Bien que très loin d’une situation révolutionnaire, les événements de mai-juin 1968 créèrent, pour une courte période, les conditions de l’émergence d’un parti dépassant la simple addition des forces éparses de l’extrême gauche. Cette opportunité fut manquée par le mouvement trotskyste. Elle ne s’est pas représentée depuis. Aujourd’hui, face à la guerre de classe engagée par la bourgeoisie, l’absence d’un tel parti se fait toujours cruellement sentir. Mais ce problème se pose d’une façon bien différente. Et ce d’autant plus que la majeure partie des organisations qui se réclamaient du communisme révolutionnaire ou du trotskysme, il y a cinquante ans, y ont renoncé les unes après les autres.
Le mouvement de contestation de la jeunesse étudiante, puis la grève générale qui paralysa la France durant plus d’un mois à partir du 13 mai 1968, permirent aux idées révolutionnaires et aux organisations d’extrême gauche de sortir de leur isolement et d’apparaître au grand jour et, avec elles, les drapeaux rouges et le vocabulaire de la révolution.
En raison cependant de la faiblesse de l’implantation de l’extrême gauche dans la classe ouvrière, cette dynamique ne pouvait contrebalancer le poids hégémonique que s’y étaient assuré au fil des décennies les appareils syndicaux, et en tout premier lieu la CGT, ainsi que le PCF.
D’abord brièvement pris de court par l’agitation étudiante, puis par la volonté d’une fraction des travailleurs de continuer la grève qui s’était spontanément étendue au lendemain du 13 mai, ces appareils reprirent par la suite le contrôle de la situation. S’entendant dans un second temps avec le patronat lors des discussions de Grenelle, ils bradèrent toutes les revendications essentielles des travailleurs en contrepartie d’une hausse dérisoire des salaires au regard de l’ampleur du mouvement, que l’inflation allait effacer rapidement. Et si le smig (l’ancêtre du smic) fut pour sa part revalorisé de 35 %, cela ne concernait que 7 % des salariés et ne faisait en outre que rattraper le retard accumulé depuis des années.
La CGT, la plus influente des organisations syndicales, et les autres confédérations avaient sabordé le plus grand mouvement de grève que la France ait connu par le nombre de participants, près de dix millions, en échange d’avantages pour leur propre compte. Si la reconnaissance des sections d’entreprise accroissait la représentation des travailleurs, l’instauration des délégués syndicaux, désignés par la hiérarchie syndicale, les commissions paritaires de l’emploi par branche professionnelle et le gros fromage de la formation professionnelle étaient profitables aux appareils. Pour l’appareil de la CGT, s’y ajoutait la fin de l’ostracisme à son égard dans des organismes comme le Bureau international du travail (BIT), ostracisme découlant de la guerre froide.
Entreprise par entreprise, leurs militants mirent toute leur influence pour faire reprendre le travail. Ils expliquèrent que, à la faveur des législatives décidées par de Gaulle, les travailleurs auraient une deuxième chance de faire valoir leurs revendications, en votant en faveur d’un « gouvernement populaire ». Mais c’est le pouvoir gaulliste qui sortit vainqueur des élections.
Durant quelques semaines, des dizaines de milliers de lycéens, étudiants et travailleurs avaient pu observer et percevoir les ressorts de cette trahison et ces manœuvres. Leur enthousiasme et leur éveil politique, préparé dans la décennie précédente par les mobilisations contre la guerre d’Algérie puis la guerre du Vietnam, et la remise en cause de l’emprise qu’exerçait jusque-là le Parti communiste sur une fraction de l’opinion populaire, les amenaient à se tourner vers les organisations d’extrême gauche, sans saisir le plus souvent ce qui les différenciait.
