Hommage à Philippe Val qui va probablement présider France Inter

jeudi 21 mai 2009.
 

Les mauvaises langues prétendent que la promotion de Philippe Val sent le copinage ou le renvoi d’ascenseur. Il n’en est rien : Philippe Val, comme Bernard Kouchner et Eric Besson, ne doit sa nomination qu’à son talent et à sa compétence. Qui oserait en douter ? Et douter de la compétence de l’ancien chansonnier devenu philosophe et fabuliste ?

On prête déjà les pires intentions à Philippe Val. Ce procès est indigne. Ce procès nous indigne (enfin, pas vraiment…). Comme si le passé de Philippe Val devait obligatoirement faire de l’ombre à son avenir.

Ce n’est pas parce que Philippe Val, éditorialiste et patron, confondait polémique et calomnies [4], que l’information sera biaisée et tronquée sur France Inter ou ailleurs sur Radio France (en tout cas pas plus qu’elle ne l’est déjà). Qui vous dit, mauvais procureurs, qu’il ne va pas inciter tous les journalistes de Radio France à imiter l’équipe de Daniel Mermet et à multiplier les enquêtes et les reportages, quitte à leur donner d’autres couleurs que celles de « Là-bas si j’y suis » ?

Ce n’est pas parce que Philippe Val voyait en Charlie Hebdo un « produit » [5], qu’il se proposera de vendre les émissions des radios publiques comme les vulgaires marchandises des radios privées.

Ce n’est pas parce que Philippe Val considère Internet comme « la Kommandantur du monde ultra-libéral » et qu’il n’est utilisé que par des « tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs », que les salariés du site de France Inter vont, du jour au lendemain, se retrouver au chômage [6] et que tous les accès à Internet des employés de Radio France - qui surfent inconsidérément sur la Toile pendant leurs heures de travail - vont être coupés.

Ce n’est pas parce que Philippe Val est devenu le disciple préféré de Bernard-Henri Lévy (et que celui-ci lui rend bien ses caresses) que le philosophe de télévision disposera d’une chronique quotidienne sur France Inter [7]. Il y est déjà assez souvent invité depuis que Nicolas Demorand s’occupe de la matinale. Qui vous dit, esprits suspicieux, que l’inlassable curiosité intellectuelle de Philippe Val ne va pas nous révéler des merveilles enfouies dans le silence radiophonique ?

Ce n’est pas parce que Charlie Hebdo voyait des complots islamistes partout que France Inter sera le bras armé de l’Axe du bien et qu’une chronique régulière sera confiée aux généraux de l’Otan. La preuve ? Caroline Fourest devrait rester (pour l’instant…) où elle est : à France Culture, au Monde et… à Charlie Hebdo.

Ce n’est pas parce que Philippe Val refusait de publier certains droits de réponse dans Charlie Hebdo qu’il va les censurer plus qu’ils ne le sont déjà sur France Inter et priver les auditeurs du téléphone. Nul doute, au contraire, qu’il saura convaincre Nicolas Demorand de ne pas confisquer la parole de ceux à qui il prétend la donner [8].

Ce n’est pas parce que Philippe Val avait sommé Daniel Mermet d’apporter son soutien à Jean-Luc Hees (alors directeur de France Inter), qu’il va l’obliger à glorifier enfin le nouveau directeur de Radio France [9] et demander à tous les salariés des radios publiques de lui baiser les pieds. Impertinent et irrespectueux, comme il a su toujours l’être, Philippe Val – n’en doutons pas – n’embauchera pas de fou du roi… qu’il est lui-même devenu.

Ce n’est pas parce que Philippe Val a su congédier ou pousser à la démission des collaborateurs de Charlie Hebdo qui ne lisaient pas Spinoza dans le texte latin (ou dans la version de Philippe Val) qu’il va, à la place qui sera la sienne, priver Bernard Maris de sa chronique économique. Patron social, comme il sut toujours l’être, Philippe Val saura imposer la transformation de tous les CDD en CDI et la résorption des emplois précaires. Garant du pluralisme et de la diversité, il saura se souvenir que s’il existe des conformistes de la dissidence (il se connaît un peu lui-même…), il existe aussi des dissidents non-conformes. Selon une rumeur invérifiable - mais totalement infondée, puisque nous en sommes les auteurs - Philippe Val envisagerait même de confier une émission à Siné.

Le passé de Philippe Val ne le condamne pas, mais plaide pour lui. Son crâne est dur, mais son échine est souple. Vous pourriez préférer qu’il ait le cerveau souple et l’échine droite, mais le fait est là : il saura plier l’échine ou il faudra savoir lui faire plier.

Avant de redouter que France Inter ou une autre station de Radio France ne renonce à privilégier les économistes qui défendent la doxa libérale et néglige l’information sportive, les faits divers et la politique politicienne, laissez une chance à Philippe Val !

Avant de craindre la suppression des émissions de promotion (façon Stéphane Bern) et la disparition des débats vraiment faux ainsi que des débats faussement vrais, laissez une chance à Philippe Val !

Vous souhaitiez qu’on en finisse avec « Là-bas si j’y suis », « Rendez-vous avec X », la chronique de Didier Porte et même la météo marine (ce chef d’œuvre de poésie moderne) ? Il n’est pas certain que vous obteniez satisfaction. Parce que si Charlie Hebdo était devenue la « chose » de Philippe Val, France Inter est une radio publique, et, qu’il le veuille ou non, elle ne lui appartiendra pas…

Laissez une chance à Philippe Val : il a déjà prouvé son indulgence à l’égard de lui-même et son indépendance à l’égard de Mahomet. Qui dit mieux ?

Mathias Reymond et Henri Maler

Notes

[1] Voir l’article de Rue 89 : Val à Radio France, Hees n’a « pas idée » de ce qu’il y fera.

[2] Selon le site du Point qui par ailleurs affirme que Val débutera à la direction de France Inter le 2 juin...

[3] Nous y reviendrons certainement dans un prochain article…

[4] Voir par exemple Un récital de mensonges et de calomnies contre Noam Chomsky.

[5] Comme il l’explique ici-même : « La seconde chose que j’ai essayé de faire, c’est de légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui j’entretiens des rapports cordiaux . Le vrai danger pour un journal c’est d’être marginal. On peut avoir de grosses ventes et être marginal. A l’inverse, un journal peut faire très peu de ventes et être important. Il faut accepter d’être minoritaire et refuser d’être marginal. Evidemment, il ne faut être minoritaire qu’un temps , sinon le marché vous tue . » (TOC, février 2005) Cité dans l’article « Philippe Val, critique, stratège … et psychiatre ».

[6] Voir notre article, Philippe Val, épurateur chronique.

[7] Voir BHL, évidemment, et, réciproquement, Journalisme et philosophie : un marathon médiatique de Philippe Val.

[8] Voir Nicolas Demorand : « la parole est à moi » et Nicolas Demorand, gardien de la démocratie ?.

[9] Voir Daniel Mermet réplique à Philippe Val.


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