Pourquoi veulent-ils (encore) tuer Jaurès ?

lundi 30 mars 2009.
 

La campagne pour les prochaines élections européennes a bel et bien commencé. Le Front de gauche est en marche. Vendredi 20 mars, le premier meeting de Jean-Luc Mélenchon, tête de liste dans la région Sud-Ouest, s’est tenu à Carmaux, dans le Tarn, célèbre ville dont Jean Jaurès fut le député et le défenseur infatigable de tant de luttes ouvrières et sociales. La réunion fut un succès, une magnifique salle pleine et enthousiaste.

En riposte, la veille au soir, le Front national de Midi Pyrénées avait collé sur les murs une affiche proclamant : « Jaurès aurait voté Front national » et reprenait une citation du grand théoricien socialiste et républicain : « A celui qui n’a plus rien, la Patrie est son seul bien ! ». Un communiqué du parti fasciste accompagnait cette opération en dénonçant le « socialo-trotskyste Mélenchon » et affirmait que « la seule formation qui défend les valeurs de justice sociale et d’humanisme est le FN ».

La méthode est ancienne de la part de l’extrême-droite et tout particulièrement de Le Pen : c’est le mélange du révisionnisme historique et de la captation d’héritage (ne s’est-il pas enrichi en récupérant l’héritage d’un jeune milliardaire malade et perturbé psychologiquement ?). Cette citation de Jaurès était déjà fréquemment utilisée dans ces discours par le leader frontiste il y a quelques années. Au nom du « Ni droite, ni gauche, français ! » inventé par le collabo Doriot, le FN mixte toutes les pages de l’histoire de notre pays pour produire une potion infâme, incohérente, où les grandes figures du combat pour l’émancipation humaine, grands combattants de la gauche républicaine, se retrouvent, après leur mort, embarquées dans les sacoches des héritiers de ceux qui les ont toujours combattus de leur vivant. Cette formation explique avec aplomb par exemple que la « préférence nationale », colonne vertébrale de leur programme, est une invention de la gauche et de la CGT, ou encore que le FN est l’héritier des soldats républicains de Valmy qui luttaient contre les armées monarchistes, etc. Si cette méthode est abjecte et souvent grossière, il faut relever qu’elle a été utilisée avec aussi peu de finesse, lors de la dernière campagne présidentielle par le candidat Sarkozy qui a non seulement réutilisé des slogans du FN (« La France, aimez-là ou quittez-là ! »), mais s’est aussi réclamé de Jaurès, de Blum, et du combat historique de la gauche.

L’objectif de la manœuvre est là. Créer la confusion dans l’électorat de gauche, pour affaiblir et disloquer l’adversaire.

Pour nous, que le FN nous cible comme son principal adversaire dans la région Sud-Ouest est un honneur auquel nous ne nous dérobons pas. Bien au contraire. Face à de tels adversaires, comme dirait Cyrano de Bergerac, « on n’abdique pas l’honneur d’être une cible ».

D’autant que les effets de cette « manœuvrette » sont en réalité assez limités. Il ne faudrait pas prendre le peuple de gauche pour une masse d’imbéciles incultes. Et le « bon coup » d’un soir risque d’être un flop.

Mais, si les frontistes sont les spécialistes de ces pratiques de détournement, c’est la première fois qu’ils lui donnent une telle dimension en imprimant et collant ce genre d’affiches. Et, cela amène quelques réflexions. Premièrement, ceci est très symptomatique du contexte de crise sociale dans laquelle se déroule cette campagne électorale. Dans les années 80, Le Pen s’affichait avec le président américain ultra libéral Ronald Reagan, celui-là même qui a enclenché la révolution conservatrice à la source de la faillite monstrueuse qui frappe le capitalisme mondial. Il y a quelques années, les frontistes collaient des affiches demandant la suppression de l’ISF (ce qu’ils réclament toujours, mais plus discrètement), des facilités pour licencier, la fin des 35 heures de travail hebdomadaires et le passage aux 42 heures, plus de pouvoir pour les patrons et moins pour les syndicats, bref du « sarko-hard ».

