderne ». (Réd. A l’Encontre)


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