Dans le monde idéal de Marine Le Pen, ses victimes n’ont pas le droit à un avocat

vendredi 5 juillet 2013.
 

Aujourd’hui à 10h du matin je me suis présentée à la Galerie de l’instruction du Palais de Justice de Paris. C’est là que se trouvent les cabinets des Juges d’instruction. On n’y entre qu’après avoir justifié de son identité auprès des gendarmes postés derrière un hublot en verre épais. La grande majorité des personnes qui ont à faire à la Justice pénale ne verront jamais un magistrat instructeur. Très peu d’affaires pénales sont instruites par ces juges indépendants. Il s’agit principalement des crimes (c’est-à-dire les faits jugés en Cour d’Assises), auxquels s’ajoutent certaines affaires compliquées ou à haut potentiel de scandale, par exemple celles qui ont un caractère politique. On y traite également les délits de presse, encore que dans ces cas il n’y a pas vraiment d’instruction, comme je l’expliquerai.

Les gendarmes de la Galerie de l’Instruction ont été surpris, ce matin. Une personne convoquée qui se présente en robe d’avocat, c’est inhabituel. Madame le Juge a également été surprise de voir arriver mon avocate, Me Galina ELBAZ, avec moi-même en tenue de fonction. Mais elle a très bien compris pourquoi j’ai comparu en robe. C’est bien en tant qu’avocate que je suis pourchassée par Marine Le Pen.

C’est en tant qu’avocate que j’ai dit que Marine Le Pen avait commis des délits. Je l’ai dit dans une citation directe que l’huissier a signifié à Marine Le Pen début juin 2012. Dans cette citation, que j’ai rédigée avec mon confrère Erwan Lorvellec, j’ai dit que Marine Le Pen avait violé l’article 226-8 du Code Pénal et l’article L97 du Code électoral. Du fait de ces délits, j’ai cité Marine Le Pen à comparaître directement devant le Tribunal Correctionnel de Béthune.

En tant qu’avocate, j’ai expliqué cette démarche procédurale à l’AFP. J’ai expliqué la différence entre une plainte auprès du Procureur de la République, qui avait pour objet de mettre en mouvement les services de police afin d’élucider un délit, et la citation directe qui suppose que l’auteur soit déjà identifié et les éléments de preuve déjà constitués. J’ai expliqué que pour procéder par citation directe il fallait être sûr quant au fait que la personne visée a bien commis le délit. C’est mon rôle d’avocat que de qualifier juridiquement les faits. En l’occurrence les faits sont connus. Il s’agit de la distribution à Hénin-Beaumont, à quelques jours du vote, d’un faux-tract représentant mon client, Jean-Luc Mélenchon.

Marine Le Pen a annoncé dès le jour de mon explication à l’AFP qu’elle porterait plainte contre moi. Immédiatement, mes confrères ont réagi pour me soutenir, en particulier mon confrère Christian Charrière-Bournazel, ancien Bâtonnier de Paris et actuel président du Conseil National des Barreaux, et mes camarades du Syndicat des Avocats de France. En effet, en s’en prenant à moi, elle s’attaque à une fonction, celle de l’avocat, et à une liberté fondamentale, le droit à la défense.

La plainte a ensuite été déposée, aujourd’hui j’ai comparu devant le Juge, et j’ai été mise en examen. Que les fachos et autres trolls qui me suivent sur Twitter ne se réjouissent pas trop vite. En matière de presse la mise en examen est systématique. A peine de nullité de la procédure, le Juge ne peut pas entrer dans le débat sur la qualification des faits. Tout le débat à lieu plus tard, au procès. Le Parquet est lié par la plainte, et ce dans les deux sens, c’est-à-dire que si la plainte est retirée il ne peut plus y avoir ni instruction ni procès.

Cela dit, être mis en examen n’est pas agréable. Non seulement parce que la plupart de nos concitoyens, profanes en ce qui concerne les subtilités du contentieux, confondent mis en examen en condamné. Surtout parce que c’est profondément choquant de devoir donner des explications, dans un cadre prévu pour les criminels, à la demande d’une femme qui a elle-même commis des délits que je n’ai fait que dénoncer au nom de mon client. Que ce soit moi qui dusse m’expliquer, alors que cette femme défie ouvertement la République en proclamant qu’elle est fière d’avoir fait distribuer de faux-tracts, et qu’elle considère ce fait comme légal. Une femme qui fréquente Serge Ayoub et autres amis des meurtriers de Clément Méric, une femme qui glorifie Jean-Marie Le Pen, Président d’Honneur de son parti, même quand celui-ci rend hommage à Brasillach et conteste les crimes contre l’Humanité. Cette femme, qui devra répondre un jour ou l’autre de ces provocations, a réussi à me contraindre ainsi à m’expliquer devant un juge.

Je lui ferai payer cette atteinte à mon honneur et à ma profession. Car sa plainte n’a aucune chance d’aboutir. Les délits de presse sont là pour les gens qui cherchent à défendre leur honneur. Ce n’est pas le cas de Marine Le Pen qui ne peut pas nier qu’elle a déjà été condamnée et ne peut donc pas se sentir offensée du fait qu’on le dise. Oui, Marine Le Pen a déjà été condamnée et elle le sait. C’est d’ailleurs écrit en toutes lettres dans les jugements du Tribunal Correctionnel de Béthune qui ordonnent les renvois successifs de l’affaire des faux-tracts. NOM : LE PEN Marion Anne Perrine. ANTECEDENTS JUDICIAIRES : déjà condamnée.

Ainsi, il apparait de façon limpide que cette plainte est abusive. Elle est plus qu’abusive, elle est attentatoire aux libertés. Tout le monde a le droit à un avocat. Même Marine Le Pen. Dans le monde idéal de Marine Le Pen, ses victimes n’ont pas le droit à un avocat. Heureusement ce monde-là n’est pas à l’ordre du jour. Nous combattons de toutes nos forces pour qu’il n’advienne jamais. D’ores et déjà de très nombreux confrères m’ont manifesté leur soutien. Merci Emmanuel Pierrat, Thomas Klotz, Michael Ostrove, Céline Campi, Oury ATTIA, Thibaud Cotta, Mahor Chiche.. pour ne parler que de ceux qui ont réagi les premiers. Merci également aux nombreux citoyens et militants qui ont réagi sur ma page Facebook. Je remercie également mes consoeurs Pascale Taelman et Marianne Lagrue du SAF. L’accumulation de ces soutiens sous forme de pétition nous permettra de dire ensemble à Marine Le Pen que si elle a une once d’attachement à ses propres engagements déontologiques, si elle a une once d’attachement aux grandes libertés et en particulier au droit de la défense, si elle ose se plier aux valeurs de la République : qu’elle retire sa plainte contre moi.


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