1968 Le collectif d’un mouvement social et étudiant (Gérard Alezard, CGT Paris)

mardi 10 mars 2009.
 

par Gérard Alezard, ancien dirigeant confédéral, secrétaire de l’UD CGT de Paris en 1968

Ancien dirigeant confédéral, secrétaire de l’UD CGT de Paris en 1968Mai 68, cinquante ans et toujours présent  ! L’empreinte, forte, de ce qui fut le plus grand mouvement de notre histoire continue à marquer l’actualité. Je ne veux pas jouer les anciens combattants, mais simplement témoigner de ce que j’ai vécu, sans enjoliver, sans idéaliser ni le mouvement ni la CGT, avec en fond de scène la plus grande action commune d’étudiants et de salariés jamais égalée en France et dans le monde  : une grève inédite générale, décidée par les salariés eux-mêmes, avec occupation du lieu de travail, reposant sur la démocratie ouvrière et le souci de la solidarité active de la population. 1968, c’est aussi l’explosion de la parole, l’appropriation de la dignité, la conjugaison de l’individuel et du collectif, et encore la maîtrise de la dynamique du couple négociation et luttes. Et une victoire sociale, interprofessionnelle, qui reste sans équivalent  !

Orage dans un ciel serein  ? Dirigeant de l’union départementale CGT de Paris, j’ai traversé toute cette séquence au cœur des événements, 24 heures sur 24, avec une certitude, acquise par l’expérience  : Mai 68 n’est pas né en mai.

La maturation s’est faite à travers nombre de luttes, lourde accumulation de «  dix ans de gaullisme  »  : mineurs en 1963, grandes grèves avec l’accord CGT-CFDT en 1966, puis 1967 qui a battu tous les records avec 450 000 journées de grève et, début 1968, des mouvements pluriels dans tous les secteurs… Et la CGT avait fixé une conférence et un festival de la jeunesse sur le thème «  la CGT donne la parole à la jeunesse  »  ! Trois domaines mobilisaient alors ce syndicat à Paris  : défense de l’emploi, défense de la Sécurité sociale, et donc aussi préparation de ce festival, prévu les 17, 18 et 19 mai  ! Si «  les événements  » ont bouleversé ce calendrier, le 1er Mai n’est pas né de rien. Comment oublier cette journée où, à l’appel de la CGT, 100 000 manifestants reconquirent le pavé de Paris, après quatorze ans d’interdiction du 1er Mai  ?

La CGT et les étudiants à Paris  ? On connaît les thèses vieilles de cinquante ans  : au mieux, «  la CGT a pris le train de l’université en marche  »  ; au pire «  le syndicat a cassé le mouvement…  »… Si ces mauvaises querelles subsistent, avec le recul, les faits plaident tout autrement pour la CGT comme pour le mouvement des étudiants. L’expérience parisienne en porte témoignage.

Sans doute, la CGT n’a pas mesuré toute la profondeur ni le sens de ce qui naissait alors  ; sans doute a-t-elle prêté à l’ensemble du mouvement étudiant des manifestations d’extrémisme qui marquaient la direction de l’Unef. Sans doute, les étudiants vitupéraient les syndicats à travers un prisme déformé du «  mouvement ouvrier  ». En tout état de cause, la première a joué un rôle capital pour ce qui reste la plus grande grève de l’histoire sociale et les seconds ont amplement contribué à faire que mai-juin 68 hantent encore le système économique et social comme producteurs de sens, de mythes, mais aussi de conscience et d’affirmation de solidarités nouvelles entre deux mondes qui s’ignoraient.

En vérité, il n’y avait pas «  les  » étudiants, mais «  des  » étudiants, voire «  des  » responsables, et «  des  » organisations avec des comportements et des rapports différents envers les salariés et leurs syndicats… Et, précisément à Paris, la proximité des facultés et la présence de quelque 300 000 étudiants, d’une part, une sensibilité syndicale plus vive aux liens entre formation et vie sociale dans une capitale aux 400 000 ingénieurs, techniciens et cadres, d’autre part, expliquent que, en 1968, sans nier les moments conflictuels, les rapports ont été marqués au coin de la connaissance et de la solidarité mutuelles. Ces relations ont été préservées, y compris durant les moments les plus aigus des conflits entre mouvement étudiant et CGT. Ce n’est pas un hasard si c’est l’UD CGT de Paris qui, dès le 6 mai, seule, la première, exprime sans ambiguïté sa solidarité aux étudiants victimes de la violence policière, tandis que Georges Séguy, au nom de la CGT, propose le 11 aux autres organisations syndicales une rencontre d’urgence et la journée de grève du 13, qui devait dépasser les prévisions les plus optimistes et favoriser l’extension du mouvement dans la France entière.

Démocratie au quotidien. Et surtout, j’ai vécu, grandeur nature, au jour le jour, la dynamique de la démocratie dans les entreprises, à la fois facteur et résultante de la lutte. Dans un apprentissage spontané, poussés par une forte aspiration démocratique et sur les formes de la grève, sur le social mais aussi sur l’économique, démocratie sociale et économique, démocratie syndicale et ouvrière, rapport entre individuel et collectif ont fait leurs classes avec succès. Référence pour les salariés, les étudiants, les citoyens, les données de 1968 n’ont pas cessé de hanter les milieux dirigeants et le chœur des liquidateurs patentés. Brouiller, falsifier, rayer de la carte et surtout s’attaquer aux acquis sociaux de 68  : pouvoir d’achat, protection sociale, services publics, industrie… Et le gouvernement du «  coup d’État démocratique  » d’Emmanuel Macron est bien dans la ligne  ! Pour lui, l’objectif n’a pas changé depuis cinquante ans  : effacer du patrimoine national tout ce qui a fait 68, le mouvement étudiant et social, les aspirations et les résultats, les empreintes qui animent ou sollicitent les luttes des salariés pour défendre les acquis et conquérir de nouveaux droits. En un mot, tout ce qui peut servir aujourd’hui de repères pour recréer des solidarités de lutte en se gardant de tout copier-coller.

Telle est bien la base commune aux salariés, aux syndicats, aux citoyens, à tous les acteurs de la transformation sociale, pour trouver les voies d’un mai du XXIe siècle, dans des luttes plurielles riches de convergences et de rassemblement. Ce 50e anniversaire confirme décidément le rendez-vous toujours fixé d’un nouveau collectif solidaire, d’interventions et de conquêtes sociales.


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