Les nôtres : André Grès, Faucon rouge de 6 à 14 ans, Résistant à 17, vraiment à gauche toute sa vie

jeudi 8 août 2024.
 

"André Grès ne nous parlera plus des Faucons rouges ou de la Résistance. Il nous a quittés en cette année 2006, comme Maurice Frey dont il partageait la franchise et la convivialité.. Habitant d’Entraygues, il était un des derniers militants de la génération "sans concession" marquée par une politisation du type "années 20". Durant la vingtaine d’années où nous avons milité ensemble, il m’a beaucoup aidé. Au début des années 90, malgré son âge, il m’accompagnait dans la section socialiste d’Onet le Château (à 60 kilomètres d’Entraygues). Pour les élections cantonales de 1998, ma voiture étant en réparation, il me prêta la sienne. André était profondément républicain, laïque, anti-clérical, anti-fasciste, anti-capitaliste, internationaliste. Nous étions d’accord avant même d’avoir causé alors que l’ambiance idéologique des années 80, début des années 90 se traduisait par le doute de bien d’autres. C’était peut-être pour s’en prémunir que nous chantions "La jeune garde" en buvant l’apéro. Dédé aimait la pêche, la bonne cuisine, la camaraderie, la clarté politique, sa famille, son chien. Pour lui rendre hommage sans le trahir, je vais utiliser son interview et son texte biographique paru dans L’Aveyron républicain, socialiste et internationaliste n°3 (Jacques Serieys).

Un contexte familial de gauche

André est entré dans le combat socialiste très jeune par sa mère (institurice laïque passionnée) et son père (cheminot militant). "J’ai grandi à Capdenac, ville ouvrière (700 emplois SNCF), fief rouge depuis le début du siècle, où mon père est maire et conseiller général. Enfant, j’ai vraiment baigné dans la contre-société ouvrière du secteur de Decazeville où mon grand père est secrétaire de mairie".

Les Faucons rouges

"En 1932, j’ai commencé à participer au groupe des Jeunes Pionniers puis des Faucons Rouges (6 à 18 ans) de Villefranche, Decazeville, Capdenac, Figeac. Je prenais vraiment du plaisir dans les sorties, les week-ends de camping".

Ce mouvement avait été créé en Autriche à la grande époque de l’austro-marxisme, sous le nom de « Roten Falken », par le pédagogue socialiste, Anton Afritsch, soucieux d’organiser des loisirs pour les populations de Vienne. Après 1918, des organisations soeurs se créent en Europe : Belgique, Pologne, Grande-Bretagne, Tchécoslovaquie, Scandinavie... En 1927, Kurt Lowenstein, député au Reichstag et professeur à Berlin, institue la première République des Faucons Rouges. En France, ceux-ci n’apparaissent que vers 1930.

Dédé parlait assez souvent des Faucons rouges, de leur objectif de former des cadres pour la future République socialiste, des affrontements physiques avec les fascistes avant 39. Il en avait gardé une conviction : le combat "politique" ne fait rien avancer s’il ne se double pas d’un travail ayant pour but l’évolution concrète des moeurs, du droit, du rapport de forces social et des institutions dans un sens émancipateur. Les Faucons rouges apportaient un cadre d’activités aux jeunes sans pourtant faire œuvre de propagande et les faisait vivre dans l’idéal « de la société socialiste future ». " Les valeurs éducatives de cette organisation sont la mixité, l’autodiscipline et l’autogouvernement. Les concepts pédagogiques utilisés à l’époque étaient très innovants, tel le concept de la "République d’Enfants", c’est-à-dire l’organisation de camps d’été régis selon les méthodes de "l’idéal socialiste", de démocratie, de respect des choix de l’enfant et la réalisation de projet collectif".

La colonie Henri Barbusse et le soutien aux républicains espagnols

"A cette époque, le mouvement ouvrier fonctionne encore comme une contre-société avec par exemple la colonie Henri Barbusse de l’île de Ré où je passais mes grandes vacances en compagnie de 3000 autres jeunes essentiellement d’Aubervilliers et de la banlieue parisienne. Jeux d’enfants, plage, éveil politique, chants révolutionnaires comme "La Jeune Garde", "La Carmagnole", "Ma blonde entends-tu dans la ville siffler les machines et les trains"...

Durant la guerre d’Espagne, les Faucons Rouges sont dissous par le PS en raison de leurs critiques à l’égard du gouvernement sur cette question. Le groupe de Villefranche Capdenac se maintient. La dernière République Internationale des Faucons rouges eut lieu en août 1939.

La Résistance contre le fascisme

" L’année 1940 reste le pire souvenir de ma vie. J’ai eu l’impression de voir la France mais aussi toute la gauche s’effondrer d’un coup. Mon père est démis de ses fonctions à la fois comme militant SFIO depuis la fondation du parti et comme franc-maçon ; il s’intègrera rapidement dans Résistance Fer. Quant à moi, scolairement, je passe du latin-grec à l’apprentisssage en boulangerie.

"Je ne supportais pas l’immense photo de Pétain qui trône dans la vitrine d’un grand magasin de la rue commerçante de Capdenac. Avec deux copains, je monte une petite expédition de nuit, en vélo, et on "caillasse" la grande vitrine qui vole en éclats.

"Dénoncé, je suis parti me cacher et travailler à Vabres, près de Saint Affrique. Mais j’ai été arrêté, emprisonné, transféré à Viviez pour interrogatoire pendant une dizaine de jours. J’ai profité d’une complicité pour m’évader. N’ayant pour solution de survie que la clandestinité, j’ai rejoint un maquis VENY à Montredon puis les FTP du Lot.

