S’il n’y a pas dans ce pays une alternative de gauche claire et praticable, si la gauche n’est que la roue de secours du carrosse libéral, des solutions fascisantes feront, hélas, leur chemin (Interview de JL Mélenchon dans Le Parisien Aujourd’hui en France)

vendredi 21 novembre 2008.
 

Sénateur de l’Essonne, ex-ministre délégué à l’Enseignement professionnel dans le gouvernement Jospin, Jean-Luc Mélenchon vient de claquer la porte du PS -à qui il reproche sa dérive droitière- pour fonder, avec Marc Dolez, député PS du Nord, le « Parti de gauche ». Sa priorité : dialoguer avec les communistes et les amis d’Olivier Besancenot.

N’avez-vous pas le sentiment d’avoir quitté le navire PS au moment précis où il menace de sombrer au fond de l’océan ?

Jean-Luc Mélenchon. Je m’en vais car je constate que ce navire prend définitivement une direction contraire à celle que je crois utile à gauche. Que cela plaise ou non, les faits sont les faits : au terme d’une évolution qui aura conduit le PS à Reims à un véritable auto-sabordage, le vote des militants place le parti socialiste dans la même ornière que le reste de la social démocratie européenne...

Pour vous, quoiqu’il arrive, la ligne sera social-démocrate ?

En toute hypothèse, oui. 80% des votants se sont prononcés pour cette ligne. Et si Ségolène Royal est arrivée largement en tête, c’est qu’elle incarne la forme la plus aboutie de cette dérive-là. Ce que Ségolène Royal met à l’ordre du jour, c’est la constitution officielle d’un parti de centre-gauche. Ses deux suivants ont, à peu de choses près, le même credo.

Royal-Aubry-Delanoë, ce serait donc le même combat ?

Ils ont des façons différentes de s’exprimer. Mais le fond est exactement le même. Voyez à propos du Modem de Bayrou : à Lille, Martine Aubry n’a rien à envier à Ségolène Royal puisqu’elle s’est alliée à eux chez elle alors qu’elle n’en avait pas besoin. Quant à Delanoë, s’il tient officiellement le MoDem à distance, on peut compter -parmi ceux qui l’entourent- le nombre de ceux qui ont déjà fait alliance avec les amis de Bayrou. Les trois sont des européistes forcenés. Delanoë a même été jusqu’à dire : « Je ne sacrifierai pas l’Europe au PS ». Idéologiquement, ces trois-là sont homogènes….

Ils n’ont pas la même conception du parti, non ?

Disons que chacun d’entre eux s’imagine dirigeant le parti d’une façon différente. Mais c’est pour faire la même chose. Simplement, Ségolène Royal a deux atouts : d’abord, elle a été la candidate du parti ; ensuite, elle donne à ce changement une forme originale. Les deux autres ont pris un terrible coup de vieux.

Pour un peu, on vous prendrait pour l’avocat de Ségolène Royal !

Je ne suis l’avocat que de la clarification du paysage politique. Elle a gagné, elle est claire politiquement, elle s’assume. Tant mieux. Le débat est possible. C’est tout ce que je dis. Les autres sont des hypocrites qui se dissimulent derrière des flots de paroles gauchisantes.

Cette conversion social-démocrate n’est-ce pas la fin d’une grande hypocrisie ? Social-démocrate, le PS l’était déjà…

Pas du tout ! Le PS a toujours été jusqu’ici une exception au sien du socialisme international. Par ses alliances, car il était le seul à s’allier à des communistes. Par le programme, car nulle part ailleurs, pour ne citer que ces deux exemples, on a fait adopter les 35 heures sans perte de salaires et la couverture maladie universelle. Il y a toujours eu une singularité du PS et, en son sein, deux lignes. Mais ce système, avec la victoire de Royal, vient de s’effondrer. C’est un mouvement qui vient de loin, et ne doit rien au hasard. Hollande a été, en quelque sorte, l’empoisonneur, inoculant le virus à doses homéopathiques.

Pourquoi êtes-vous à ce point révulsé ?

