L’élection présidentielle algérienne n’intéresse pas grand monde. Peut-être même l’Algérie elle-même n’intéresse-t-elle plus personne. La réélection, avec le score unique de 90,24% des suffrages, du président Bouteflika n’a suscité aucun grand titre dans la presse française.(*) Une information « normale », en passant. Il y a trois semaines, les services du ministère de l’intérieur algérien annonçaient une participation entre 70 et 75% soit plus de 15% de mieux que lors de la présidentielle et ce alors même que les principaux partis d’opposition avaient appelé à boycotter ce match truqué dont les résultats étaients connus d’avance(**), à la notable exception du PT de Louisa Hanoune (qui termine en seconde position … avec un peu plus de 4%) et de quelques candidats de pure forme. Quelques jours avant le scrutin le quotidien algérois Le Matin pouvait écrire, en titrant « Que la farce commence » :
« Abdelaziz Bouteflika, n’acceptera pas un faible taux de participation le 9 avril prochain ». Celui qui parle ainsi est le directeur de campagne du candidat Bouteflika, Abdelmalek Sellal sur les ondes de la Chaîne internationale de la radio algérienne. Et cela suffit pour conclure que le taux sera bien gonflé afin de ne pas fâcher le président.
Interrogé sur le taux de participation de 70 % qu’il a avancé jeudi dernier, l’invité de la radio a expliqué qu’il s’agissait d’un « souhait personnel » et non d’une projection réelle. « Nul n’est devin pour annoncer de chiffre, mais je reste persuadé qu’il sera très important en raison des signes qui confortent cette tendance », a dit M. Sellal. « Nous avons obtenu plus de 4 millions de signatures pour notre candidat, ce qui constitue un signe tranchant du large soutien dont il bénéficie, notamment de la part de la société civile », précisé le ministre des Ressources en eau.
La secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune a confirmé l’intention du pouvoir, hier à Berouaguia, en déclarant que le peuple donnera le jour de l’élection présidentielle « une leçon à tous les fatalistes qui ne croient pas en l’avenir du pays ».
Bref tout s’est passé selon les souhaits du président algérien qui avait précédemment fait modifier la constitution afin de pouvoir se faire réélire ad vitam aeternam, selon une mauvaise habitude qui se généralise et qui a même trouvé en d’autres lieux le soutien de toutes sortes de révolutionnaires oublieux des paroles de l’Internationale (« Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César ni tribun »).
En Kabylie, où le FFS avait appelé au boycott, la participation oscille entre 30 et 45%, un miracle, disent les observateurs qui n’ont pas vu les électeurs se presser dans les bureaux de vote. Le Soir d’Algérie écrit ainsi :
Cela s’est traduit par le retour aux réflexes d’antan chez les citoyens : à quoi bon voter puisque, de toutes les manières, le résultat est connu d’avance ! C’était en tout cas l’ambiance générale constatée jeudi dans les centres et bureaux de vote à Alger. D’El-Biar à Bab-el-Oued, en passant par les Tagarins, le topo est identique : en milieu d’après-midi, là où nous sommes passés, seuls les agents préposés à l’organisation du scrutin occupaient les lieux ! Peu ou prou d’électeurs dans tous ces centres, il était en plus vraiment rarissime de rencontrer sur ces mêmes lieux les représentants des candidats, à l’exception de ceux de Bouteflika. « Mais pourquoi voulez-vous que je vote ! » nous répondra tout simplement l’un d’entre eux. « Si je suis là, c’est uniquement pour avoir ça ! » explique-t-il en brandissant un billet de 1000 DA !
Même Louisa Hanoune, qui ne ménageait pas son soutien à Bouteflika au nom de « l’union nationale » (elle avait approuvé la modification de la constitution), Louisa Hanoune qui entretient de cordiales relations avec le pouvoir, se réveille avec la gueule de bois. Le Matin rapporte :
Elle vient de se réveiller : « Je rejette globalement et dans le détail les résultats officiels » de cette élection annoncés vendredi par le ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni, a déclaré lors d’une conférence de presse à Alger Mme Hanoune.
Louisa Hanoune ? C’est cette femme aux imprécations, celle qui disait : « Malédiction aux partisans du boycott ! »
Louisa Hanoune ? C’est celle qui appelait à se mobiliser le jour du scrutin pour barrer la route aux "ennemis de la nation"
Cette même Louisa Hanoune vient de déclarer samedi après-midi, ceci : "Aucune des 48 wilayate n’a échappé à la fraude"
La secrétaire générale du Parti des travailleurs algériens (PT) a ajouté : "Ils ont bourré les urnes et falsifié les procès-verbaux établis après le dépouillement des bulletins de vote.
Louisa Hanoune a également remis en cause le taux de participation de 74,54% annoncé par le ministre de l’Intérieur. "La participation était appréciable mais en aucun cas elle ne pouvait atteindre 74%", a-t-elle dit.
Selon les estimations de son parti, le taux de participation à l’élection de jeudi se situait autour de 52%,
« Malédiction aux partisans du boycott ! »
Le pays pourtant ne va pas bien. En dépit de la manne pétrolière et gazière des dernières années, le ravitaillement pose toujours des problèmes – récemment, les pommes de terre étaient devenues une denrée rare. Les grèves sont nombreuses et la difficulté de vivre est toujours aussi grande pour l’immense masse de la jeunesse.
Si nos élites et nos journalistes si prompts à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme se taisent, c’est que la ligne est de soutenir Bouteflika et le pouvoir héritier du FLN, car c’est la seule solution conforme aux intérêts bien compris du maintien de l’ordre dans Afrique du Nord qu’on veut arrimer à l’UE en la transformant en arrière-cour de l’Europe, comme l’Amérique Latine était l’arrière-cour des États-Unis.
__ (*) Les magazines qui avaient critiqué le régime Bouteflika - Marianne et l’Express - ont été interdits en Algérie la semaine précédent l’élection. (**) Parmi les partis appelant au boycott, on trouve le Front de Forces Socialistes (FFS) de Ait Ahmed, surtout très bien implanté en Kabylie, mais qui représente la principale force alternative au pouvoir militaire à masque civil qu’est le pouvoir de Bouteflika.
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