"Avec les FTP, on est militairement entré en action au moment du débarquement an faisant sauter les voies entre Capdenac et Brive. Six de mes copains ont été pris, fusillés et enterrés près de la gare dans le crassier. Ensuite, on a combattu au pont de la Madeleine puis pour libérer et défendre le Bassin. A l’époque, comme tous les jeunes, je n’avais peur de rien.

"Après, on est entré dans la 1ère armée (3ème division d’infanterie algérienne, régiment algérien de reconnaissance) : le Tholy, le Col du Bonhomme, Gérardmer, Villers, traversée du Rhin, Forêt noire... Comme ton père dans un autre régiment, on a essayé de décider collectivement de partir pour renverser Franco en Espagne ; mais je crois que nous n’étions pas très soutenus par les partis de gauche pour ça. C’est comme avoir remis les armes".

De la libération à 1981

" Juste après le débarquement, j’étais venu une fois à Entraygues comme garde du corps d’un colonel écossais nommé Mac Person spécialiste pour faire sauter les ponts, qui avait rendez-vous avec le petit groupe local de la Résistance qui comprenait surtout Albert Castanié et ton père.

" Libéré en octobre 45, je suis venu travailler à Entraygues ( à l’époque mairie SFIO et une gauche rouge), comme ouvrier boulanger. Mon père participait au Comité départemental de libération à Rodez.

" Tous ces aveyronnais qui ont trouvé que l’épuration avait été trop dure ici, j’aurais aimé qu’ils soient avec nous en Allemagne quand on croisait des troupeaux hagards de prisonniers faméliques qui sortaient des camps.

" A Capdenac, comme à Rodez ou Entraygues, j’ai été surpris du nombre de nouveaux "résistants"...

" Après 5 ans dans la boulangerie, je suis passé pour 5 ans encore à la Société Générale d’Entreprise ( ensuite absorbée par la CGE) pour installer des lignes électriques et j’ai fini directeur technique à Lodève. Devenu géomètre en suivant les cours du soir, j’ai pu diriger pendant 9 ans comme salarié gérant minoritaire l’Entreprise Montpélliéraine d’Equipement Electrique. Dans ces années 60, je militais à la Convention des Institutions Républicaines.

" Lors de la création du Nouveau Parti socialiste, j’ai monté une section à l’île de Groix (80% de pêcheurs) où j’étais devenu propriétaire d’un chalutier. On a bien contribué à faire élire député Jean Yves Le Drian, maire de Lorient, par un gros score sur notre île. Durant une dizaine d’années, on a couvert plusieurs fois l’île d’affiches à 6-7 mètres de hauteur. Le soir du 10 mai 81, on a tiré un feu d’artifice sur l’île. Quelle joie, quelles sensations et quelle fête ce soir-là !

Le Parti socialiste et François Mitterrand

" Dans les années 1980, j’ai voté mitterrandiste lors des votes internes au PS. Mitterrand avait de la valeur ; il a essayé de pratiquer une politique de gauche en 81-83 ; il a permis à la France de mieux résister au libéralisme que les autres social-démocraties européennes, bien mieux même que les communistes au pouvoir en Europe mais il était socialiste comme moi j’étais parachutiste (et je n’ai jamais supporté l’idée de sauter en parachute).

" Il était sincère sur certaines choses et plus florentin sur d’autres, avec une formation d’origine plutôt conservatrice. Sinon, il n’aurait pas cédé totalement sur le service unifié d’éducation en 1984. Il aurait au moins pu contribuer à des victoires partielles qui auraient évité l’effondrement du mouvement laïque de masse issu du fin fond de l’histoire républicaine française, victoires partielles d’autant plus possibles que des enseignants du privé nous soutenaient. C’est ce qui m’a le plus déçu avec les conflits internes du PS qui me paraissant relever très souvent de conflits personnels.

La gauche du Parti socialiste

" Je me suis toujours situé dans la gauche du parti.

" Je ne me fais aucune illusion sur la réalité du pouvoir que détiennent les intérêts financiers ; aucune illusion non plus sur la droite, la droite aveyronnaise en particulier... Pour résister à cette pression, le PS a besoin d’une gauche du parti sans complexe, moins liée à l’exercice du pouvoir.

" Je trouve que Jospin correspond plus à la tradition socialiste que Mitterrand même si le contexte économique international actuel l’oblige inévitablement à composer.

Pour un grand parti de gauche unifié, de masse, anti-libéral

Lors de l’interview que j’avais réalisé de lui pour notre petit journal, j’avais été frappé par l’émotion qui l’avait saisi en prononçant la phrase suivante et nous avions décidé de la faire apparaître en gras :

" J’ai toujours rêvé d’un seul grand parti de gauche par une fusion du PC et du PS. J’ai côtoyé des communistes dès les colonies d’enfance, j’étais enfermé dans une cellule pendant la guerre avec un communiste nommé Abram, j’ai combattu avec eux dans les FTP. J’ai voté pour eux plusieurs fois. La masse des communistes français n’est pas responsable de ce qui s’est passé en URSS et sans eux la gauche française ne serait pas ce qu’est vraiment la gauche pour moi".

Sa dernière carte d’adhérent fut celle de PRS 2005 et son dernier combat politique, il le mena contre le Traité Constitutionnel Européen. Il eut tellement honte des argumentations développées par divers dirigeants du Parti socialiste qu’il ne reprit pas sa carte et chercha à me convaincre de prendre, de l’Aveyron, une initiative pour un grand parti de gauche unitaire, de masse, républicain, anti-libéral. Cela me parut prématuré. Mais :

T’en fais pas Dédé, nous ne lâcherons pas. " Hasta la victoria siempre" et merci encore.

Jacques Serieys


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