Indépendamment des calculs politiques de ses organisateurs, qui voyaient un recours en Pierre Mendès France, 35 000 personnes se retrouvèrent ainsi le 27 mai au meeting du stade Charléty, appelé par le principal syndicat étudiant, l’Unef, la CFDT, le SNESup (le syndicat des enseignants du supérieur), la Fédération de l’éducation nationale. Le PSU et une grande partie de l’extrême gauche y étaient également présents.
L’existence de cette mouvance, et ce à l’échelle du pays, reposait de façon concrète la question de l’absence d’un parti révolutionnaire. Ces deux mois avaient créé en quelque sorte la première condition de sa reconstitution.
En s’unifiant, les organisations révolutionnaires auraient été en mesure de bâtir un cadre à l’intérieur duquel ces dizaines de milliers d’intellectuels et de travailleurs auraient pu choisir démocratiquement entre les divers courants trotskystes, maoïstes ou libertaires.
En raison de l’hétérogénéité de ses composantes, un tel cadre aurait été certes éloigné du type de parti nécessaire, sur les bases programmatiques et organisationnelles du bolchevisme. Mais attirer une fraction significative du milieu qui se reconnaissait d’une manière ou d’une autre, et pour la première fois depuis des décennies, dans la perspective révolutionnaire, aurait alors constitué un incontestable pas en avant. La clarification entre les tendances et les orientations, jusque-là difficile à faire comprendre car s’opérant en vase clos, au sein de chaque organisation, aurait pu s’effectuer, sous les yeux de tous et à une tout autre échelle.
L’existence de trois organisations se revendiquant du trotskysme, l’Organisation communiste internationaliste (OCI) lambertiste, la future Ligue communiste révolutionnaire (LCR)[1] et Lutte ouvrière, aurait pu en outre lui permettre de jouer un rôle déterminant dans l’évolution d’un tel regroupement et, du même coup, de se développer dans la classe ouvrière.
C’était le sens de la proposition que fit alors Lutte ouvrière[2]. Mais aucune organisation n’accepta d’en explorer ne serait-ce que la faisabilité. Tout au plus avons-nous réussi à initier un éphémère comité de liaison entre des groupes trotskystes, qui ne réunissait que la LCR, LO et l’AMR (Alliance marxiste révolutionnaire), afin de coordonner certaines actions et surtout d’échanger nos points de vue.
L’opportunité de jeter les bases d’un tel parti ne dura sans doute pas plus de quelques mois. Le refus de l’OCI d’un côté et de la JCR-LC (Jeunesse communiste révolutionnaire-Ligue communiste) de l’autre de s’inscrire dans cette perspective fut d’autant plus dommageable que l’aspiration à renverser l’ordre social, apparue dans un milieu relativement large en mai-juin 1968, reflua dans les mois qui suivirent.
Quant au courant maoïste, qui attira la part la plus grande de la jeunesse contestataire étudiante, il était trop hostile au trotskysme, trop gangrené par le stalinisme dont il était issu et se réclamait, et aveuglé par les mirages de la prétendue révolution culturelle chinoise, dans laquelle il prétendait voir le prolongement de la révolution d’Octobre, pour se sentir concerné par la perspective de construction d’un cadre commun. L’entrée d’une partie de ses militants intellectuels en entreprise, les établis, comme ils disaient, n’y changeait rien, car elle reposait sur l’idée d’un soulèvement proche de la classe ouvrière et sur des méthodes individuelles, faites de provocations et d’actes vengeurs qui, même lorsqu’ils étaient vus avec sympathie par une partie des travailleurs, ne pouvaient en aucune manière élever leur conscience. En raison de ces choix politiques, le déclin du maoïsme fut aussi rapide qu’avait été son ascension. Quant à ses dirigeants, souvent issus des plus grandes écoles, la plupart d’entre eux abandonnèrent toute idée de combattre le capitalisme et réintégrèrent le giron de la bourgeoisie et ses valeurs.
