Se réapproprier la science (Camille Rullán)

vendredi 30 septembre 2022.
 

L’affirmation selon laquelle "la science est neutre" est en soi une déclaration politique, qui s’aligne sur les intérêts de la classe dominante. Ce qui est qualifié de politique est ce qui remet en question l’idéologie invisible et hégémonique.

D’où la nécessité de comprendre les manières dont le capital et le pouvoir influencent la production, les usages, ainsi que la nature de la science et, de manière plus critique, de réinventer les manières dont nous pratiquons la science. Il n’y a pas de héros qui puisse nous donner cela. Le seul moyen d’avancer est l’action collective.

Toutes les cultures ont leurs mythes de la création : le livre de la Genèse, le Rig Veda, le Coatlicue ou même la Destinée Manifeste. Ces histoires expliquent qui nous sommes et comment nous sommes arrivé·es là, révèlent nos préférences et nos préjugés. La science occidentale est apparue en réponse aux mythes pour nous offrir une vision prétendument neutre et non falsifiée des mécanismes internes de la nature. Comme les mythes, la science a ses héros : des hommes (ou, surtout des hommes) qui, souvent à eux seuls, ont découvert des vérités fondamentales sur l’univers. Galilée, Newton, Darwin, Einstein - nous les connaissons.

Tout comme la science a ses héros, elle a aussi ses anti-héros : parmi les plus célèbres il y a Stanley Milgram, Josef Mengele, Edward Teller, les expérimentateurs de Tuskegee. Le récit populaire les dénonce comme des bourreaux isolés d’une machine scientifique par ailleurs fonctionnelle.

Mais il existe également des cas dissimulés d’abus scientifique. Prenons la pilule contraceptive. Développée par des médecins de Harvard, les docteurs Pincus et Rock, et financée en partie par Margaret Sanger, fondatrice de Planned Parenthood, elle était à l’origine destinée à soutenir un programme d’eugénisme racial sur les colonisés et les personnes "indésirables".

Ces pilules ont été testées sur des personnes détenues dans un asile du Massachusetts et des femmes portoricaines de la classe ouvrière sans leur consentement, avec des résultats souvent mortels.

Une perspective radicale sur la science reconnaît ces incidents pour ce qu’ils sont : non pas des erreurs ponctuelles, mais les produits d’un système dans lequel la science est une activité économique, contrôlée, comme le reste de la société, par une petite minorité qui a intérêt à perpétuer l’exploitation et l’oppression.

La classe dirigeante, par le biais du gouvernement, des philanthrocapitalistes et des entreprises, finance aujourd’hui la plupart des recherches scientifiques. À un niveau plus bas, les décisions relatives à l’obtention de certaines subventions, à l’admission dans des programmes prestigieux ou à la titularisation sont prises par des scientifiques de haut niveau - un groupe notoirement aisé, blanc, masculin, valide, ayant ses propres intérêts et visions du monde. Ces visions du monde, à leur tour, façonnent la pratique de la science. La science en tant que pratique neutre et objective n’est qu’un autre mythe de la création.

Les tentatives de réforme de l’activité scientifique, par le biais de la réglementation gouvernementale, des œuvres de charité, des initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion, ont échoué ; les actions individuelles ne peuvent pas s’attaquer au système politique et économique à l’origine du problème : le capitalisme. Le mot radical, comme le définit l’écrivaine et militante Angela Davis, signifie "prendre à la racine". C’est, à bien des égards, notre vocation de scientifiques : comprendre les racines des phénomènes naturels par l’expérimentation, la discussion et la collaboration. Mais la science radicale va un peu plus loin en considérant les racines de la science non pas comme une vérité préexistante mais comme une pratique sociale, dont les conséquences ont tout à voir avec la manière dont elle est présentée et exercée.

D’où la nécessité de comprendre les manières dont le capital et le pouvoir influencent et déforment la production, les usages, ainsi que la nature de la science et, de manière plus critique, de réinventer les manières dont nous pratiquons la science. Il n’y a pas de héros qui puisse nous donner cela. Le seul moyen d’avancer est l’action collective, pour que les scientifiques mettent leurs compétences au service des gens et contre les oppresseur·euses, à travers une science pour les (et par, et des) gens.

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