Extrait de La Grande Révolution, 1909
Deux grands courants préparèrent et firent la Révolution. L’un, le courant d’idées, -le flot d’idées nouvelles sur la réorganisation politique des États, - venait de la bourgeoisie. L’autre, celui de l’action, venait des masses populaires, des paysans et des prolétaires dans les villes, qui voulaient obtenir des améliorations immédiates et tangibles à leurs conditions économiques. Et lorsque ces deux courants se rencontrèrent, dans un but d’abord commun, lorsqu’ils se prêtèrent pendant quelque temps un appui mutuel, alors ce fut la Révolution.
Une révolution, c’est infiniment plus qu’une série d’insurrections dans des campagnes et dans les villes. C’est plus qu’une simple lutte de partis, si sanglante soit-elle, plus qu’une bataille dans les rues, et beaucoup plus qu’un simple changement de gouvernement, comme la France en fit en 1830 et 1848. Une révolution, c’est le renversement rapide, en peu d’années, d’institutions qui avaient mis des siècles à s’enraciner dans le sol et qui semblaient si stables, si immuables, que les réformateurs les plus fougueux osaient à peine les attaquer dans leurs écrits. C’est la chute, l’émiettement en un petit nombre d’années, de tout ce qui faisait jusqu’alors l’essence de la vie sociale, religieuse, politique et économique d’une nation, le renversement des idées acquises et des notions courantes sur les relations si compliquées entre toutes les unités du troupeau humain.
C’est enfin l’éclosion de conceptions nouvelles, égalitaires sur les rapports entre citoyens, - conceptions qui bientôt deviennent des réalités et alors commencent à rayonner sur les nations voisines, bouleversent le monde et donnent au siècle suivant son mot d’ordre, ses problèmes, sa science, ses lignes de développement économique, politique et moral.
Pour arriver à un résultat de cette importance, pour qu’un mouvement prenne les proportions d’une Révolution, comme cela arriva en 1648 en Angleterre et en 1789-1793 en France, il ne suffit pas qu’un mouvement des idées se produise dans les classes instruites, - quelle qu’en soit la profondeur ; et il ne suffit pas non plus que des émeutes se produisent au sein du peuple, quels qu’en soient le nombre et l’extension. Il faut que l’action révolutionnaire, venant du peuple, coïncide avec le mouvement de la pensée révolutionnaire, venant des classes instruites. Il faut l’union des deux. [...]
L’histoire parlementaire de la Révolution, ses guerres, sa politique et sa diplomatie ont été étudiées et racontées dans tous les détails. Mais l’histoire populaire de la Révolution française reste encore à faire. Le rôle du peuple des campagnes et des villes dans ce mouvement n’a jamais été raconté ni étudié dans son entier. Des deux courants qui firent la Révolution, celui de la pensée est connu, mais l’autre courant, l’action populaire, n’a même pas été ébauché.
À nous, descendants de ceux que les contemporains appelaient les « anarchistes », d’étudier ce courant populaire, d’en relever, au moins, les traits essentiels.
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