L’opportunité fournie par la situation ouverte par mai-juin 1968 ne se prolongea guère au-delà d’une courte période. L’enthousiasme, la curiosité, l’envie d’agir et de s’organiser pour le faire retombèrent en quelques mois. Et ce fut le PCF qui, en fin de compte, en tira paradoxalement profit, malgré le discrédit lié à son attitude et à ses prises de position au cours du mouvement.
Si le souci de toucher ceux qui, à travers les événements de mai-juin 68, s’étaient éveillés à la politique restait une de nos préoccupations, le contexte ayant changé, le sens de notre démarche n’était plus le même un an plus tard, quand nous avons apporté notre soutien militant à la candidature d’Alain Krivine, candidat de la Ligue communiste à l’élection présidentielle de juin 1969.
Nous restions convaincus que la division de l’extrême gauche ne devait pas empêcher une démarche unitaire lorsqu’elle était possible, comme ce fut par exemple le cas lors des élections municipales de 1977 avec la LCR ou l’Organisation communiste des travailleurs (OCT) autour des listes « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs », puis à l’occasion des élections européennes, avec la seule LCR cette fois, en 1979, ou encore lors de certaines campagnes, comme celle pour la gratuité des transports en commun que nous avions initiée en région parisienne au début des années 1970. Et cela devait encore moins empêcher la discussion fraternelle, la confrontation des expériences comme des analyses que, pour notre part, nous avons toujours recherchées.
La Ligue communiste accepta des discussions et même l’idée d’un rapprochement entre nos organisations. Cependant, nous ne nourrissions alors plus d’illusions sur l’issue d’une telle démarche, les dirigeants de la Ligue communiste partageant au fond avec ceux de l’OCI la conviction qu’ils seraient à même d’entraîner vers eux seuls la jeunesse, notamment intellectuelle, regardant vers l’extrême gauche. De même qu’ils partageaient l’idée que les événements de mai-juin 1968 avaient été une sorte de répétition générale, préfigurant une situation révolutionnaire imminente dont ils prétendaient former l’avant-garde.
Aussi, les discussions avec la Ligue communiste, qui avaient débouché en 1971 sur un protocole d’accord définissant les étapes d’une fusion de nos deux groupes, achoppèrent-elles sur la simple idée d’un hebdomadaire commun.
Le courant lambertiste se flattait pour sa part de longue date d’incarner la fidélité au Programme de transition de Trotsky et n’était pas avare de ses leçons. Son aveuglement l’avait pourtant amené par exemple à voir dans la défaite de De Gaulle au référendum d’avril 1969 une « victoire de la classe ouvrière ». Mais il ne changea rien, ni dans son attitude, ni dans ses méthodes, et continua son existence séparée.
Et il en alla de même sur le plan international, où nos tentatives de rapprochement, et même de simples échanges de vue, se heurtèrent à l’inertie, à l’incompréhension ou à la volonté des différents regroupements se disputant l’étiquette de la IVe Internationale de soumettre notre courant à leurs orientations, sans rien changer à leur politique ni à leurs méthodes organisationnelles.
Quelques années à peine après avoir expliqué que Mai 68 avait été, à l’instar de l’insurrection de 1905 en Russie, l’annonce de « la révolution prolétarienne en France », l’OCI et la LCR y substituèrent une politique plus que bienveillante à l’égard de l’Union de la gauche et du Programme commun signé par le PS et le PCF. Sous couvert de constituer cette fois une « avant-garde large », et d’adopter une « démarche unitaire systématique », c’était se placer à la remorque des réformistes. La même attitude prévalut dans le cadre syndical, l’OCI dans Force ouvrière, la LCR dans la CFDT, où leurs militants respectifs firent le choix de s’investir prioritairement, d’en gravir les échelons si on leur en laissait le loisir, tout en renonçant à mener un combat sur le terrain politique en direction des travailleurs du rang.