Aujourd’hui, plus facile de coller Jaurès sur les murs, que d’assumer ce programme ultra libéral ou d’arborer les photos des théoriciens racistes et des profiteurs qui dirigent le FN depuis sa création. Un exemple, quelques jours auparavant, Bruno Gollnisch, éternel n°2, publiait un communiqué sur le site du FN, qui regrettait que les ouvriers de Key Plastics, filiale de PSA à Sochaux, se mettent en grève. Mais ce n’est pas vraiment sur cette ligne que les fachos affichent et mènent campagne. Pour l’heure, ils préfèrent faire profil bas car ils savent qu’ils prendraient, eux aussi, des œufs par les salariés en colère.

Deuxièmement, cette campagne est révélatrice du problème que pose le mouvement social à l’offensive et l’existence du Front de gauche au mouvement d’extrême droite. Désormais, ils sont face à une force populaire qui mène le combat pour la justice sociale, et pour le respect de la souveraineté populaire. Le respect du Non du 29 mai 2005, c’est nous et pas l’extrême-droite. Notre conception de la Patrie fait écho à notre conception de l’Europe. Comme Jaurès, la Patrie dont nous nous réclamons c’est la Patrie républicaine, exigeante, sociale, partageuse et accueillante. Notre Patrie est née de la Révolution française. C’est cette rupture avec l’ancien régime, monarchiste (défendue d’ailleurs par beaucoup d’ultra du FN) qui constitue les bases de notre pays. Pour nous, comme pour Jaurès, c’est la République qui fonde la Nation, et non l’inverse. Notre « identité nationale », c’est la République avec ses conquêtes sociales arrachées par le combat historique du mouvement ouvrier contre lequel s’est toujours dressé le FN et ses ancêtres contre-révolutionnaires, pro-monarchistes, antirépublicains et collaborateurs. La France que nous aimons, c’est la France rebelle, combattante et sociale. La France de Robespierre et de la Commune de Paris, de juin 36, de mai 68. C’est celle qu’aimait Jaurès. C’est celle que détestent les frontistes. Et bien, puisqu’ils ne l’aiment pas, qu’ils la quittent !

Les valeurs de la République que nous défendons sont universalistes, internationalistes. Durant cette campagne électorale, ce que nous proposons pour la France, nous le proposons à tous les autres pays d’Europe, et du monde. C’est là notre combat pour « républicaniser l’Europe », dans la continuité du combat du grand Jaurès.

Enfin, la patrie républicaine de Jaurès, parce qu’elle est politique et non ethnique ou religieuse comme c’est le cas dans tant de pays (et comme le voudraient le FN en France), est, au-delà d’un mode d’organisation institutionnel, une modalité d’action politique et d’émancipation sociale. C’est en cela que la Patrie, dans sa conception républicaine, est un outil pour les pauvres face aux possédants. Parce qu’elle est porteuse d’égalité sociale, qu’elle est dotée de services publics, qu’elle défend les droits du travailleur, elle est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. C’est pourquoi Jaurès dit qu’elle est le seul bien de ceux qui n’ont plus rien. On est là aux antipodes de la vision frontiste.

150 ans après sa naissance, les mêmes qui avaient armé la main de son assassin, qui ont insulté sa veuve, attaqué son honneur, salit sa fille, détruit ses ouvrages, reviennent à la charge. Jaurès avait l’habitude de les affronter. « Depuis des années, c’est partout que j’ai rencontré les hurlements de cette horde nationaliste », « je me sens couvrir de crachats » dira-t-il un soir de lassitude.

150 ans plus tard, sur le grand homme, les mêmes crachent encore, cette fois ci en se réclamant de lui. Faut-il que ses idées soient fortes pour que ses adversaires acharnés s’obstinent encore à les travestir et les détourner ? Sans doute.

Et, modestement, pour notre part, ses idées nous inspirent toujours. Voilà pourquoi, encore et toujours, ils voudront tuer Jaurès !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message