27 octobre 1971, Ahmed Timol, indien anti-apartheid est suicidé par la police sud-africaine

dimanche 1er novembre 2020.
 

« Les Indiens ne peuvent pas voler.  » Voilà comment la branche de la sécurité de l’apartheid a expliqué la mort d’Ahmed Timol, dont le corps s’est écrasé au bas du quartier général de la police à Johannesburg, le 27 octobre 1971, cinq jours après avoir été arrêté. «  Les Indiens ne peuvent pas voler  !  » On sent le rire du gros raciste blanc, puant la transpiration, la chemise débraillée, le col noir de crasse, un pantalon qui tient avec des bretelles, les manches relevées mais fier de lui. Officiellement, Ahmed Timol s’est jeté du dixième étage. Tant pis pour lui  : «  Les Indiens ne peuvent pas voler.  » Mais voilà, quarante-six ans après sa mort, à force de volonté, sa famille a réussi à faire rouvrir le dossier.

Le long combat a payé avec le jugement rendu, le 12 octobre, par la Haute Cour de Pretoria au terme d’une nouvelle enquête qualifiée de «  première  » en Afrique du Sud par le juge Billy Mothle. «  Ahmed Timol n’a pas sauté mais a été poussé du bureau 1026 ou du toit  » du commissariat, a conclu le magistrat devant une salle d’audience comble. «  Il ne s’est pas suicidé  », a-t-il poursuivi, la police «  a tué Timol  ».

N’importe qui pouvait ainsi être détenu sans jugement

Indien, Ahmed l’était de par ses origines et, à ce titre, n’était pas admis au sein de l’univers des Blancs, dans cette Afrique du Sud de l’apartheid. Né en 1941 dans le Transvaal (aujourd’hui la province du Mpumalanga), il s’intéresse très tôt à la politique. Il est vrai que son père, Haji, est un ami de Yusuf Dadoo, leader du Transvaal Indian Congress (TIC), qui sera par la suite président du Parti communiste sud-africain (SACP). Ahmed Timol devient enseignant et militant de la lutte antiapartheid, membre du SACP, de l’ANC et de sa branche armée, l’Umkhonto we Sizwe (MK). En décembre 1966, il se rend en Arabie saoudite, officiellement pour participer au pèlerinage à La Mecque, puis, en avril 1967, prend la direction de Londres. De là, il sera choisi pour se rendre en URSS, en compagnie de Thabo Mbeki (successeur de Nelson Mandela comme président de l’Afrique du Sud), pour suivre une formation politique à l’Université internationale Lénine de Moscou. En février 1970, il rentre en Afrique du Sud avec une mission bien précise  : la mise en place des structures clandestines du Parti communiste sud-africain.

Le combat est dur, rude. Depuis 1966, John Vorster, anciennement ministre de la Justice, est premier ministre. Les services de sécurité se déploient et traquent les opposants. Le 22 octobre 1971, Ahmed Timol est arrêté à un barrage. Il sera emmené à la John Vorster Square Police Station de sinistre réputation, considérée comme «  la véritable incarnation de la violence du système d’apartheid  », selon les termes d’un militant. À l’époque, l’Afrique du Sud ségrégationniste utilisait la détention administrative. De 1963 à 1965, n’importe qui pouvait ainsi être détenu pendant trois mois, sans jugement, sans voir ni avocats, ni médecins et encore moins ses proches. En 1965, ce type de détention pouvait durer six mois et, à partir de 1967, indéfiniment.

John Vorster Square Police Station. Un bâtiment austère de ciment bleu au centre de Johannesburg, dont les murs suintent le sang des torturés. Surtout aux 9e et 10e étages, spécialement conçus pour les exactions de la branche sécurité. Devant la Haute Cour de Pretoria, ce mois-ci, se sont succédé pendant plusieurs semaines des médecins légistes, un ancien policier et des militants antiapartheid, qui ont décrit les tortures infligées par le régime ségrégationniste. Un ex-policier repenti a détaillé la machine «  à broyer  » du gouvernement raciste  : les électrochocs si puissants que «  peu pouvaient les supporter  », les testicules «  écrasés comme du poivre  », les «  balayeurs  », ces agents chargés de garder intacte la réputation de la police… Des médecins légistes ont décrit les blessures d’Ahmed Timol avant sa chute, notamment sa mâchoire cassée et son crâne fêlé.

En 1972, la famille d’Ahmed obtient qu’une enquête soit diligentée pour élucider les circonstances de sa mort. Celle-ci conclut que «  le meurtre est exclu et le seul fait de l’imaginer est ridicule  ». La police laissait entendre que les communistes avaient pour instruction de se suicider pour éviter de parler. «  Faux  », est venue dire à la barre Stephanie Kemp, 76 ans aujourd’hui, elle-même emprisonnée et torturée, avant de s’exiler à Londres où elle travaillait à plein temps pour le compte du SACP. À ce titre, elle faisait la liaison entre Timol et la direction du parti à l’extérieur. «  Notre mission, en cas d’arrestation, était de retarder toute déclaration aussi longtemps que possible pour que les camarades puissent s’échapper  », a déclaré celle qui n’est rentrée au pays qu’en 1990.

En 1999, Nelson Mandela avait rebaptisé un lycée du nom d’Ahmed Timol.

La plupart des responsables de ce meurtre sont aujourd’hui morts, mais pas tous. Le juge a en conséquence recommandé au parquet de poursuivre Joao Rodrigues, le dernier policier à avoir officiellement vu Ahmed Timol vivant, qui maintient sa version des faits. Pour lui, ce qui est écrit dans le rapport officiel est toujours une évidence  : «  Les Indiens ne peuvent pas voler.  »

Pierre Barbancey Grand reporter


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