L’OCI, qui compta probablement jusqu’à une dizaine de milliers d’adhérents dans cette période, avança dans ce sens. Ses dirigeants agissaient comme s’ils avaient voulu se faire reconnaître par le PS et le PCF comme les seuls partenaires sérieux sur leur gauche. En 1973, ils appelèrent à voter pour ces deux partis à l’exclusion… des radicaux de gauche, troisièmes signataires du Programme commun, mais vilipendés, eux, comme « représentants du patronat ». Après l’échec de Mitterrand à la présidentielle de 1974, l’OCI se lança dans une campagne pour un gouvernement PS-PC, présenté comme une étape indispensable… pour la prise de conscience par la classe ouvrière de l’impasse du réformisme. C’était confondre la politique de front unique dans les luttes ouvrières, défendue par Trotsky, et celle de front populaire, qu’il avait combattue. C’était également renoncer au devoir des révolutionnaires, qui est de mettre en garde les travailleurs contre ce type d’illusions et de les préparer à ne compter que sur leurs propres forces.
L’OCI refusa d’ailleurs de se présenter à la présidentielle de 1981, comme aux législatives qui suivirent, et appela à voter Mitterrand dès le premier tour. Elle prétendit ensuite que son élection était une victoire de la classe ouvrière « contre les capitalistes et les banquiers ». Singeant les mots d’ordre bolcheviks de l’année 1917, l’OCI appela les travailleurs à « chasser les ministres bourgeois », en l’occurrence ceux du Parti radical de gauche. Son suivisme confinait au ridicule. Il se doublait en outre d’une hostilité non feinte envers ceux qui, comme notre courant, s’étaient présentés aux élections pour affirmer la présence des idées révolutionnaires et la nécessité pour les travailleurs de ne pas s’en remettre aux vendeurs de rêve et autres bateleurs de la gauche réformiste.
La LCR conserva une ligne moins ouvertement suiviste et ne ménagea pas ses critiques à la gauche après la signature du Programme commun de 1972. Elle présenta de nouveau Alain Krivine à la présidentielle de 1974. Et, forte d’une certaine notoriété au sein de la jeunesse scolarisée, elle attira une fraction non négligeable de la jeunesse, plus particulièrement étudiante, ce qui lui permit de revendiquer autour de 4 000 membres, le double de sympathisants, et de compter des dizaines de permanents et semi-permanents. Son journal, Rouge, se transforma durant près de trois ans en quotidien.
Mais, à l’approche des législatives de 1978, qui semblaient promises à la gauche, les dirigeants de la LCR se firent conciliants. En septembre 1977, ils déclarèrent : « Pour en finir avec l’austérité, pour chasser le gouvernement Giscard-Barre, pour imposer les solutions ouvrières à la crise, il faut l’unité ouvrière. » Cette formule augurait un soutien de facto à l’union PS-PC. La LCR avait aussi en commun avec l’OCI de réserver ses plus vertes critiques aux dirigeants du PC, notamment lorsqu’elle les rendit responsables de la rupture de l’Union de la gauche et de sa défaite aux élections de 1978. Le mot d’ordre « Battre Giscard » continua à lui servir de viatique pour soutenir la perspective d’un gouvernement PS-PC censé ouvrir une brèche dans laquelle « pourrait s’engouffrer la combativité des travailleurs », et les révolutionnaires à leur suite. Au premier tour de la présidentielle de 1981, sans présenter elle-même de candidat, la LCR appela à voter indifféremment pour notre camarade Arlette Laguiller, Huguette Bouchardeau (PSU), Georges Marchais (PCF) ou même François Mitterrand. Elle interpréta elle aussi l’élection de ce dernier comme une poussée à gauche et une sorte de victoire posthume de Mai 68. Et elle fournit son service d’ordre pour fêter cette « victoire » à la Bastille le 10 mai 1981.
