Et si le collisionneur anéantissait la planète ? Calmons-nous ! (Par Damien Jayat | Vulgarisateur scientifique)

dimanche 3 mai 2015.
 

La possible apparition de trous noirs incontrôlés dans le plus grand accélérateur de particules du monde inquiète des chercheurs.

Le LHC, le plus grand accélérateur de particules de la planète et une des plus grosses machines jamais conçues par Homo sapiens, est en route depuis aujourd’hui. La communauté scientifique est toute émoustillée, même la télé en parle. On évoque même une épée de Damoclès en purs cristaux de quarks : et si le LHC anéantissait la planète ? Allons, calmons-nous et tirons ça au clair.

Des énergies colossales pour des particules inconnues

Le Large Hadron Collider (LHC) est un accélérateur de particules. Comme son nom l’indique, son rôle est d’accélérer des composants élémentaires de la matière (ici des protons) jusqu’à des vitesses approchant celle de la lumière. Les physiciens s’amusent ensuite à les projeter les uns contre les autres pour analyser les particules nouvelles libérées lors de la collision. Pour des détails sur son fonctionnement, voir mon précédent article sur le boson de Higgs.

Des accélérateurs ressemblant au LHC sont utilisés depuis les années 1930. Les premiers étaient de taille modeste, puis chaque nouveau modèle a permis d’accélérer les particules un peu plus fort, comme chaque modèle d’ordinateur calcule plus vite que son grand-père. Le LHC est donc le dernier né d’une grande famille de machines qui, depuis 80 ans, créent des particules nouvelles à partir de collisions entre d’autres particules. C’est leur métier, et c’est en partie grâce à eux qu’on comprend comment sont fichus les atomes. Or depuis qu’ils existent, personne n’a jamais été avalé par quoi que ce soit. Alors pourquoi la panique actuelle ?

Parce que pour la 1ère fois, le LHC amènera des particules jusqu’à des énergies si phénoménales qu’elles friseront celles mises en œuvre lors du Big Bang. Rien que ça.

L’idée qui trotte dans la tête des chercheurs est en effet d’explorer les instants qui suivirent immédiatement la naissance de l’univers. Ils rêvent de comprendre ce qu’était la matière à cette époque pour mieux connaître celle d’aujourd’hui.

Alors oui, le LHC est plus puissant que tous les accélérateurs jamais construits, mais c’est déjà ce qu’on disait de tous ses prédécesseurs ! Et déjà on avait peur. Sauf que le LHC doit donner naissance à des objets étranges, presque inconnus et dont le nom à lui seul ferait dresser les moignons de cheveux sur la tête d’un chauve : des mini trous noirs.

Un trou noir au cœur de la bête

Un trou noir est un objet spatial mal identifié que l’on suppose être le cadavre d’une étoile dite « supermassive », c’est-à-dire très, très grosse. En rendant son dernier souffle, l’étoile s’effondre sur elle-même, elle se ratatine et passe de l’état de grosse boule gazeuse à celui de petite bille. Comme si vous preniez un ballon et que vous le serriez très fort entre vos grosses paluches musclées, jusqu’à le rendre gros comme une pointe de moustache de lapin nain.

Toute la matière du ballon se trouverait condensée en un point minuscule. Il en est de même pour l’étoile : toute la matière non dispersée au cours de son explosion finale est rassemblée en un point (à l’échelle sidérale). La compression est telle que le vide à l’intérieur des atomes a lui-même disparu, et la matière atteint des densités de l’ordre de quelques milliards de tonnes par centimètre cube !

Conséquence d’une loi fondamentale de la physique : la matière très dense possède un énorme pouvoir d’attraction gravitationnelle. Le petit reste d’étoile devient un aimant universel et attire tout ce qui passe à sa portée, y compris la lumière. Cette dernière restant prisonnière, elle ne peut plus parvenir jusqu’à nos télescopes qui voient donc à la place de l’objet une masse sombre… un trou noir.

D’après la théorie des trous noirs, élaborée au début des années 1970 par le physicien anglais Stephen Hawking, un tel objet peut aussi se former à l’échelle microscopique si l’énergie est suffisante. Or celles du LHC seront assez élevées pour que le phénomène apparaisse. Dans ce cas, ce n’est plus la matière contenue dans un reste d’étoile qui s’agglutine, mais quelques particules qui se serrent tellement fort les unes contre les autres qu’elles acquièrent une gravité énorme. Si énorme qu’elles attirent leurs copines, puis les voisines de leurs copines, puis celles encore autour, et par effet boule de neige toute la matière facilement accessible.

Jusqu’à quel point ? Mystère, justement, et c’est là qu’est l’os. D’après la théorie, les mini trous noirs sont très instables et devraient s’éparpiller au bout de 10-23 secondes (0,000… 1 seconde avec 23 zéros en tout) sous l’effet de leur propre énergie, émise sous forme d’un rayonnement appelé « rayonnement Hawking ». Une durée de vie tellement courte qu’on pourrait bien ne jamais détecter les mini trous noirs si par hasard ils se formaient au LHC. Devraient… Pourraient… Ce sont bien les conditionnels qui fichent la trouille. Car tout ça n’est que théorie. Mais une théorie qui n’a jamais été vérifiée avant aujourd’hui !

Une expérience est une prise de risque… limitée

Par conséquent, certains ont peur que le rayonnement Hawking ne fonctionne pas, ou pas assez vite, et que les trous noirs sautent sur l’occasion pour prendre du poids. Quitte à échapper totalement au contrôle des physiciens pour entamer un pique-nique gargantuesque aux dépends de la frontière franco-suisse où le LHC est construit. Voire de l’Europe ou de la Terre entière.

C’est en tous cas ce que craignent les membres du groupe LHC Defense, qui regroupe de modestes citoyens mais aussi des chercheurs aussi brillants qu’une flopée de galaxies.

Le principal risque mis en évidence par ce groupe, mais aussi par le CERN (l’organisme qui gère le LHC) lui-même, est lié à l’incertitude sur ce qui va réellement se passer. On sait que plusieurs types de particules inconnues peuvent se former, on sait qu’elles sont potentiellement dangereuses, mais on sait aussi que leur probabilité d’apparition est extrêmement faible et que même si elles apparaissent, leur désintégration devrait être quasi instantanée.

L’événement est donc envisageable, mais si peu qu’il est presque impossible. Bien sûr, en théorie on peut tout imaginer. Certains suggèrent même que le LHC permette un jour de voyager dans le temps. Pourquoi pas. Ne négligeons aucune hypothèse tant qu’elle n’a pas été officiellement démontrée idiote. Mais en terme de physique quantique, on raisonne autant en probabilités qu’en hypothèses. Or la probabilité de créer un trou noir incontrôlable au LHC est la même que celle inhérente à toute expérience scientifique aux résultats forcément inconnus. Et oui : si on pouvait prévoir le résultat, on ne perdrait pas un temps précieux à mener l’expérience !

Alors voilà. Si maintenant vous décidez d’avoir peur, personne ne pourra pas vous en empêcher. Sachez toutefois que les risques encourus au LHC sont des millions de fois inférieurs à ceux que vous prenez en chevauchant votre vélo, scooter, automobile d’occasion ou jet privé, tout dépend de votre standing. Alors restez calmes, éteignez vos cigarettes et attachez vos ceintures : le voyage en accélérateur, c’est parti !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message