Parce que cette conversion-abdication ne peut nous conduire qu’à la honte et au désastre.

Bigre !

La honte, c’est la participation à des gouvernements de coalition avec la droite, comme c’est déjà le cas en Allemagne, en Autriche, en Hollande, en Slovaquie. A moins qu’il ne s’agisse de devenir soi-même un parti de centre-droit comme en Angleterre ou en Italie. Le désastre, c’est de renoncer à une orientation clairement anti-capitaliste au moment précis où nous entrons dans une crise majeure du capitalisme. Toute la gauche devrait être vent debout aux côté des salariés et mettre en place d’urgence un bouclier social.

Vous dites cela à cause de vos racines trotskistes ?

Mes « racines » ? Je souris. Cela me ramène trente ans en arrière. Je suis, en vérité, un républicain socialiste finalement assez traditionnel. J’appartiens à la tradition de Jean Jaurès et je reste fidèle à la démarche anticapitaliste du PS fondé dans les années 70.

Celui de Mitterrand ?

Vous souriez, je vois. Eh bien je n’ai pas la même lecture de son bilan que les gens de droite et les gauchistes. Mitterrand a été contraint de constater que le socialisme dans un seul pays, ce n’était pas possible. Il a fait le choix de l’Europe pour accomplir le projet socialiste. Pas pour une Europe à 27 avec une Constitution ultra-libérale. Cette Europe nous mène au chaos social et politique. Je compte sur les prochaines élections européennes, pour que les électeurs confirment leur vote au référendum de 2005 et sanctionnent la droite et la gauche du oui à l’Europe libérale.

Votre prochain combat, ce sont donc les européennes ?

Si je me tourne vers les communistes et vers Olivier Besancenot, c’est pour constituer ensemble un front de gauche aux européennes avec l’objectif que ce front devance la droite et le PS. Nous allons nous dresser, nous, frontalement contre la droite pour que cette liste soit en tête. On aura alors révolutionné la gauche et bouleversé le paysage.

Vous vous adressez à qui ?

Aux gens simples, aux salariés du rang, aux chômeurs, à tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans le PS courtisant les classes moyennes supérieures. Un PS de « bobocrates » dont les dirigeants, tellement arrogants, sont coupés du peuple. J e m’adresse aussi à mes camarades qui sont à la gauche du parti et qui, aujourd’hui, pataugent dans les complots sans principe. Au moins, camarades, défendez votre dignité politique puisque tout le reste est perdu : rejoignez-nous au Parti de Gauche.

Vous ne saluez pas Nicolas Sarkozy qui, à Washington, plaide pour une refonte du capitalisme ?

C’est un illusionniste hors pair. Ce rôle lui est facilité par le fait qu’il n’y a pas d’opposition. Mais sa posture est grotesque. Moraliser le capitalisme alors qu’il est fondamentalement amoral, c’est une mauvaise plaisanterie !… Sarkozy aura été, à Washington, le bon serviteur du système néo-libéral.

Croyez-vous à un éclatement du PS ?

Non. Ce qui coalise idéologiquement les dirigeants est plus important que ce qui les divise. Le PS va très vite retrouver son centre de gravité : au centre-gauche désormais. Les barons, vous verrez, vont siffler la fin de la récréation. Sinon, c’est leur fonds de commerce qui serait menacé. Reste que le PS que j’ai connu est mort…

Et si, demain, c’était le vide à gauche…

S’il n’y a pas dans ce pays une alternative de gauche claire et praticable, si la gauche n’est que la roue de secours du carrosse libéral, des solutions fascisantes feront, hélas, leur chemin. Il n’y a pas d’exception à cela dans l’histoire. L’autre conséquence, ce seront les dérives nées de la rage impuissante de certains. Des dérives qui peuvent mener l’ultra-gauche à des formes d’action violente inacceptables dont nous porterions pourtant aussi la responsabilité. Il faut donc que chacun s’assume et en finisse avec ces hypocrisies qui voient le PS rédiger des projets d’une modération confondante pour aller ensuite devant les micros tenir des propos dignes de Che Guevara.

Propos recueillis par Dominique de Montvalon


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