Plusieurs cadres de l’OCI, et même des pans entiers de celle-ci, comme de la LCR rompirent dans cette période avec le trotskysme pour se fondre dans le Parti socialiste. Plusieurs en devinrent même des cadres dirigeants, à l’instar d’Henri Weber, l’un des fondateurs de la LCR, de Julien Dray, de Mélenchon ou de Jean-Christophe Cambadélis qui, d’ancien responsable de l’OCI, allait devenir premier secrétaire du PS.
Loin d’ouvrir un boulevard aux travailleurs et à l’extrême gauche, l’arrivée de la gauche au gouvernement, suivie quelques années plus tard de la dislocation du bloc soviétique, se traduisit par l’effondrement électoral et surtout militant du PCF, une forme d’abattement et de démoralisation dans la classe ouvrière dont elle n’est pas sortie à ce jour.
L’OCI, après s’être renommé Parti communiste internationaliste (PCI), fut la plus prompte à se fondre en tant qu’organisation trotskyste à partir du milieu des années 1980 dans un Mouvement pour un parti des travailleurs (MPPT), qui deviendra le Parti des travailleurs (PT) puis, plus récemment, le Parti ouvrier indépendant (POI), qui a lui-même scissionné depuis 2016. Ces formes successives, censées initier des regroupements larges et démocratiques, ont en commun, outre un certain sectarisme hérité du courant lambertiste, de s’éloigner à grandes enjambées, non seulement du Programme de transition, mais des bases mêmes du marxisme. Leurs fondements : défense de la laïcité, dénonciation des institutions de la Ve République, indépendance des syndicats et des partis, reconnaissance de la lutte des classes et, de plus en plus, une obsession antieuropéenne et souverainiste, proche des positions d’un Chevènement ou d’un Mélenchon, pour lequel d’ailleurs le POI a appelé à voter lors de la présidentielle de 2017.
La LCR a suivi, plus lentement, la même pente. De longue date, ses responsables justifiaient leur investissement dans des organisations mouvementistes, antiracistes, écologistes ou altermondialistes, par le souci d’être « là où ça bouge », de façon à gagner à elle certains de ses acteurs. Outre le fait que ces organisations et ces mouvements servaient souvent de faux-nez à la social-démocratie, et qu’ils étaient avant tout issus de la petite bourgeoisie, ils restèrent tout à fait imperméables, quand ce n’était pas hostiles, au marxisme. En revanche, leurs idées sont devenues de plus en plus celles des militants de la LCR qui s’y trouvaient engagés.
La LCR a continué simultanément à promouvoir une « vraie politique de gauche » ou « 100 % à gauche », lui permettant de maintenir l’espoir d’être reconnue comme un partenaire à part entière. À la présidentielle de 1988, elle décida de soutenir Pierre Juquin, un ancien apparatchik du PCF, qui n’avait ni troupes ni autre perspective que de rénover la gauche sur des bases social-démocrates. Le prétexte était, déjà, de permettre la création d’un « parti anticapitaliste large ». En 1995, la LCR appela à voter indifféremment pour Robert Hue, le candidat du PC, Dominique Voynet (Verts) ou notre camarade Arlette Laguiller. Ce non-choix en était bel et bien de nouveau un.
C’est en 2002, après le relatif succès électoral d’Olivier Besancenot à l’élection présidentielle, où la LCR présentait pour la première fois un candidat depuis 1974, qu’elle engagea sa véritable mue. L’étiquette communiste et révolutionnaire n’avait pourtant pas empêché son candidat de gagner un certain crédit dans les milieux populaires et auprès d’un public militant. Entre-temps, la LCR avait appelé, il est vrai sans l’assumer explicitement, à voter Chirac au second tour de la présidentielle de 2002, au motif de « battre Le Pen dans la rue et dans les urnes ».
En 2009, cette orientation a débouché sur la constitution du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Les trotskystes y étaient à l’initiative, mais au milieu de multiples courants et sensibilités, qui vont du féminisme aux libertaires en passant par les partisans de la décroissance. Et si cette organisation a dans un premier temps connu un relatif afflux, elle a depuis perdu l’essentiel de ses forces, en raison notamment de l’attraction que Mélenchon exerçait sur ses militants et sur certains de ses dirigeants.
