Le syndicalisme obligatoire n’est pas une mesure de gauche

mercredi 4 octobre 2006.
 

Lors des récentes élections suédoises, on pouvait voir le premier ministre social-démocrate et la secrétaire générale du syndicat unique côte à côte sur des affiches électorales. Sur tous les murs du pays, la dirigeante du syndicat à adhésion obligatoire, pris récemment pour exemple par Ségolène Royal, appelait les salariés à voter pour le parti social-démocrate. Les électeurs en ont décidé autrement. Un résultat qui incite à aller au-delà de la vision simpliste et erronée développée par Royal sur les vertus d’un modèle qu’elle souhaite importer en France.

Comment fonctionne le système suédois d’adhésion syndicale obligatoire ? Quelles seraient les conséquences d’une telle réforme, en France ? Nous verrons que la singularité du modèle français, fondé sur des principes républicains, est incompatible avec la pratique suédoise.

Dans le système scandinave, l’adhésion à un syndicat (unique) est obligatoire pour pouvoir bénéficier des droits issus de la Convention collective négociée par ce syndicat. Au contraire, en France, il n’est pas obligatoire d’être adhérent d’un syndicat pour bénéficier des dispositions des conventions collectives. En effet, c’est par un mécanisme dit d’« extension » que les pouvoirs publics décrètent l’application de la convention à tous les salariés d’une branche, même quand ils ne sont pas syndiqués, ou quand leur patron n’est pas membre d’une fédération patronale. L’intervention des pouvoirs publics, qui fait suite à la négociation menée librement par les syndicats et employeurs, est acceptée par les syndicats car elle se fonde sur l’idée républicaine d’universalité de la loi et de son application égale pour tous. Le résultat est un taux de couverture par les conventions collectives de 97% du salariat en France, c’est-à-dire un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE.

En proposant, avec beaucoup de légèreté, de rendre l’affiliation syndicale « obligatoire » comme en Suède, Ségolène Royal oublie d’indiquer le fonctionnement de ce système. L’importer en France reviendrait à retirer des droits acquis à quiconque ne se syndique pas, et à diviser le salariat entre ceux qui travaillent dans les entreprises dont l’employeur est d’adhérent d’une fédération patronale, et ceux qui travaillent dans des entreprises non affiliées.

Car c’est bien ce qui a lieu en Scandinavie. Les Scandinaves font primer le contrat collectif sur la loi en matière de conditions de travail. Par conséquent, il n’y a que des salaires conventionnels, pas de salaires minimums, et si le patron refuse d’adhérer à une fédération patronale, alors ses salariés n’ont pas accès aux droits de la Convention collective. Sans être arrogant à l’égard de nos camarades suédois, on peut tout de même se féliciter qu’en France, les salariés soient majoritairement protégés par le truchement de la loi républicaine, indépendamment du bon vouloir de leur patron.

La méthode française a un défaut, certes, c’est le faible taux de syndicalisation. Mais le nombre de syndiqués n’est pas le seul critère pour déterminer la représentativité et la puissance des syndicats.

Les Suédois ou Danois ont des taux de syndicalisation astronomiques, mais quand ils ont mené campagne pour que leurs adhérents votent pour les partis sociaux-démocrates, ils n’ont pas été entendus. Et quand il s’agira de défendre des acquis vis-à-vis de la Droite au pouvoir, on peut craindre qu’ils n’aient pas la même capacité de manifester dans la rue comme on l’a connu en France. Ils sont forts pour négocier, mais ils ont négocié, entre autres, la retraite à 65 ans... pour commencer.

Dire des syndicats qu’ils ne sont pas assez représentatifs est un discours récurent de la droite, qui tente à chaque conflit déclenché par ces derniers de leur opposer la « majorité silencieuse » des salariés non-grévistes. Hélas, les déclarations de Ségolène Royal alimentent un tel discours. Il suffit de voir son propre site Désirs D’Avenir, où le débat sur le syndicalisme a entraîné un flot d’insultes aux syndicats, fauteurs de grèves et illégitimes (voir ci-dessous).

En fait, le mouvement et la victoire contre le CPE montre que les syndicats français ne sont pas ces organisations faibles et peu représentatives qu’on le décrit. La force de mobilisation des travailleurs français est connue et admirée dans le monde entier. Dommage que Ségolène Royal, après avoir été silencieuse sur le CPE, s’exprime enfin sur ces question en dénonçant un manque prétendu de puissance des syndicats.

Enfin, la primauté à la liberté contractuelle est non seulement une vision de la société qui s’oppose aux traditions républicaines du mouvement syndical français, mais en plus, une conception inadaptée aux comportements actuels des entreprises.

On le voit en Allemagne, qui a un syndicalisme puissant, présent au sein même des conseils d’Administration des entreprises, mais où, pour la première fois de son histoire, le grand syndicat DGB vient de revendiquer la mise en place d’un salaire minimum légal. Face au capitalisme financier et transnational, la négociation collective ne suffit pas, car elle ne balance pas vraiment du côté des syndicats, même quand ceux-ci ont beaucoup d’adhérents.