En l’absence d’une mobilisation de la classe ouvrière autour de ses intérêts de classe, la volonté de l’OCI puis de la LCR de créer des organisations larges était vaine et tournait le dos aux idées qui avaient justifié jusque-là leur existence. Leur démarche s’est en outre effectuée, contrairement à celle que nous avions tenté d’initier en 1968, en dehors, c’est le moins qu’on puisse dire, de toute poussée vers la gauche ou l’extrême gauche.
Or c’est justement dans ces périodes de recul que les communistes révolutionnaires doivent défendre leurs perspectives avec le plus de clarté, sans renoncer à leur identité, à leur drapeau, aux leçons tirées des expériences passées du mouvement ouvrier.
Il est également de leur devoir de saisir toutes les opportunités, à commencer par les élections, pour s’adresser à de larges couches de la population laborieuse au nom même des idées communistes. Et lorsque, en 1995, notre camarade Arlette Laguiller a obtenu plus de 5 % à l’élection présidentielle, nous avons prolongé notre campagne en cherchant à vérifier si une fraction de ces 1 600 000 électeurs pouvait être gagnée à l’idée de participer à la construction d’un véritable parti des travailleurs. Si tel avait été le cas, cela aurait pu être un pas important dans cette perspective. Mais il y avait, hélas, loin entre le courant de sympathie que nous avions rencontré et un tel engagement.
Cinquante ans après 1968, le problème posé par l’absence d’un parti révolutionnaire reste donc entier. Il ne pourra se construire indépendamment d’une remontée ouvrière.
Il dépend des militants communistes révolutionnaires, en revanche, que ces périodes à venir posent et résolvent le problème du renversement de la bourgeoisie par les travailleurs. De ce point de vue, la situation peut paraître beaucoup plus défavorable aujourd’hui qu’en 1968. L’amenuisement considérable de la présence du PCF dans les entreprises ou les quartiers populaires durant des décennies, n’a pas été compensé. Et, surtout, le recul de la conscience dans la classe ouvrière favorise la bourgeoisie dans sa guerre sociale, dans la diffusion de ses valeurs et de sa morale.
Les organisations syndicales et les partis de gauche en portent une très lourde responsabilité, pour avoir distillé notamment les idées réformistes ou chauvines lorsqu’ils étaient dans l’opposition, puis en raison de la politique qu’ils ont menée ou soutenue au gouvernement.
La responsabilité que doivent porter ceux qui continuent à se reconnaître dans la perspective révolutionnaire n’en est que plus grande. Elle repose, comme cela fut le cas pour des générations de militants dans les périodes de reflux du mouvement ouvrier, sur notre ténacité à défendre contre les vents dominants les idéaux du communisme, et à faire vivre ce programme d’émancipation dans la classe ouvrière.
29 mars 2018
[1] En 1953, Pierre Boussel, dit Lambert, avait été le chef de file, au sein de la IVe Internationale, des opposants à la politique d’entrisme dit sui generis dans les partis communistes, préconisée par son dirigeant Michel Pablo. La Ligue communiste fut constituée en 1969 par le Parti communiste internationaliste (PCI), lié au Secrétariat Unifié (SU) de la IVe Internationale, et la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Elle devint en 1974 la Ligue communiste révolutionnaire.
[2] « Charléty ne consacra pas la naissance d’un parti révolutionnaire, mais la possibilité demeure », Lutte ouvrière no 2 du 3 juillet 1968 ; « Des groupuscules au parti », Lutte ouvrière no 3 du 10 juillet 1968 ; « Vers le parti révolutionnaire », Lutte ouvrière no 4 du 17 juillet 1968 ; « La question du parti », Lutte ouvrière no 5 du 1er août 1968. Ces numéros sont disponibles sur https://journal.lutte-ouvriere.org/...
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