Autre exemple : la Suède, justement, où l’ouverture aux entreprises européennes a entraîné l’installation d’investisseurs baltes qui refusent de s’affilier aux fédérations patronales et d’appliquer les conventions collectives. Avec ce système-là, les travailleurs suédois deviennent méfiants vis-à-vis des travailleurs étrangers car ceux-ci n’ont pas nécessairement les mêmes droits sociaux. Poul Nyrup Rasmussen, ancien Premier Ministre danois, a expliqué, lors d’un colloque du Parti des Socialistes Européens à Paris la semaine dernière, que sa défaite était en grande partie due à la crainte des étrangers. Il est notable qu’en France, au moment de l’élargissement de l’Union Européenne, les syndicats ne se sont pas opposés à la libre circulation des travailleurs. Ils s’appuient sur l’application de la loi républicaine à tous les salariés, qu’ils soient étrangers ou non. Ils savent que les conventions collectives et les lois s’appliqueront, en droit, à tout travailleur, d’où qu’il vienne. Plutôt que de revendiquer des quotas pour limiter la circulation des travailleurs, ils ont cherché à combattre le « Principe du Pays d’Origine » introduit par la Directive Bolkestein sur les services.

On notera que les propositions de Ségolène Royal, relayées par Arnaud Montebourg, ont fait l’unanimité des syndicats contre elles. Or n’oublions pas que les militants syndicaux sont des relais importants pour la gauche. Que Ségolène Royal choisisse de s’affronter à eux est une erreur monumentale, du point de vue politique comme d’un point de vue strictement électoral.


Et concrètement ?

Si le système de l’adhésion syndicale obligatoire s’appliquait chez nous, chaque salarié devrait cocher, au moment de l’embauche, une case pour déterminer à qui serait versée sa cotisation syndicale. Car en effet, si Ségolène Royal se réfère au modèle scandinave, elle s’en détache sur un point essentiel.. Alors qu’en Suède il y a un syndicat unique, Royal défend pour la France l’adhésion obligatoire au « syndicat de son choix » (Les Echos, 19 mai 2009). Imaginons la scène : obligé de cocher une case, un salarié pourrait cocher au hasard, ou sur le conseil du DRH. Il pourrait choisir un syndicat qui refuse la mobilisation et la grève... Pire encore, un « syndicat » pourrait, pour obtenir plus d’adhérents (dont découlerait logiquement la reconnaissance de sa représentativité et donc les moyens matériels correspondants), proposer de rembourser la cotisation. Comment mesure réellement leur représentativité, dans ces conditions ? Ceux qui ont été étudiants connaissent un système voisin où chacun doit choisir entre deux mutuelles concurrentes comme centre de Sécurité sociale : en réalité, c’est un acte administratif aux implications essentiellement financières, et ces mutuelles ne peuvent se prévaloir de leur nombre d’adhérents pour justifier des prises de positions revendicatives et mobilisatrices. Les syndicats risqueraient d’y perdre leur crédibilité et surtout leur cohérence et capacité de mobilisation. Aujourd’hui, adhérer à une organisation syndicale confédérée, c’est un acte libre de conscience. C’est manifester sa conviction d’intérêts communs au salariat. Cela s’oppose à la vision des salariés qui adhèrent au modèle de la concurrence individuelle des travailleurs et récusent toute solidarité collective. Obliger ces derniers à adhérer à un syndicat et leur reconnaître une quelconque représentativité collective représente un risque considérable Cela renforcerait les regroupements par entreprise, le corporatisme, les jeunes, et représenterait une attaque frontale contre le syndicalisme confédéré.

Les propositions de Ségolène Royal soulève un autre difficulté. Au moment de donner au salarié le choix de cocher une case pour attribuer sa cotisation syndicale, qui aurait auparavant déterminé la liste des syndicats autorisés ? Et selon quels critères ? Ceux-ci sont actuellement établis dans un Arrêté de 1966. Celui-ci peut bien sûr être discuté. Par exemple, le critère de l’attitude patriotique pendant la Guerre peut faire sourire, mais il a empêché la constitution de « syndicats » d’extrême-droite. Si ce critère avait été appliqué aux élections politiques, le paysage politique aurait été vraiment différent. Pour continuer la comparaison avec le politique, il faut dire à ceux qui s’en prennent à la « faiblesse » des syndicats qu’aucun parti politique en France n’a plus d’adhérents que les trois principales confédérations syndicales, à savoir la CFDT, la CGT et FO. Il n’y aurait donc finalement que les sondages pour représenter fidèlement le pays ?


De la « blogosphère » ...au café du commerce

Le site de Ségolène Royal a reçu beaucoup de réactions de « citoyens experts » dont elle prétend s’inspirer. Encouragés par ses propos sur la faible représentativité des syndicats, les internautes y livrent des remarques que l’on croyait réservées au courrier des lecteurs du Figaro.

Quelques exemples parmi d’autres.

Pour l’un, les syndicats sont « des jusqu’auboutistes qui empêchent les reprises du travail » et il faut mettre un terme « au lien étroit entre partis et syndicats ». Pour un autre « ils représentent un monde révolu, un temps du passé, trop politiciens, travaillant d’abord pour leur propre compte au détriment des intérêts des salariés ». Pour un autre encore ce sont « des organisations vieillottes qui ne se remettent pas en cause » ou encore elles « sont autoritaires et ne défendant que les privilégiés du salariat ».

A ces imbécillités « expertes », une internaute répond : « Je travaille en Suède depuis 1994 (...) l’efficacité prétendue des syndicats suédois me fait rire. Deux mois après mon embauche pour Vatenfall (équivalent suédois d’EDF) mon poste a disparu et tout notre département est délocalisé en Allemagne (...) Les syndicats se sont bornés à un rôle d’information. (..) Est-ce cela que vous voulez en France ? Je souhaite que Mme Royal se renseigne un peu plus à l’avenir sur les conditions exactes du syndicalisme suédois avant de le brandir en exemple ». On ne saurait mieux dire.


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